«Sans contact avec le parti. Attentats à la Dynamite »
Pendant mon séjour clandestin à
Berlin [fin 1920, début 1921, NDLR], je fis également connaissance
de Ferry, alias Hering, qui préparait alors l'attentat contre la
colonne de la Victoire. Ferry avait appris que mes amis et moi voulions
préparer des bombes et des grenades, mais que nous n'avions pas
les connaissances techniques indispensables. Il savait que nous disposions
de moyens financiers et il nous proposa de confectionner des bombes et
d'autres explosifs, car il était chimiste. En contrepartie, nous
devions lui donner de l'argent pour qu'il puise se procurer les matières
explosives nécessaires à la destruction de la colonne de
la Victoire.
Nous avons accepté ses conditions
et dans les semaines suivantes il nous livra un nombre important de bombes
et de grenades prêtes à l'emploi. Ses collaborateurs et mes
amis avaient détourné de concert une vingtaine de quintaux
de dynamite dans des carrières, des puits de potasse ou des mines
d'Allemagne centrale et de la Ruhr.( ...) Je voulais utiliser les bombes
et les grenades fabriquées par Ferry pour libérer les camarades
incarcérés à Dresde, Leipzig et Hof. Des attentats
à l'explosif contre des tribunaux réalisés le même
jour et à la même heure devaient inquiéter les autorités
et effrayer le bourgeois de manière spectaculaire. A la faveur du
désordre, nous voulions libérer nos camarades. Je n'attendais
pas de ces actions un résultat politique pour le mouvement communiste,
elles n'étaient à mes yeux qu'un moyen pour un objectif ponctuel.
Nous avons essayé tout d'abord les bombes et les grenades livrées par Ferry dans la Jungfernheide43 . Leur puissance explosive paraissait satisfaisante ; seules les mèches étaient trop longues et trop humides. Après avoir amélioré le matériel, nous avons préparé une explosion plus importante contre le commissariat de police de Charlottenburg. Trois nuits durant, nous avons tourné autour de cet édifice imposant en cherchant une place où l'explosion ferait le plus de dégâts. Mais nous n'avons trouvé aucun endroit qui puisse nous garantir le succès.
Pour que les camarades ne puissent pas dire que je les envoyais au feu pendant que je restais en sécurité, je prévis de lancer la première bombe. Les camarades que j'avais désignés pour les autres attentats verraient ainsi comment je procédais lors de cette action. Nous partîmes dans le Vogtland avec les camarades pur faire sauter le grand portail de l'hôtel de ville de Falkenstein. A l'occasion de cet attentat et par les tracts que nous diffusions en même temps, nous, les communistes clandestins poursuivis par la police, nous avertissions la classe ouvrière ainsi que les petits-bourgeois que nous existions toujours, que nous n'avions pas oublié nos camarades emprisonnés et que nous étions prêts à combattre pour leur libération par tous les moyens.
Le 6 mars 1921, nous sommes arrivés en bicyclette à Falkenstein vers les onze heures du soir : l'explosion était prévue pour minuit exactement. Nous devions faire quelques travaux préparatoires auparavant.
Pour augmenter la puissance de l'explosion, je voulais lancer un certain nombre de bombes dans une pièce fermée de la mairie. Quelques secondes avant minuit, je m'élançai vers l'hôtel de ville la bombe à la main, accompagné du camarade Richard Loose44 ; les autres devaient assister à l'explosion à une distance sûre. Loose avait pour tâche de lancer une autre grenade à main au même moment afin de suppléer la bombe au cas où la mèche ne marcherait pas.
Au moment d'ouvrir la porte du poste de police dans lequel je voulais lancer la bombe, j'allumai la mèche avec ma cigarette. La bombe devait exploser quatre secondes plus tard. Au même instant, je m'aperçus, à ma grande frayeur, que la porte était fermée. Nous étions perdus.
J'avais la bombe déjà allumée à la main et mon camarade sa grenade dégoupillée, qu'il lança très vite dans un coin. Je fis de même avec ma bombe et sa mèche qui sifflait. Au même moment, la grenade explosa, des éclats me blessèrent au visage, j'étais ensanglanté et aveuglé. Je dois d'être toujours vivant à un réflexe très vif du camarade Loose. Lorsqu'il me vit tout en sang en train de m'affaisser, il m'attrapa d'un coup sec j et me tira du perron pour gagner un coin. A cet instant, une terrible déflagration ébranla tous les bâtiments voisins, les vitres des fenêtres se brisèrent en mille morceaux, des pierres énormes s'effondrèrent dans la rue avec un bruit de tonnerre. La bombe avait explosé.
Richard Loose me traîna dans une des rues voisines. Lorsque je pus enfin ouvrir les yeux, je m'aperçus que nous étions juste en face du domicile du chef de la milice de citoyens qui avait commandé, six mois auparavant, une salve contre une manifestation ouvrière. Pour le punir, je lançai mes six grenades restantes contre sa maison. J'appris plus tard que ce type eut beaucoup plus de chance que moi ce jour-là, car aucune de mes grenades ne le blessa.
Le jour même, je pris le train pour Leipzig où je restai jusqu'à mon rétablissement. Puis je retournai à Berlin. J'envoyai les camarades dans différentes villes avec un grand nombre de bombes. Les explosions réussirent selon le plan prévu à Dresde, Freiberg, Leipzig , etc., où la justice de classe avait particulièrement sévi. Ces attentats à l'explosif contre une série de bâtiments judiciaires firent sensation. Dans la jungle journalistique sociale-démocrate et bourgeoise, les charognards effarouchés et effrayés sortirent de leurs nids et firent un tapage terrible. Je pouvais donc me satisfaire de toute cette agitation.
(...) Une fois, j'avais préparé une attaque contre un bureau de poste dans la banlieue de Berlin. Un soir de janvier, avec des amis, nous encerclâmes le bâtiment. Mais nous n'avons pu atteindre notre objectif par un accident imprévisible. Ce fut ma première et dernière participation directe à une expropriation de ce type.
Je ne pus mettre à exécution mon projet de procéder à la libération des camarades prisonniers à l'aide de gros dynamitages parce que, soudainement, eut lieu le soulèvement de l'Allemagne centrale(...)
Le procès-guérilla
Les juges s'obstinèrent à me démontrer que sous le terme de bourgeoisie, je comprenais tous ceux qui n'étaient pas travailleurs manuels et, en fait, tous ceux qui n'étaient pas de mon avis. Ils savaient portant très bien que, sous ce terme, je comprends tous les parasites de l'humanité qui vivent du travail des autres, les oisifs, les spéculateurs, les boursicoteurs, les détenteurs de coupons qui crient tout fort. «Seul le travail peut nous sauver !» et qui se cassent la tête pour savoir comment ils pourraient passer le temps. Je ne rangeais pas les juges dans cette sorte de bourgeoisie, je les comptais parmi cette couche de petits-bourgeois ratés qui se chargent de la répression de la classe ouvrière au profit de la véritable bourgeoisie et qui dévalorisent leur propre humanité en se transformant en homme-lige.
Il était vain de discuter avec les juges de problèmes philosophiques. Si pourtant j'ai discuté avec eux de cette façon, c'était parce que j'espérais me faire entendre des ouvriers en dehors de la salle du tribunal. C'était indispensable parce que mes activités et mes aspirations avaient été falsifiées et dénigrées par la campagne des journaux sociaux-démocrates dans de larges milieux de la classe ouvrière. (...)
Le président : «Si vous continuez ainsi, je vous retire la parole». Max Hölz : «Je sais bien que vous ne voulez pas écouter. Ce procès a montré que je ne suis pas l'accusé mais que c'est bien l'ordre bourgeois qui l'est. Tous vos jugements sont hostiles au prolétariat révolutionnaire. Vous ne me condamnez pas, vous vous condamnez vous-même. Je suis convaincu que pendant ce procès vous avez plus servi la révolution que moi pendant toute mon activité révolutionnaire. Si je n'avais pas vu avec quel mépris de la mort la classe ouvrière révolutionnaire combattait, je n'aurais pas trouvé la force de rester à la hauteur des efforts demandés par ces audiences. J'aurais perdu tout espoir dans ma cellule si je n'avais pas eu le sentiment d'une affinité avec les combattants prolétaires. Quand je m'oppose à vous de cette manière, vous appelez ça insolence, moi je l'appelle conscience de classe révolutionnaire, car c'est bien la conscience de ne pas être seul dans un combat gigantesque. Il y a sur cette terre des millions de gens qui sont d'accord avec notre cause et ils seront demain des centaines de millions. Cette certitude me donne la force et la persévérance de supporter ce que l'on m'impose aujourd'hui.
«J'espère que le prolétariat révolutionnaire vous fera payer tout ce que vous avez fait à la classe ouvrière. Vous dites que vous ne le craignez pas. Je vous connais trop peu pour vous dénier tout courage personnel. Mais j'affirme que la société bourgeoise dont vous êtes le représentant tremble aujourd'hui devant le prolétariat révolutionnaire. Cela explique cette procédure contre moi, sous la protection du pouvoir armé. La police de sécurité est là pour endiguer le prolétariat révolutionnaire. «J'ai déjà dit que je ne veux rien répondre à l'acte d'accusation. Je ne reconnais pas les attendus de l'avocat général, je ne reconnais pas le verdict du tribunal. Il s'agit pour moi de présenter clairement à la classe ouvrière les raisons pour lesquelles j'agis ainsi. Je défends mes actes avec le courage que doit avoir tout combattant révolutionnaire. Si j'avais abattu un homme par nécessité révolutionnaire ou si j'en avais donné l'ordre, j'aurais annoncé la couleur. (...)
«Je vous ai opposé de fortes paroles. Par principe, je ne vous adresse pas la parole. Vous deviendrez ce que vous êtes: les juges d'une classe. Je ne peux pas vous demander que mes paroles fassent un effet sur vous. Je sais que la société bourgeoise dont vous êtes les représentants ne peut nous rejoindre ni par les mots, ni par le propagande, ni par les livres. Vous devez être placés devant une réalité d'airain et alors seulement vous vous inclinerez.
«Le juge d'instruction m'a dit avant
le procès : Si tous les ouvriers étaient gagnés à
vos idées, il serait facile alors de prendre le pouvoir par le suffrage
universel. Je lui ai répondu et je vous répète mes
paroles : en utilisant un tel argument vous ne prenez pas en compte le
rapport de force effectif. Quand le peuple allemand est maintenu par l'école,
l'Église, l'État et la presse dans l'idée que chacun
doit se plier à l'autorité qui a pouvoir sur lui et qu'en
même temps toutes ces institutions le renforcent dans l'idée
qu'il doit y avoir des pauvres et des riches et que le Bon Dieu le veut
ainsi afin que les pauvres aillent au ciel... « Le président:
«Tout cela est en dehors du débat. Vous devez vous défendre
des accusations. Nous n'avons pas à entendre des discours révolutionnaires.
Si vous continuez, je vous coupe la parole.» Max Hölz : «Avant
tout, le peuple allemand doit être débarrassé de toutes
ces idioties. Justement, vos verdicts auront pour effet de sortir le peuple
allemand de cette idéologie que vous lui avez inculquée par
l'école, l'Église et la presse. Le prolétariat allemand
doit être tiré de son hibernation... « Le président
: «Je vous retire la parole.» (Le juge se lève et se
rend dans la salle de délibération.) Max Hölz : «Vous
pouvez interdire la parole, vous ne tuerez pas l'esprit.» Le président:
«Expulsez l'accusé de la salle.» Max Hölz : «Vive
la révolution mondiale !»
43 Bois de la banlieue berlinoise, à l'ouest, entre Berlin et Spandau, sur la rive du lac de Tegel. Actuellement occupé par l'aéroport de Tegel.
44 Membre du KAPD (Parti Communiste des Travailleurs Allemands)