LE FLNC ET LE MALAISE SOCIAL CORSE : L’ IMAGE DU JUSTICIER

Le FLNC se développe dans un milieu sous-développé aux plans économique, social et politique. Dénonçant ces disfonctionnements, le Front se donne à bon compte une image de Robin des Bois des temps modernes, et accrédite l’idée qu’il existe des "conditions objectives" à la lutte armée.

Une image de sauveur

Un article paru dans un supplément du "Ribombu" est révélateur de l’image que le Front tente de se donner : "Une expression résume, en le schématisant, ce ras le bol : heureusement qu’il y a le FLNC! Les clandestins sont considérés comme des redresseurs de tort, des justiciers, des empêcheurs de brader le patrimoine. Comme les gardiens de la Maison corse. Cette notion, au début anecdotique, d’un FLNC défenseur de la veuve et de l’orphelin, auréolé de mythes, a pris, au fil des ans et des luttes, consistance et dynamisme. Voici le Front investi d’une confiance diffuse, presque aveugle (...) Dans l’esprit de nombreux corses nationalistes ou non, le mouvement de libération nationale n’a plus désormais pour unique fonction et mission de préserver, de sauvegarder mais de promouvoir, de proposer, de formuler et rendre efficient un projet de société susceptible de tirer la Corse de l’ornière. Une fonction d’orientation, de direction politique au sens large du terme" (Corsica Infurmazione n° 8 1989).

Le FLNC dispose avec les maux de la société corse d’un fond de commerce inépuisable de thèmes pour ses campagnes d’attentats. En dénonçant les tares de l’île, le Front s’attire la compréhension ou la bienveillante neutralité, voire la sympathie, d’une frange de la population. Il se fait l’écho des inquiétudes des habitants de l’île, utilise et dénonce les grippages de la société corse. Deux de ses thèmes de prédilection:

. La Corse est sous développée politiquement : clanisme, corruption et clientélisme constituent depuis toujours la trilogie de la classe politique corse. Le jour de sa naissance le Front a désigné les clans comme adversaire. Les notables locaux sont les instruments de l’Etat colonial français, notamment au Nord le radical de gauche François Giaccobi, et au Sud le RPR Jean-Pierre de Rocca Serra.

. La dénonciation du tout-tourisme destructeur du patrimoine culturel et écologique de l’île date du début des années soixante-dix : la spéculation foncière et le massacre des sites mènent l’île sur le chemin de la "baléarisation".

Ainsi, en novembre 1989, la reprise des attentats s’est orchestrée autour des villages de vacances. Le 6 août 1989 les nationalistes dénonçaient aux "Journées de Corte" la spéculation des promoteurs immobiliers. Le 7 novembre un commando détruisait deux immeubles en construction à Porto-vecchio. Le communiqué du FLNC, teinté de xénophobie, est révélateur de cette image d’ultime recours : "Aujourd’hui notre organisation constitue un rempart (1) contre l’accaparement de notre territoire national au profit de la spéculation internationale ...". Les sociétés immobilières italiennes visées avaient vu leur permis de construire annulés à deux reprises. L’association des riverains de St-Cyprien ne condamna pas l’attentat, et son représentant déclara : "J’aurais préféré des bulldozers".

Même constat après l’attentat du 10 décembre 1989 à Calvi contre une résidence d’une quarantaine d’appartements : "Cette construction est l’exemple même du processus engagé par la finance internationale pour s’accaparer notre patrimoine national en réalisant d’énormes profits". Etait visée la banque suisse propriétaire des immeubles. "Nous sommes déterminés à poursuivre notre pression contre de telles entreprises spéculatives qui aboutiraient à moyen terme à la marginalisation de notre peuple sur son propre sol national".

Les réactions suite à ces deux attentats furent révélatrices. Certes on condamne la violence, pour la forme, mais non "la dénonciation de la spéculation immobilière". Une manière habile de ménager tout le monde. Ainsi François Zanotti maire de Calvi : "l’acte de violence n’est pas le meilleur moyen de faire vaincre ses idées" mais rappelle qu’il "a toujours été contre le projet immobilier de l’Oasis. Si le permis de construire n’est apparemment pas contestable, plusieurs irrégularités existent...".

Après la conférence de presse du 29 décembre 1989 (les 42 pages), la même ambiguïté se retrouve dans les réactions des responsables politiques locaux ; Jean Boggioni vice-président UDF de l’Assemblée de Corse : "Ce document permet néanmoins de relever des vérités sur le plan économique avec la notion de développement intégré et de l’approche géopolitique de la Corse sur lesquelles il y a lieu de débattre"; Laurent Crocce, premier secrétaire de la Fédération de Haute Corse du Parti Socialiste, souligne, lui, "le caractère concret des propositions économiques du FLNC".

Les conditions objectives

Le discours du FLNC brouille à ce point la réflexion sur la violence en Corse que nombre des observateurs ont adopté le système de pensée nationaliste, ce qui est regrettable car, au fond, les revendications du FLNC sont incohérentes et contradictoires. Comment arracher la Corse à son relatif sous-développement en refusant dans le même temps tout investissement venu de l’extérieur ? Le FLNC assassine et rackette les continentaux et les étrangers créant des sociétés et des emplois et, en fait seuls les Corses auraient le droit de travailler en Corse : le modèle albanais, en quelque sorte : "Imaginons ce que serait l’économie française si chaque département français avait raisonné ainsi et appliqué ce principe. Que serions-nous si toute activité avait été en France de tout temps interdite, sous peine de mort, à quiconque n’était pas natif du département où cette activité était exercée ? Paris serait encore à l’état de forêt primitive" (J.F. Revel) (2).

De même l’attitude à l’égard du tourisme est elle irréaliste. Le tourisme serait une aliénation, une forme de colonialisme. Pourtant le tourisme n’a pas empêché l’Espagne, le Mexique, la Grèce, la Suisse, l’Italie de garder une originalité culturelle; tout en apportant la prospérité économique. Faut-il libérer tous ces malheureux vivant sans le savoir dans l’aliénation ?

Ce que revendiquent les militants du FLNC est une impossibilité. On ne peut vouloir à la fois la fermeture de l’île et la prospérité. Celle-ci est toujours et partout venue de la libre circulation des hommes, des idées et des capitaux.

A chaque vague d’attentats refleurit le raisonnement selon lequel la répression n’est pas une solution, et doit être accompagnée par le "traitement en profondeur" des causes économiques de la violence. Raisonner de la sorte revient à accepter l’hypothèse selon laquelle il existerait un lien de cause à effet logique entre la situation économique en Corse et la violence politique. Comme l’écrit J.F. Revel "C’est là, malheureusement, prendre un délire systématisé pour une explication rationnelle". Si tous les Français mécontents devaient recourir à la lutte armée, la France serait un vaste champ de tir : "souscrire à l’idée que le mécontentement conduit normalement à la violence, c’est nier la démocratie, qui est précisément le système permettant de pallier le mécontentement sans luttes armées". Ce n’est pas le marasme économique qui mène au terrorisme mais le terrorisme qui conduit à la ruine économique en décourageant les investissements.

Le cliché économiste (la pauvreté conduit au crime), qui flatte un préjugé très répandu, constitue la négation de la démocratie libérale. Il n’y a pas de "conditions objectives" à la lutte armée : "le terrorisme en démocratie est une mentalité paranoïaque autonome sans rapport avec des conditions objectives. On ne le calme pas au moyen d’une action logique sur la réalité".

Que la Corse soit demain un Eden, il y aura toujours des nationalistes pour dénoncer la sourde oppression du pouvoir central. Minoritaires, les militants du FLNC s’inventent une légitimité historique faute de bénéficier d’une légitimité démocratique née des urnes. Comme l’a écrit Guy Hermet (3) au sujet d’ETA, il y a dans ces organisations une logique profondément autoritaire voire fascisante, incompatible avec des systèmes libéraux.

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(1) C’est nous qui soulignons.
(2) Annexe 10 : Terrorisme corse : le cliché économiste (Le Point, 17/08/1987 - J.F. Revel) Repris en "Terrorisme et Démocratie" Hachette 1987 - Collection Pluriel
(3) "Le peuple contre la démocratie" - Fayard 1989