Le mode opératoire et la signature

Le mode opératoire est ce que fait le criminel quand il commet son crime. C'est le scénario criminel. Par exemple, il entre par effraction, étrangle sa victime et repart avec ses bijoux. C'est un concept dynamique et évolutif. Il tient compte en particulier de son niveau de maturité et de perfectionnement. Ainsi, le même tueur peut se faire passer pour un plombier, étrangler sa victime et rester sur les lieux pour vider l'appartement. En cas de série criminelle, l'identité absolue des modus operandi n'existent pas. La réalité rejoint rarement la fiction des films américains. Il est possible que certains faits dans leur chronologie reviennent, en particulier pendant le crime. Mais des variations apparaissent à un moment ou à un autre. Elles sont inhérentes à l'évolution du criminel, en action dans le temps et en interaction avec son environnement. Si un tueur en série commet ses crimes sur une longue période, parfois même durant toute une vie, l'adolescent qu'il était ne tuait pas de la même façon que le vieillard qu'il est devenu.

Des évènements marquants dans sa vie peuvent l'amener à changer de scénario (décès, déception sentimentale, licenciement, mariage, naissance...). Des déplacements géographiques peuvent modifier son environnement social et son mode de vie (déménagements, départ en vacances, voyage, vagabondage...). Sa pathologie criminogène peut s'aggraver etc... Les criminels narcisso-sexuels organisés modifient même parfois volontairement leur mode opératoire pour brouiller les pistes. Les plus sadiques, notamment, aiment jouer avec la police et les médias. D'autres enfin peuvent réagir impulsivement face à une circonstance imprévue (résistance de la victime, témoin inattendu, arme défaillante...). Les avocats de la défense et certains enquêteurs tentent alors de montrer que le mode opératoire n'est pas identique dans toutes les affaires, que ces crimes n'ont pas pu être commis par la même personne. C'est oublier la signature du tueur.

La signature est ce que fait le criminel, qu'il n'était pas nécessaire de faire pour commettre son crime. Autrement dit, c'est ce que le criminel accomplit pour se réaliser lui-même. Par exemple, notre plombier n'était pas obligé de retourner le cadavre ou de le mutiler après le crime. C'est un concept statique, intangible, qui révèle le sens à donner au fantasme singulier du tueur. Ce fantasme structure son être, lui donne un sens à sa vie. De sorte qu'il apparait dans ses antécédents comme dans ses actes à venir. Si un assassin commet des crimes pour infliger des souffrances ante-mortem à des femmes, ou les obliger à les supplier pour les laisser en vie, c'est une signature. Elle ne changera pas, quand bien même le tueur lisair ces lignes. Il imaginerait peut-être des méthodes différentes ou plus ingénieuses. Mais il faudrait toujours torturer ces femmes. De plus, la signature permet de mieux reconstituer le scénario criminel, puisque l'auteur agit selon son fantasme et le scénario qui l'accompagne. Par exemple, si c'est la phase post-mortem qui manifestement l'intéresse, il est probable qu'il ait négligé la phase ante-mortem. Il faut donc s'attendre à ce qu'il n'ait pas ou peu discuté avec sa victime, et qu'il soit rapidement passé à l'acte. A l'inverse, si c'est la phase ante-mortem qui retient toute son attention, il a vraisemblablement voulu se débarasser rapidement du cadavre, avec toutes les conséquences que cela comporte.

Les juridictions auraient tout intérêt à commettre un expert-criminologue pour révéler la signature du criminel narcisso-sexuel, ainsi que pour établir le lien entre plusieurs homicides d'une série criminelle. L'Unité des Sciences du Comportement au FBI analyse les signatures depuis 1979. 76% de ce type d'affaires ont été résolues grâce à cette approche. Ces chiffres datent de 1990 mais ils n'ont pas été remis en cause depuis. La valeur probante de la signature ne doit être ni sous-estimée, ni surestimée. Il est bon d'illustrer ici ce concept qui, s'il est encore mal connu, mérite la reconnaissance de son père fondateur, John Douglas.

En 1991 à Seattle, George Russel Jr est accusé d'avoir matraqué et étranglé à mort trois femmes de race blanche -Mary Ann Pohlreich, Andrea Levine et Carol Marie Beethe. La police dispose de preuves matérielles dans l'affaire Pohlreich, mais aucune dans les deux autres. Relier objectivement les trois assassinats est impossible pour le procureur. Il est par ailleurs difficile d'imaginer Russel comme l'auteur de crimes aussi atroces. Malgré quelques menus larcins, c'est un bel homme éloquent, charmant, qui a un vaste cercle d'amis et de relations. Même la police, qui l'a arrêté à plusieurs reprises par le passé, doute de sa culpabilité. L'avocat de la défense dépose logiquement une requête préliminaire pour que les affaires soient jugées séparément. Il part du principe que les modes opératoires des crimes varient sensiblement. Ils n'ont donc pas pu être commis par la même personne. L'agent spécial John Douglas du FBI est alors commis pour expliquer pourquoi un lien existe entre eux. Il mentionne tout d'abord l'attaque-éclair, l'élément commun au mode opératoire des trois homicides. Il constate effectivement des variations dans le modus operandi, alors que la série criminelle n'a duré que trois semaines. Il existe une escalade criminelle à connotation sexuelle d'une victime à l'autre. La première a les mains jointes et les jambes croisées à hauteur des chevilles. Le tueur l'a abandonné entre une grille d'égoût et une poubelle. La deuxième est retrouvée sur son lit. Elle a un oreiller sur la tête, les jambes écartées et fléchies, un fusil enfoncé dans le vagin. Il lui a mis des chaussures rouges à talons. La dernière est déployée sur son lit. Elle a un vibromasseur dans la bouche et le deuxième tome d'un ouvrage consacré au plaisir sexuel sous le bras gauche. Il fait remarquer qu'un même individu a pu se perfectionner ou réagir à une circonstance imprévue, même sur une courte période. Mais il établit surtout la signature immuable du tueur : les trois femmes sont laissées nues dans des postures humiliantes ou dégradantes. L'attaque-éclair était nécessaire pour tuer ces femmes, la posture donnée au corps, en revanche, ne l'était pas.

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