PERSPECTIVES

Comment sortir de la lutte ?
Contrairement à une idée toute faite, la mort de Franco n'a pas pour autant rendu caduc le combat des deux ETA. Certes, la démocratie, les autonomies, la formation d'un gouvernement basque, la mise en place d'une police basque, ont vidé une part du contenu revendicatif ETA. Plus grave,  la "base" suit moins bien. Selon une enquête du "Centre de recherches sociologiques" publiée en juillet 1981, les 2.100.000 habitants du Pays basque veulent une terre autonome, à l'intérieur d'une Espagne démocratique et pluraliste. Les participants de l'indépendance, qui étaient 12 % en 1976, 26 % en 1979 sont passés à 18 % en 1980 pour revenir à 12 % en 1981. Quant aux étarres, 2 % seulement des basques les jugent patriotes (17 % en 1979), 11 % idéalistes (contre 33 % en 1979) et 41 % fous, criminels, manipulés (42 % en 1979), (enquête effectuée en 1981). D'où le succès de la campagne publicitaire entreprise par la police, demandant d'appeler, en cas d'information sur ETA un numéro de téléphone spécial ou d'écrire à une boîte postale particulière. Le résultat le plus encourageant des forces de l'ordre fut la dissolution ETA(pm) VII Assemblée le 30 septembre 1982 et l'adieu aux armes d'une centaine d'activistes, grâce aux efforts de Juan José Roson et de Mario Onaindia secrétaire général d'EE. Pari ceux-ci José Lara Fernandez "Txepe" du comité exécutif ETA (pm), "Yoyes" assassinée par ses anciens compagnons en septembre 1986 et le chef des commandos José Autestia Urritia "Zotxa".

La lutte contre ETA se livre actuellement sur trois plans :
- policier, avec l'arrestation de plusieurs centaines de terroristes, dont "Santi Potros", et, en janvier 1988, de l'assassin de "Yoyes", José Luis Lopez Ruiz "Kubati".
- diplomatique, avec la remise par la France du chef des "Commandos autonomes anticapitalistes" Francisco Thomas Imaz Martiarena, en attendant qu'une solution intervienne pour le "chef historique" "Santi Potros".
- politique, enfin avec la réinsertion des étarres, juridiquement complexe.
Pour toute personne sensée, la paix en Euskadi passe par l'offre d'une issue  honorable aux militants ETA coupables de crimes de sang, ce que reconnaît Felipe Gonzalez en octobre 1987, après l'arrestation de "Santi Potros" : "maintenant, il faut savoir gagner". C'est dans cet esprit que des preuves de bonne volonté ont été données : ainsi l'"Ertzantza", la police autonome basque va-t-elle remplacer dans tout le Pays basque les forces de Sécurité de l'Etat de façon progressive, pour atteindre le chiffre de 7.000 agents et cadres (à fin 1987, elle représente 3.100 agents, dont 323 femmes, 17 commissariats, un budget annuel de 11,5 millions de francs).

Les largesses gouvernementales pourraient profiter à environ 900 étarres, dont 100 ont du sang sur les mains, à condition qu'ils abandonnent les armes et aident à démanteler l'appareil terroriste. Quatre-vingt d'entre eux sont en prison, douze au Pays basque français, le reste en Algérie. Pour les "durs", représentant environ la moitié de l'organisation, "tout cessez-le-feu ne peut qu'être postérieur à la reconnaissance de la souveraineté nationale", ce qui fait répondre à Felipe Gonzalez, "Vous, vous n'allez pas gagner, et nous, nous n'allons pas céder".

L'une des principales difficultés à la tenue de ces négociations, qui officiellement n'existent pas, consiste à trouver un interlocuteur : le dernier chef historique "Txomin" est mort l'an passé dans un accident d'automobile au sud d'Alger. C'est avec lui qu'en novembre 1986 et janvier 1987, un début de dialogue avait été entrepris avec Julian Sancristobal, à l'époque directeur de la Sécurité de l'Etat. Un temps fut pressenti comme intermédiaire le dirigeant du parti HB Inaki Esnaola, proche de "Txomin";il assure être suivi par 85 % de l'organisation, les éléments nationalistes ETA.
A la mi-août 1987, une première rencontre a lieu en Algérie entre Manuel Ballesteros, Jesus Martinez Torrès, super-flics anti-ETA et Eugenio Etcheveste "Antxon", chef historique du mouvement, au prestige intact quoiqu'aujourd'hui quelque peu marginalisé. Depuis, d'autres conversations ont suivi, à la mi-novembre, entre les mêmes personnages, ponctuées par l'attentat aveugle de Barcelone (21 morts), le passage au deuxième plan d'Artapalo, l'expulsion par la France de quatre-vingt activistes en 14 mois, le démantèlement enfin des fameux "Commando Madrid" et "Commando Barcelone".
Dans les faits, il semble que l'on aille vers des résultats positifs, qui engendreront encore une scission, laissant isolé et sans base sociale le secteur dur, qui devra affronter l'action conjointe des polices espagnoles et françaises, en même temps que la rancoeur des étarres sous les barreaux, qui ne voient pas de solution à leur situation. Si "Antxon" peut garantir d'être suivi par les trois-quart ETA, si Madrid accepte d'élargir tous les prisonniers - y compris ceux coupables de crimes de sang - alors l'avenir s'annoncera plus faste pour Euskadi sud.
1987, l'année du retour de bâton
1987 est une époque charnière pour ETA, l'année où l'organisation donne pour la première fois l'impression de chanceler. Ainsi le 29 septembre, sous l'impulsion du gouvernement français, la base arrière ETA, installée au Pays basque français va recevoir ses coups les plus durs.
Ce jour-là, ce sont 2.000 gendarmes et policiers qui quadrillent la région, à la recherche du chef d'"Iparetarrak", Philippe Bidart, poursuivi pour le meurtre d'un membre des forces de l'ordre. Une perquisition est effectuée à Anglet (Pyrénées-atlantiques) chez un séparatiste français, Joseph-Xavier Guimont, fondé de pouvoir dans une banque d'affaires privée. Là, ils interpellent, caché sous un lit, Santiago Arrospide Sarasola "Santi Potros", 39 ans, n°2 ETA (m), patron des commandos et découvrent un matériel imposant (armes, détonateurs), de l'argent (800.000 francs en liquide) et des notes, beaucoup de notes.

Le butin le plus intéressant consiste en une liste détaillée de projets d'attentats contre des personnalités, en particulier Michelle Ricard, fille du roi de l'anisette, le PDG des caves vinicoles Torrès, Luis Canellas, le directeur d'une chaîne de supermarchés de Saragosse Jean-Louis Heyndricks, le responsable des laboratoires Pierre Fabre à Barcelone André Szakvary et le directeur de la Société générale de Banque à Madrid Bernard Gillon. Tout y est : adresses, téléphones, type de voiture. Et surtout, certains carnets donnent en clair 500 noms de sympathisants et d'activistes, avec leurs habitudes et leur pseudo. En tout, quinze kilos de documents. Un véritable trésor pour les policiers.
Dans le même temps, à Saint-Pée sur Nivelle, près d'Ascain, un pavillon est cerné ; c'est une base logistique ETA. Un ancien parlementaire d'HB Inaki Picadea Burunza, condamné en Espagne à trente ans de prison pour meurtre, est arrêté ; des armes, explosifs, de l'argent et des documents sont découverts. Les terroristes, on le sait, sont des archivistes pointilleux. Dans la foulée, 132 perquisitions ont lieu, entraînant 97 interpellations, dont une douzaine d'éléments "actifs" ETA. Cinquante basque espagnols sont expulsés vers l'Europe, douze vers l'Algérie, trois au Vénézuela. Quelques jours plus tard, José Ramon Gonzalez Valderrama, dit "El Mono" 37 ans, tombe : il est l'expert en explosifs d'ETA (m) et est bientôt suivi de Miguel Miquez Garcia "Peque", chef de commandos de Navarre. Comble de malchance, le 20 décembre un barrage de routine au Pays basque français permet la prise de 68 sacs de vingt kilos d'"amonal" un explosif puissant. L'ensemble de ces opérations constitue sans conteste le coup le plus dur porté à ETA depuis sa fondation.

Aujourd'hui, devant la stagnation de son parti légal Herri Batasuna, et après l'assassinat par le Gal le 20 novembre 1984 de Santi Brouard, qui offrait une possibilité de négocier une paix honorable, ETA tient plus que jamais à son projet fondateur. Ce que veulent ses militants les plus durs, c'est l'indépendance totale d'Euskadi nord et sud, y compris la "Vasconie", en englobant les villes espagnoles de Bilbao, Pampelune, Logrono, Huesca en Aragon et s'arrêtant aux faubourgs de Saragosse. En France, le nouvel Etat socialiste, révolutionnaire et indépendant comprendrait Bordeaux et toute l'Aquitaine, les Landes, Pau, Mont-de-Marsan et frôlerait Toulouse. La lutte ETA ne concerne donc pas seulement l'Espagne ; à moyen terme, après une hypothétique "victoire" en Espagne, ce serait au tour de la France de devenir la cible principale.
Ainsi, en "charcutant" la carte de France et d'Espagne, la future nation basque pourrait-elle devenir économiquement viable, de par les richesses industrielles qu'elle engloberait (le Pays basque espagnol totalise actuellement 21 % des dépôts financiers de toute la Péninsule). Mais manifestement les quelques centaines de "liberados" ETA ont encore un long chemin à accomplir pour faire accepter aux quelques dix millions d'Euskadiens en puissance la réalité de cette nouvelle nation…

 
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