La mise en scène et la pose

La mise en scène fait partie du mode opératoire. Le tueur laisse volontairement apparaître ce qui ne s'est pas réellement passé. Il essaye d'orienter les enquêteurs sur une fausse piste. C'est une composante du scénario criminel, car il s'est senti obligé de la prévoir pour commettre son crime. L'exemple-type est l'homicide maquillé en suicide ou en cambriolage qui aurait mal tourné. Il faut savoir que la clé des meurtres intrafamiliaux est la mise en scène. De manière générale, plus le criminel est proche de sa victime, plus il tentera de brouiller les pistes pour détourner les soupçons.

- on a retrouvé la victime à son domicile (en particulier dans de l'eau) ;
- on l'a étranglée manuellement ;
- on lui a infligée un traumatisme au visage ;
- le corps a été caché sur les lieux du crime, notamment pour éviter qu'un enfant de la maison découvre le corps ;
- un rescapé a raconté que le cambrioleur n'a pas neutralisé l'occupant qui représentait la plus grande menace pour lui ;
- ce rescapé a mis en scène un crime sexuel sans preuve d'agression sexuelle ;
- le même rescapé a, pour se faire, remonté le soutien-gorge et abaissé le slip de la victime ;
- il a enveloppé le corps pour qu'il soit confortablement installé ou pour le protéger ;
- a fait croire à un cambriolage alors que la victime et l'environnement sont à bas risque ;
- a simplement fait disparaître une victime à bas risque, comme une mère qui signale l'enlèvement (et non la disparition) de son enfant après l'avoir laissé seul assez longtemps etc...

Ce sont autant de facteurs personnels qui doivent interpeller. Il suffira ensuite de vérifier les alibis et de procéder par élimination.

L'intérêt de la mise en scène est aussi de dévoiler davantage la personnalité du tueur. De manière générale, il "veut faire croire à". Cela renvoie à ce qu'il ne veut pas montrer, et donc souvent à ce qu'il ne veut pas être ou ce qu'il ne veut pas avoir fait. Par exemple, il ne veut pas être pris pour un fou parce que ce crime ne lui ressemble pas. Ses motivations sont le plus souvent de deux ordres : il veut manipuler les autorités (plutôt organisé, le proche-assassin notamment) ou/et il veut se déresponsabiliser du crime (plutôt inorganisé, le solitaire qui traîne dans les parages).

Prenons le cas où il veut faire croire qu'un crime sexuel impulsif a été commis à l'endroit où le corps a été découvert (liens apparents, corps habillé, slip baissé, soutien-gorge remonté, sac à main intact à proximité, ticket de caisse datant du jour de la disparition, sur un terrain vague en pleine ville). Or, il l'a manifestement tuée ailleurs (liens lâches et noués post-mortem, victime rhabillée, date de la mort remontant à trois jours). S'il veut amener les enquêteurs sur la piste d'un tueur inorganisé, puisque impulsif, c'est qu'il est ou qu'il se sent plutôt organisé. On peut envisager le cas d'un père de famille, bien sous tous rapports, qui n'aimerait pas que l'on découvre la face cachée de sa personnalité. On pourrait même penser qu'il regrette son acte et que la mise en scène lui a permis de se déresponsabiliser : c'est un tueur fou qui a commis ça, pas moi. L'hypothèse du schizophrène n'est pas non plus à négliger : Dr Jekyll n'accepterait pas ce que Mr Hyde a fait etc... Autant d'éléments qui méritent d'être confirmés ou infirmés par les autres indicateurs.

La pose, en revanche, fait partie de la signature. Le tueur positionne le corps ou/et ritualise la scène de crime après la mort. Il exprime consciemment ou non un message particulier, au travers de la victime qui joue le rôle d'accessoire. Il faut distinguer la dégradation du corps et la ritualisation de la scène de crime. La dégradation est l'atteinte post-mortem à l'intégrité physique. Ce sont des violences sexuelles ou non qui dégrade le corps. Elle renvoie à un crime sexuel alimenté par la colère, destiné à prouver sa force. L'auteur peut-être qualifié au plan criminologique de compulsif ou "border-line" (état-limite). C'est un déséquilibré animé par une revanche semi-pathologique, semi-normale. En dehors d'un contexte particulier favorisant le passage à l'acte, il peut avoir un comportement ordinaire dans la société. S'il est plus organisé, c'est l'excitation de la traque, de la mise à mort qui est importante. C'est la satisfaction de laisser sa victime dans une posture spéciale, montrant combien il est capable de battre le système. La ritualisation, quant à elle, s'observe sur une scène de crime imprégnée de symbolisme. Des objets ou des parties corporelles prennent une dimension fétichiste. Des représentations singulières, illogiques ou incompréhensibles a priori, jalonnent les lieux. Cela va de l'environnement géographique (noms de rue évocateurs, près d'un cimetière ou d'un lieu chargé d'histoire...) jusqu'à l'infîme élément altérant le cadavre (un papillon dans la gorge, un des péchés capitaux écrit sur le ventre...). Il s'agit en principe d'un individu animé par un fantasme de longue date. Il est organisé s'il contrôle la pose, et inorganisé s'il ne la contrôle pas. En cas de série criminelle avec pose, la probabilité d'avoir affaire à un seul auteur est extrêmement élevée. John Douglas a rencontré très peu de cas de pose durant sa carrière -dix sur plus de mille enquêtes. Dans l'affaire Russel Jr, il précise même qu'il n'a jamais constaté autant d'éléments singuliers. Par conséquent, s'il est prouvé que Russel a commis l'un des crimes, il est nécessairement l'auteur des deux autres.

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