LA LUTTE DE MASSE : L’INFILTRATION DE LA SOCIETE CORSE

Le FLNC a rapidement compris que l’action armée ne pourrait conduire seule à la victoire. Il a donc suscité un ensemble d’organismes annexes dans tous les secteurs de la société corse. Cette stratégie d’infiltration découle directement de la théorie des contre-pouvoirs développée dans les libres blanc et vert. Toutes ces organisations sont définies par le Front comme étant des "expressions publiques" participant à "l’action publique de la lutte de libération nationale" : "les contre-pouvoirs, c’est-à-dire la lutte de masse, sont le prolongement naturel et indispensable de notre action politico-militaire". Ainsi une dizaine d’organisations regroupées au sein d’une coalition -"Unita Naziunalista"- constituent les vitrines légales et officielles du FLNC et ont pour mission d’occuper le terrain public. Bref : le FLNC la nuit avec les bombes, les contre-pouvoirs le jour avec les micros (1).

Les missions des contre-pouvoirs.

Le Front a toujours souligné qu’il est l’organe dirigeant du nationalisme corse, et non son simple bras armé. Il dirige ces "expressions publiques" et les suscite là où se fait sentir le besoin d’une représentation nationaliste. Les contre-pouvoirs ne doivent en aucun cas interférer sur son rôle politique, ni à plus forte raison se substituer à lui. On peut ainsi dégager quatre missions des structures de contre-pouvoirs :

. Affirmer l’omniprésence du nationalisme corse, démultiplier sa force et son pouvoir de contestation en s’imposant dans tous les secteurs de la vie publique, donnant ainsi une impression de puissance bien supérieure au nombre réel de ses militants, à son audience électorale.

. Servir de passerelle entre les deux pôles du mouvement corse : indépendantistes et autonomistes. Sur le terrain de la contestation quotidienne, indépendantistes et nationalistes peuvent se retrouver autour de combats communs.

.Servir de Cheval de Troie au FLNC. Le Front tisse sa toile dans la société corse, l’investit. Encore faut-il conserver à l’esprit qu’il existe entre les contre-pouvoirs et l’organisation clandestine une grande perméabilité. Le FLNC impose à ses membres de militer dans au moins un de ces contre-pouvoirs de façon à veiller à leur stricte orthodoxie et de ne pas risquer de les voir dévier sous l’action de militants nationalistes modérés.

. Prendre le contrôle d’une partie des activités économiques, sociales et culturelles de l’île. Le Front a constitué un réseau complexe d’associations et d’entreprises qui ont pour rôle de servir de "pompe à fric" : la moitié du secteur culturel de l’île (troupes folkloriques, association de défense du cochon noir, etc.), donc des crédits généreusement alloués par l’assemblée régionale et l’Etat, est entre les mains des nationalistes. L’Etat, et sa région corse financent, ainsi, indirectement, le FLNC.

Le Front accorde beaucoup d’importance à ces structures légales qui relaient la lutte armée et font certainement plus progresser la "cause" que les campagnes d’attentats.

Les moyens d’infiltration

L’UNION DU PEUPLE CORSE (UPC) : dès son apparition, le FLNC s’est opposé aux autonomistes de Max Siméoni et l’"Association des Patriotes Corses" (APC) devenue Le 17 juillet 1977 l’ " Union du Peuple Corse" (UPC).

Mais le FLNC admet l’appartenance de ces "réformistes" au mouvement national corse tout en les différenciant des autres "expressions publiques", puisque leur objectif n’est pas la libération nationale mais le compromis avec l’Etat colonial.

La stratégie du FLNC consiste donc à isoler, marginaliser et absorber le courant autonomiste. Depuis 1982, l’UPC se rapproche des nationalistes. En 1986, le MCA, vitrine légale du Front, conclut une alliance avec ce dernier, à l’occasion des élections régionales de mars. La politique d’"unione" franchit un pas en 1985 pour devenir officielle depuis un rassemblement les 25 et 26 juillet 1987 à Vizzavona. Aujourd’hui les positions véhiculées par les autonomistes et le FLNC ne sont pas très éloignées.

UNITA NAZIUNALISTA est une structure d’étude, d’analyse, de réflexion, l’organe fédérateur de l’ensemble des contre-pouvoirs nationalistes. Unita a également la haute main sur un véritable conglomérat d’associations, de mutuelles, de coopératives et de sociétés acquises aux nationalistes. Pour la première fois en 1986, Unita Naziunalista a eu trois élus aux élections régionales : Pierre Poggioli, Leonardo Battesti, Alain Orsoni. Tous trois responsables militaires supposés du FLNC.

A CUNCOLTA NAZIUNALISTA (ACN) est l’expression publique de la lutte de libération nationale : la vitrine politique légale du FLNC. ACN, née le 21 février 1987, est l’héritière de deux mouvements qui se sont succédés : la "Consulte des Comités Nationalistes" (CCN) dissoute le 27 septembre 1983, puis, à partir du 2 octobre 1983 le "Mouvement Corse pour l’Autodétermination" (MCA).

ACCOLTA NAZIONALE CORSA (ANC) fondé le 24 octobre 1989 par Pierre Poggioli, un des chefs historiques du nationalisme corse. Les membres d’Accolta remettent en question à la fois la trêve des opérations militaires décidée en juin 1988 et le rôle dirigeant du FLNC dans les choix politiques. Les divergences exprimées officiellement touchent à la place et au rôle qui doit occuper le Front. "Nous ne voulons plus de structure pyramidale avec le FLNC en haut. Nous jugerons sont action au coup par coup..." selon P. Poggioli, ce à quoi son remplaçant au sein d’ACN répond : "Le FLNC ne doit pas être le bras armé d’une formation politique. C’est l’organe politique majeur." Le conflit s’est cristallisé autour des conséquences de la trêve des attentats entamée en juin 1988. Selon ACN "la trêve a permis de capitaliser l’action passée" alors que selon l’ANC, depuis la trêve, "le mouvement nationaliste est sur la touche" et les nationalistes récupérés.

L’ex-FLNC a réagit devant cette scission-dissidence par sa conférence de presse clandestine du 29 décembre 1989 (le projet de société de 42 pages) et par la reprise des attentats (Porto-Vecchio 7 novembre 1989, Calvi 11 décembre 1989, etc.).

Pierre Poggioli dénonce "les structures bureaucratiques" et le "mythe de l’infaillibilité politique" qui conduit à "éluder tout débat démocratique". Au fond c’est à une critique sévère de la trêve que se livre l’ANC : "la généralisation des contacts individuels" avec le pouvoir a entretenu "l’illusion de la discussion politique". D’où une distance à l’égard du FLNC envers lequel l’ANC annonce une "solidarité conditionnelle".

En fait la divergence est tactique, au plus. Qui plus est les querelles de personnes ne sont pas à exclure. P. Poggioli est un "pur" là où d’autres sont plus "affairistes".

Le Front Syndical :

Depuis 1984 une dizaine d’associations et de syndicats ont été initiés par le FLNC. Tous reconnaissent sa suzeraineté et se regroupent au sein d’  " Unita Naziunalista".

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS CORSES (STC) : le "Sindicatu di i Travagliadori Corsi", fondé le 1er mars 1984, se situe selon ses propres dires dans la lutte de libération nationale. La création du STC marque l’abandon de la politique d’entrisme dans les syndicats "français". Sa principale revendication est la "corsisation" des emplois. En 1989, Bernard Trojani, responsable du STC, déclarait : "Tout ce qui creuse le fossé nous intéresse" (2).

Cette action syndicale est aussi le moyen d’accéder à la propriété ou de récupérer l’"impôt révolutionnaire" : en suscitant des grèves au sein des entreprises visées. La force de persuasion conjointe du STC et des clandestins font ainsi basculer des entreprises dans le camp nationaliste. Une dizaine de militants du STC suffisent pour provoquer une grève qui se terminera par une négociation officielle avec le syndicat pour des avantages sociaux et par une négociation officieuse avec les clandestins du FLNC sur le montant de l’impôt.

Les autres organes de contre-pouvoirs

Le syndicat corse de l’agriculture (SCA)

Le syndicat corse de l’enseignement (SCI)

La fédération corse des commerçants et artisans (FCCA)

 

. Le Front Educatif

La consulte des étudiants corses (C.S.C.)

La consulte des jeunesses nationalistes corses (C.G.N.C.)

L’association des lycéens corses (A.L.C.)

L’association des parents corses (A.P.C.)

. Le Front de Solidarité
A Riposta : succédant à "A Ricossa", s’occupe de la défense des prisonniers politiques en liaison avec des ponctuels "collectifs de soutien".
 
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(1) Annexe 7 : Organigramme du mouvement nationaliste.
Annexe 8 : Adresses des organisations de la coalition Unita Naziunalista.
(2) Annexe 9 : Le S.T.C., un outil pour les travailleurs corses. (Ekaitza 28/12/1989, Journal nationaliste basque).