I.2.2. les pratiques de blanchiment de la Camorra

I.2.2.1. LES INVESTISSEMENTS IMMOBILIERS ET L’INDUSTRIE TOURISTIQUE.

Vecteur classique de blanchiment, l’immobilier garde tout son intérêt pour les chefs de la Camorra, soucieux de placer efficacement leur argent. Les prétextes de blanchiment sont en effet nombreux : l’achat des matériaux de construction, l’acquisition du terrain, les travaux des bureaux d’études et des studios d’architecture, l’aménagement des bâtiments. Entre 1985 et 1994, 570 000 logements ont été construits en Italie de manière illégale. Selon un rapport de l’organisation écologiste Legambiente, les différentes organisations criminelles seraient impliquées dans la constrution de 400 000 logements non autorisés sur lesquels elles prélèveraient 5 à 10 % du montant du coût de la construction (soit entre 10 et 15 milliards de Francs). Il va sans dire que la plupart de ces constructions ne répondent pas aux normes de sécurité comme la résistance anti-sismique ou la déformation des matériaux en cas d’incendies.

La plupart des projets d’aménagement urbain d’envergure attire l’intérêt des clans de la Camorra . Entre 1997 et 1998, le quartier de Bagnolli à l’ouest de Naples faisait l’objet d’une véritable guerre : ancienne zone industrielle située en bord de mer, la commune de Bagnolli s’est transformée rapidement en station balnéaire grâce aux injections massives de capitaux mafieux et au racket des entreprises de construction. Les infrastructures touristiques sont également très recherchées. Dans le nord de l’Italie, la Camorra est parvenue à prendre entièrement le contrôle de la gestion de plusieurs petites stations de ski du Bas-Piémont. En perte de vitesse et en situation financière délicate dans les années 1980, ces stations de ski ont vu afflué vers elles les fonds de la Camorra au début des années 1990.

Des capitaux douteux italiens sont régulièrement investis dans des sociétés insoupçonnables comme le groupe d’hôtellerie de luxe Boscolo, qui au cours de l’automne 2000, se porta acquéreur de plusieurs palaces à Nice (Plaza-Concorde, Park Hôtel, Atlantic), à Lyon et à Menton (Hôtel Méditerranée) 94 . Réfugiés pour beaucoup sur le Côte d’Azur à partir des années 1970, à l’image de Michele Zaza (O Pazzo), installé à Villeneuve-Loubet dès 1986-1987, les camorristes, comme d’autres familles mafieuses italiennes, ont largement participé la flambée spéculative immobilière dans cette région. Nice, Menton, Monaco et Toulon sont les villes les plus concernées par les investissements mafieux, réalisés le plus souvent au travers de sociétés civiles immobilières (SCI) détenues par des prête-noms.

I.2.2.2. LA PRISE DE CONTRôLE D’éTABLISSEMENTS DE JEUX : L’EXEMPLE DE L’AFFAIRE SOFEXTOUR

Déjà implantée, depuis les années 1970, dans le nord de l’Italie, certains clans de la Camorra manifestait un intérêt très vif pour le contrôle d’établissements de jeux à des fins de blanchiment. Après avoir pris partiellement le contrôle des rares établissements de jeux de la péninsule, notamment à San Remo, en novembre 1989, Giovanni Tagliamento et Sergio Corte, deux lieutenants de Michele Zazza, tentèrent par le biais d’un prête-nom d’obtenir la gérance du casino municipal de Menton. Déboutés par le ministère de l’Intérieur lors de leur première tentative, ils récidivèrent sous la couverture de la société Sofextour, après avoir préalablement largement corrompus les différents décisionnaires locaux du dossier95 .

I.2.2.3. UNE STRATéGIE éCONOMIQUE : L’EXEMPLE DE L’ALLEANZA DI SECONDIGLIANO.

Acteurs majeurs du trafic de cocaïne avec la Colombie, interlocuteurs napolitains du grand trafiquant de drogues et chef mafieux sicilien Pietro Vernengo, les mafieux rassemblés au sein de l’organisation criminelle camorriste Alleanza di Secondigliano dirigée par Francesco Mallardo, ont développé clandestinement un véritable groupe financier et industriel, présent dans plusieurs secteurs économiques 96 .

Démantelée au mois d’avril 2000, l’Alleanza di Secondigliano fonctionnait sur un modèle entrepreneurial avec comme objectif prioritaire le contrôle des activités économiques de son territoire. A l’occasion de l’arrestation de Francesco Mallardo, les autorités judiciaires et policières italiennes purent faire un point sur la surface économique de ce clan camorriste.

Parmi les avoirs personnels accumulés par les associés d’Alleanza di Secondigliano et saisis par les policiers figuraient la société immobilière Cogefin srl à Naples, trois maisons construites sur un terrain de 7000 m² à Castelvolturno, neufs appartements, une vedette rapide, 66 véhicules de luxe (Mercedes, Porsche, BMW), trois motos de course, huit autocars et 23 comptes bancaires courants sur lesquels étaient déposés plusieurs dizaines de millions d’Euros.

Mallardo et ses associés avaient en outre confié à Ciro Mantice, un chef d’entreprise né en 1941, le soin de gérer et de placer les profits dégagés par les activités illicites de l’organisation criminelle. Mantice devint véritablement le directeur financier de l’organisation, chargé de la politique d’investissement, en même temps que le gestionnaire des entreprises contrôlées par les mafieux déjà incarcérés.

La plupart des marchés publics étaient placés sous la coupe de l’organisation mafieuse : restructuration de l’aéroport de Capodichino, travaux de la voie ferroviaire de Cumana, construction du parking de la place nationale ou modernisation de l’école de la rue Saint’Eframo Vecchio. Pour ces travaux d’infrastructures, soit les entreprises étaient directement contrôlées par l’ Alleanza di Secondigliano, soit elles devaient payer le droit de travailler sur les chantiers tenus par l’organisation criminelle et étaient alors en outre contraintes d’utiliser les services et les prestations des sociétés mafieuses sous-traitantes.

Dans ces conditions, il n’était pas étonnant que la construction et le BTP aient été les cibles prioritaires de l’organisation mafieuse à des fins de blanchiment. Adjudicataire de la construction des nouveaux bureaux du procureur de la République, l’entreprise de construction RO.MI était contrôlée par Francesco Mallardo et ses associés, ainsi que la société Motrer, spécialisée dans les travaux publics, et la société Bitum Beton, qui fournissait le ciment nécessaire à la construction de l’aéroport de Capodichino. Des sociétés immobilières comme Euromobilgroup ou Fines Immobiliare, des sociétés de ravalement telles que la Cimax et Denise, ainsi que la société Ascia, une entreprise de matériaux de construction, participaient à la mainmise de l’organisation sur ce secteur.

Le clan avait également placé ses revenus tirés du trafic de stupéfiants et du racket dans des sociétés de distribution automobile comme Lem Cars, Motocenter SNC ou Elettogomme. Autre secteur de prédilection pour le blanchiment, les sociétés d’import-export et de distribution agro-alimentaire attiraient les capitaux de l’organisation, avec un préférence pour les sociétés de négoce de viandes. Le portefeuille de sociétés détenues dans ce secteur comprenait ainsi la Siniscalchi SAS, le Centro Importazione Alimentari SAS, la Cooperativa Lavoratori Interno Macello SAS, la CI.PA., la CO.MO SAS, la DI-SAL SAS, l’Industrie Carni Italiane SAS, la Pisana Carni et l’Altos SRL. Pour la surveillance de ses entrepôts, l’organisation camorriste contrôlait en outre sa propre société privée de sécurité : l’entreprise La Vigilante, implantée à Naples.

Le secteur de la confection était également concerné avec les usines de textile Mondial Corredo et Vendetta Line, rattachées à la nébuleuse camorriste de Francesco Mollardo, comme les magasins Shopping House, fournisseur officiel du championnat de football italien, et les ateliers Kidstore Italia et Kidstore Service.

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94 La plupart de ces hôtels étaient la propriété de la société PAP dont l’un des principaux actionnaires n’est autre que Gilbert Stellardo, célèbre figure de la Grande Loge nationale française (GLNF) niçoise et premier adjoint, chargé des finances de la ville de Nice. Cf. Le Moniteur, N°5050 du 8 septembre 2000.
95 « La fine équipe qui voulait le casino de Menton », Le Canard Enchaîné, 29 juillet 1992.
96 « Camorra 2000 : L’alleanza di Secondigliano e il suo capo, Francesca Mallardo », Fabrizio Feo, in Narcomafie , mai 2000.