ANNEXES

ANNEXE I

Khomeini, le mysticisme, l'illumination

Dans sa lettre à Gorbatchev (N&E 9) l'Imam Khomeini faisait allusion à Ibn Arabi («mais je m'en voudrais d'abuser de votre attention, et c'est pourquoi je me garderai de mentionner les oeuvre s des mystiques, pas même celles d'Ibn Arabi»). Or, peu après, paraît en France un ouvrage consacré à celui que Khomeini -qui n'abuse pas des hyperbolestient pour un «grand homme».

IBN ARABI OU LA QUÊTE DU SOUFRE ROUGE Claude Addas Bibliothèque des sciences humaines - NRF Gallimard 1989 - 400p.130 f.

Cette érudite biographie -qui est aussi un passionnant voyage dans l'Andalousie musulmane médiévale- se doit d'être lue par tous ceux qui cherchent à s'orienter, dans le paysage intellectuel de l'équipe dirigeante la plus mystérieuse, la plus incomprise au monde, celle de la République Islamique d'Iran.

Dans les N&E 6 («Irfan : la communauté invisible au sein de l'Islam Chi'ite») nous avions évoqué certaines pratiques mystiques, certains «exercices spirituels» peu connus, pratiqués par l'élite religieuse chi'ite. Les passages du livre de Claude Addas, que nous reproduisons ci-après, permettent de comprendre un peu l'état auquel accèdent ces mystiques, les visions qui sont les leurs.

[Les textes en italique sont extraits de « Al-Futuhat al-Makkiyya» d'Ibn Arabi. Edition critique de O. Yahia. 9 volumes parus. Le Caire 1972-1985. Les commentaires sont de Claude Addas, P. 171-174 de son livre. Notons qu'Ibn Arabi, référence majeure pour Khomeini, et figure illustre du Soufisme, est un sunnite.]

«La troisième sorte d'illumination est l'illumination du dévoilement que procure la connaissance de Dieu dans les choses. Sache tout d'abord que Dieu est trop grand, trop sublime pour qu'on Le connaisse en Lui-même. Mais on peut, en revanche, Le connaître dans les choses [...] En effet, les choses sont par rapport à Dieu comme des voiles ; lorsqu'elles disparaissent, ce qu'il y a derrière se dévoile. Celui qui a le dévoilement voit Dieu dans les choses de même que le Prophète voyait ce qui se passait derrière son dos [...] J'ai moi-même expérimenté cette station (maqâm), que Dieu en soit loué ! Par ailleurs, on ne peut connaître Dieu dans les choses que par la manifestation des choses et la disparition de leur statut. Les yeux de l'homme ordinaire s'arrêtent sur le statut des choses, tandis que ceux qui ont l'illumination du dévoilement ne voient dans les choses que Dieu. Parmi eux, il y en a qui voient Dieu dans les choses et d'autres qui voient les choses et Dieu en elles [...] La plus grande illumination dans ce domaine c'est que la vision de Dieu soit la vision même du monde (...)

(...) la connaissance des choses précède nécessairement la connaissance de Dieu : «Le but, écrit Ibn Arabi dans le même passage des Futûhat, c'est de connaître Dieu en tant que Seigneur w du monde et cette connaissance n'est accessible que lorsqu'on a préalablement acquit a connaissance du monde ; c'est ce que savent les plus parfaits d'entre les hommes de Dieu ; c'est pourquoi l'Envoyé de Dieu a dit : Celui qui se connaît soimême connait son Seigneur». Ajoutons encore que la notion de «Dieu connaissable dans les choses» découle d'une autre notion chère à Ibn Arabi et corrélative à celle de rabb, la notion des tajalliyaät ; c'est parce que toute chose est le réceptable des théophanies que l'on peut en la voyant voir Dieu. (...)

(...) C'est également en 591, et très vraisemblablement à Fès aussi, qu'Ibn Arabi accède une première fois à la «Demeure de la Lumière», où il est instruit de la différence entre corps sensibles (ajsäm) et corps subtils (ajsaäd) : «Sache, écrit-il au début du chapitre 348 des Futuhät, que cette Demeure est l'une des Demeures de l'Unicité et des Lumières (min manäzil al-tawhid wa 1-anwâr) ; Dieu m'y a fait pénétrer à deux reprises ; dans cette Demeure, je sus la différence entre les corps sensibles et les corps subtils. Les corps sensibles (ajsäm) sont ceux que connaissent les hommes ordinaires, qu'ils soient fins et transparents ou qu'ils soient épais, qu'ils soient visibles ou invisibles ; les corps subtils (ajsäd) sont ceux où apparaissent les esprits, à l'état d'éveil, [quand on les voit] sous la forme des corps sensibles (ajsäm) ; et ce sont également les formes que perçoit dans le sommeil celui qui dort ; ils sont semblables aux corps sensibles mais n'en font pas partie.»

(...) Autrement dit, Ibn Arabi appartient -du moins l'affirme-t-il- à la seconde catégorie des hommes préservés de commettre le péché, ceux qui ont eu connaissance, dans la Présence de la Lumière, du secret du décret prééternel, c'est-à-dire de leur destin.

(...) C'est la catégorie d'hommes spirituels la plus élevée, la plus parfaite en dévoilement (akshaf). Ce sont ceux qui ont eu connaissance du secret du décret prééternel. Ils se subdivisent en deux catégories : celui qui en a une connaissance synthétique et celui qui en a une connaissance distinctive; le second est supérieur au premier. Il sait en effet ce que la Science divine sait de lui, soit que Dieu lui fasse connaître ce qu'Il tient de son essence même, soit qu'Il lui dévoile son essence immuable et la succession de tous ses états à venir. Ce dernier est le plus élevé de tous».

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