Propos Introductifs
Professeur J.C. Soyer )

La présentation du sujet comportera des redites, mais celles-ci n'ont-elle pas une vertu pédagogique ?

Le mot "Terrorismes" est inscrit au pluriel à dessein dans notre dépliant d'invitation. Les terrorismes, au pluriel, sont le thème de nos deux journées.

Mais avant d'aller vers ce pluriel, il nous faut partir du singulier et nous demander ce qu'est le terrorisme. La réponse d'un homme politique serait... "Vaste question" mais je ne peux me satisfaire de cette échappatoire.

Je tiens donc à fournir une réponse car assez curieusement -O surprise- on trouve très peu de définitions du terrorisme dans les textes juridiques qui ont pour but de le combattre. Ainsi par exemple, la Convention Européenne pour la Répression du Terrorisme énonce diverses règles qui facilitent la poursuite et la répression internationales de certains actes odieux tels le détournement d'avions, la prise d'otages, les attentats par explosifs etc... Mais cette même convention ne nous dit pas, de façon synthétique, ce qu'est le terrorisme.

Il faut donc ouvrir nos dictionnaires, en l'espèce, le Larousse ."Terrorisme : ensemble d'actes de violence commis par une organisation politique pour renverser le gouvernement". Cette définition est en grande mesure exacte mais elle est trop étroite.

Les buts du terrorisme contemporain sont beaucoup plus diversifiés que de chasser un pouvoir en place. Et pour cette raison, nombre de spécialistes préfèrent l'expression : "violence grave à finalité politique". Finalité, mais laquelle? L'Histoire va nous fournir la réponse. Elle nous montre que le terrorisme a toujours été au service d'une volonté de puissance et d'hégémonie politique, soit que dépourvu de pouvoir et d'hégémonie on veuille les conquérir, soit que, les ayant conquis, on veuille les conserver et si possible les affermir.

Quel pouvoir, quelle hégémonie politique? Le panorama des siècles nous en fait distinguer trois types.

1 - Type dynastique concernant la personne du prince,
2 - Type révolutionnaire concernant l'organisation de la société,
3 - Type international concernant l'échiquier des Etats.

1 Type dynastique

C'est le terrorisme le plus ancien. il vise tout simplement à prendre la place du Prince -ou pour le Prince régnant, à garder sa place. Ainsi Dracula : ce seigneur redoutable fit empaler par milliers les hommes menaçant son pouvoir. C'était un terroriste, tandis que ses ennemis qui tentaient de le chasser -au besoin par des méthodes également cruelles- n'étaient pas moins terroristes que lui.

Dans ce type de terrorisme, quelque soit le sort des armes, les sujets se bornent à changer de Prince. Ce n'est qu'une question de personne, une révolution de palais. Mais, parfois ce terrorisme prépare une révolution de tout autre envergure, de tout autre ampleur, qui ne tend à rien de moins qu'à l'avènement d'une société entièrement nouvelle.

2 - Type révolutionnaire

Il est d'apparition beaucoup plus récente, et le mot-même nous mène à un exemple de première grandeur. Voici la définition du terrorisme dans le Petit Robert : " emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique (prise, conservation, exercice du pouvoir) - Historiquement, mot employé pour désigner la politique de terreur des années 1793/1794 ". La révolution alors, vise non seulement à détruire le pouvoir du Prince mais toute l'organisation sociale jusqu'alors régnante. "Du passé faisons table rase", c'est l'hymne révolutionnaire...Ou : "créons un homme nouveau libéré de la tyrannie".

Lors de la Première Guerre Mondiale, lors de la Révolution russe, le bolchevisme se fit terroriste pour accéder au pouvoir et plus encore pour y rester. C'est que l'Etat, quand il devient totalitaire, quand il prétend remodeler l'être humain, ne peut espérer réussir qu'en entretenant l'effroi, en faisant de cet effroi, si j'ose le dire à propos de l'URSS, un réflexe de Pavlov.

Dans le même sens, mais au titre de tentatives avortées, on peut citer les anarchismes, le nihilisme russe du tournant du siècle et plus près de nous, les mouvements euro-terroristes (Brigades rouges en Italie, Fraction armée rouge en RFA, Action Directe en France).

3 - Type international

D'actualité explosive, il naît des convulsions suivant la deuxième guerre mondiale, notamment de la décolonisation. On découvre alors un terrorisme qui a pour fin -sans toujours pouvoir la réaliser- la création d'un Etat indépendant. Algérie hier, aujourd'hui Irlande, Corse, Nouvelle Calédonie, Palestine. Pression terroriste, dans ce cas, bien sûr, mais aussi "guerre de libération nationale".

Or toute guerre implique des alliances : des Etats étrangers vont soutenir ces Mouvements de Libération Nationale, soit par sympathie doctrinale, soit par intérêt hégémonique, pour affaiblir l'autre camp. Certains Etats vont même se spécialiser dans l'encouragement au terrorisme, lui fournissant camps d'accueil et d'entraînement, armes, argent, papiers.

Ici, la guerre de libération s'internationalise et devient, suivant une terminologie récente, un conflit à basse intensité . Il s'agit d'une sorte de guerre en sous-voltage qui se manifeste depuis l'apparition de l'arme nucléaire. Or que dit on de celle-ci ? qu'elle réalise "l'équilibre de la terreur". Mot évocateur : la terreur apocalyptique et globale étant désormais peu praticable, on l'a fait ressurgir sous des formes plus modestes, locales, atténuées et hypocrites.

Bien sûr, ces trois types de terrorismes, tels que je viens de les décrire très sommairement, peuvent se chevaucher. Quand on tue Salvador Allende, on cherche moins à se débarrasser d'un gouvernant que d'une société de type marxiste. Par exemple encore, en utilisant le patriotisme de résistants, on peut favoriser l'expansion d'idéologies dominatrices ou modifier le rapport des forces sur la scène mondiale.

Donc les trois types de terrorisme : dynastique, révolutionnaire, international s'imbriquent -et s'entraident parfois- mais ces chevauchements n'altèrent en rien le dessin général de l'histoire tel qu'on vient de l'ébaucher.

A son aboutissement actuel, le terrorisme devenu international se rapproche de la guerre. Détail significatif : maint mouvement terroriste a développé sa tactique de guérilla urbaine ou rurale, et ce mot de guérilla fait vérifier que le terrorisme n'est souvent aujourd'hui qu'un épisode subalterne d'une véritable guerre souterraine, à l'échelon régional et international. On ne s'en étonne pas quand on se rappelle la définition célèbre que Clausewitz donnait de la guerre : "acte de violence (grave) dont le but est de forcer l'adversaire à exécuter notre volonté".

Paraphrasant la formule célèbre, on peut l'appliquer au terrorisme : "acte de violence (grave) servant de levier à la lutte politique". Cela souligne les rapports aujourd'hui étroits et nécessaires du terrorisme et de la guerre. D'ailleurs Clausewitz ajoutait : "la guerre, c'est la poursuite de la politique par d'autres moyens". Or, le terrorisme représente, aujourd'hui, une tentative de politique d'hégémonie moins coûteuse -et moins compromettante- que la guerre traditionnelle.

Mais si le terrorisme devient guerre, se pose alors la question : la guerre de qui contre qui?

Après la définition historique du terrorisme, situons son enjeu présent. L'enjeu du terrorisme, à notre époque, c'est de prolonger, non pas toujours mais parfois, la lutte entre des camps d'idéologie différentes, les démocraties et les régimes totalitaires.

Fragiles démocraties, à proportion même des libertés qu'elles assurent à leurs citoyens. Fragiles à proportion de leur presse libre et parfois envahissante, à proportion d'une justice qui n'est point parodie et à proportion d'un "Etat de droit" qui se refuse aux inquisitions généralisées comme à la répression trop brutale. Mais, comme ces libertés produisent en général de meilleures performances économiques et des richesses enviables, serait-ce relativement, on conçoît que les totalitarismes recourent à l'exportation du terrorisme pour affaiblir ces démocraties. Celles-ci sont donc à la fois redoutables (comme exemple contagieux auprès des peuples opprimés), et vulnérables du fait de leur respect profond de l'individu.

Toute chose humaine étant complexe, n'adoptons pas une analyse sans nuances. Ce serait méconnaître la noblesse et la pureté de certaines résistances, qui doivent recourir au terrorisme parce que c'est leur arme ultime - serait-elle odieuse - contre une tyrannie plus odieuse encore.

Notre propos devra donc rester attentif à une réalité multiforme et changeante, sans toutefois renoncer à une idée simple et essentielle : le terrorisme, lorsqu'il s'attaque à une démocratie véritable, est à la fois une lâcheté odieuse, porteuse de menaces mortelles.

Décrire ces manifestations du terrorisme, et les menaces, tel sera le thème de la première de nos journées.Il convient donc d'organiser contre les terrorismes, que souvent des Etats totalitaires ont encouragés, une parade efficace.

La deuxième journée sera plus juridique. Elle sera consacrée aux parades et aux ripostes que les démocraties peuvent opposer au terrorisme. Ces ripostes doivent s'inscrire, au sein d'une démocratie qui reconnait la prééminence du Droit, comme tel est le cas des Etats liés par la Convention européenne des droits de l'Homme, dans un arsenal juridique. Mais cet arsenal juridique, à le supposer complet, reste d'un piètre rendement s'il ne s'accompagne pas d'une volonté politique de lutte et de survie de nos Etats démocratiques. A cet égard, on verra comment joue la culpabilisation des démocraties, qui fait peut-être le frein principal à leur bonne défense contre le terrorisme.

En bref, comprendre le terrorisme pour mieux l'affaiblir et le vaincre : tel est le thème de ces journées 1988 de l'Institut de Criminologie de Paris. Je les déclare ouvertes. Et je tiens, en le faisant, à remercier avec insistance l'organisateur de ces journées, Xavier Raufer. Il anime depuis deux ans, dans notre Institut de criminologie de Paris, des séminaires qui se jouent à guichet fermé : nous y recevons des professionnels de la lutte anti-terroriste -et parfois d'autres personnes, qui ont été - naguère - amenées à mener des actions, depuis lors prescrites. Ils souhaitaient pouvoir parler entre spécialistes, pour les besoins de leur métier, dans une atmosphère pluridisciplinaire, mais un peu confidentielle.

Je dois alors signaler que toutes les informations inédites, précises, passionnantes, recueillies au fil de ces colloques, forment la substance de "Notes & Etudes", cahiers que l'Institut de Criminologie fait désormais paraître périodiquement. Les cinq premiers numéros ont été consacrés aux diverses formes de terrorisme, à leur description clinique et à la reproduction de documents originaux et pratiquement introuvables.

Je suis heureux d'exprimer à Xavier Raufer les félicitations et les remerciements de l'Institut de Criminologie de Paris. Et je lui passe la parole.

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