LA GUERILLA D'ETA

Logistique
Les commandos etarres se déplacent cachés dans de gros camions, peu contrôlés par la police. De 1984 à 1987, ce fut dans les remorques des "Transports Zalacain" ; chaque membre clandestin touche entre 30.000 et 60.000 pesetas (1.500 à 3.000 francs)(2), tandis que les dirigeants perçoivent 110.000 pesetas par mois (5.500 F). Le logement et la nourriture sont à la charge ETA qui procure voiture, explosif, grenade, gilet pare-balles et armes, achetées par quantités importantes. Ainsi le plastic leur coûte 12.000 pts le kilo, les lance-grenades RPG-7 200 000 pts, les grenades à main entre 4.000 et 4.500 pts l'unité, les munitions pour fusil d'assaut 58.000 pts le mille, les pistolets Astra 9 mm parabellum 100.000 pts, les "Firebird" 60.000 pts, les fameux pistolets-mitrailleurs "Ingram M11" dits "mariettas" 80.000 pts, le fusil d'assaut AKM/S 70.000 pts et l'"Uzi", pistolet mitrailleur israélien 130.000 pts.

Financement
Pour entretenir de telles structures, il faut de l'argent, beaucoup d'argent. Les fonds sont tout d'abord venus des attaques à main armée. Ainsi entre le 1er janvier et le 1er novembre 1978, plus de 46 attaques ont eu lieu, en particulier celle de la Caisse d'épargne du Guipuzcoa, attaquée dix fois. Ces forfaits rapportent sur ce court laps de temps plus de 82 millions de pesetas (± 4 millions de francs). Depuis, le système a été largement amélioré grâce à l'instauration de l'"impôt révolutionnaire", effectif depuis la mort de Franco. Imposé tout d'abord aux architectes, aux avocats, aux petits commerçants, l'"impôt" est peu à peu élargi aux principales sociétés industrielles.
Ainsi considère-t-on que 200 entreprises sont soumises à l'"impôt", le PNV préfère parler à son sujet de "chantage"; qu'elles payent entre 20.000 et 20 millions de pesetas selon leur importance et que la "récolte" de 1980 a dépassé le milliard de pesetas (50 M. de francs) pour ETA(m) et 1,5 milliards pour ETA(pm). La procédure est toujours la même : remise en petites coupures, dont les numéros ne se suivent pas, dans des bars de Saint-Jean de Luz ou Bayonne, ou transfert dans un compte numéroté d'une banque suisse. Résultat pratique : les industriels fuient Euskadi, avec bon nombre de membres des professions libérales, préférant s'expatrier, plutôt que de risquer une balle. Certains redressent la tête et refusent de payer tels Luis Olarra ou l'industriel Juan Alcorta, président de deux entreprises et d'une banque. A ce jour, il est toujours vivant. De même, le conseil de l'Ordre des médecins de Biscaye recommande officiellement à ses membres de ne pas payer. Mais ces exemples sont rares et les mille lettre comminatoires envoyées chaque année par ceux que l'on considère comme les "banquiers" ETA José Manuel Paguada Gallastegui "Peioto" et Ignacio Zabala Sarria ont, en termes de marketing direct, d'excellents résultats. Tant pis pour le Pays basque qui connaît, à cause de ce système, une fuite des investisseurs et le taux de chômage le plus haut de toute l'Espagne.

Le soutien international
ETA, année après année, a pris des contacts avec presque tous les groupes terroristes internationaux et jouit auprès de nombre d'entre eux d'un indéniable prestige.
1964 : Madariaga entre en contact avec le FLN algérien; entraînement d'étarres à Cuba,
1965 : contacts avec des groupes séparatistes flamands,
1966 : la Chine offre à Madariaga une aide économique ; assistance d'etarres à la conférence tricontinentale de la Havane,
1969 : un groupe nationaliste kurde annonce son appui à ETA,
1970 : constitution d'un front anti-oligarchique entre ETA, des bretons, des corses ; campagne mondiale d'appuis à ETA à l'occasion du procès de Burgos,
1971 : ETA intègre : l'"Union fédérale des communautés éthniques européennes" (Danemark), le "mouvement fédéraliste européen" (Paris), le "Parti fédéraliste européen" (Paris), l'"Association internationale de Défense des langues et cultures menacées" et l'"Association des minorités européennes",
1972 : contacts avec l'Ira et échange d'armes et de techniques, avec la présence d'Etchebarrieta en Irlande et d'instructeurs de l'IRA, spécialistes de l'explosif en Euskadi ; contacts avec les guerilleros d'Uruguay et assimilation de techniques tuparmaras, en particulier celle des "prisons du peuple"
1973 : contacts avec l'IRA ; entraînement en Irlande ; réunions avec les Palestiniens, le FLB (Bretagne), le FLQ (Québec) tentatives pour acquérir des armes dans les pays de l'Est. Il se murmure que la Lybie aurait apporté à ETA une aide de 70 millions de dollars,
1974 : "Wilson" maintient le contact avec l'IRA à travers des contacts à Alger, Paris et Bruxelles. Une nouvelle aide économique serait accordée par la Libye ; Cubillo intervient à Alger pour qu'ETA obtienne des armes. Les forces de l'ordre espagnoles signalent que des Etarres seraient à l'entraînement à Cuba et en Tchécoslovaquie
1975 : d'après les services de renseignement de Madrid, entraînement en Algérie, à l'Ecole de police de la Souma, près d'Alger, ainsi qu'en Yougoslavie, en Lybie et à Cuba. Contacts avec le Front polisario et peut-être avec la fraction armée rouge.
1976 : réunion avec le "Sinn Fein" irlandais ; entraînements dans les mêmes pays et envoi de militants auprès de Palestiniens.
Mais malgré cette abondance de contacts, ETA entend rester autonome et refusera, en 1985, de s'allier aux groupes communistes combattants "euroterroristes, en raison de son caractère nationaliste.

Qui dirige ETA ?
ETA obéit à une direction collégiale de neuf membres et s'impose un cloisonnement extrêmement rigide qui réduit les risques en cas d'arrestation. Longtemps, ses deux chefs furent "Wilson" et "Ezquerra".
"Wilson", c'est-à-dire Pedro Ignacio Beotegui (né à Vitoria en 1948) fut le chef du front politique et en tant que tel responsable de l'enlèvement de l'industriel Zabala en janvier 1972, puis de l'assassinat de Carrero Blanco. Quant à José Antonio Mugica Arregui, alias "le chef", "Equerra", "Urtain" ou "Zurdo", il était considéré comme l'un des étarres les plus violents, responsable en particulier de multiples attaques à main armée et du vol d'un camion de dynamite de l'"Union des explosifs Rio Tinto".
Depuis, d'autres têtes ont apparu : José Ignacio Arteche Aranzabal (2 mai 1949), José Luis Arzuaga Amondarain (20 janvier 1955), José Miguel Benaran Ordenana ( 7 mars 1949), José Maria Bereciartua Echarri "Txema" (1er octobre 1953), Angel Galarraga Mendizabal (13 juin 1954), Manuel Macazaga Goni (23 janvier 1936), Jesus Macazaga Igoa (16 juin 1950), José Manuel Pagoaga Gallastegui "Peixoto" (1er mai 1944), Tomas Perez Revilla (17 décembre 1937), Miguel Piedehierro Ormaechea (10 novembre 1952), José Martin Sagardia Zaldua "Usurbil" (5 avril 1951), Eloy Uriarte Diaz de Guerreno "Señor Roblès" (2 juillet 1942).

Il est  notoire que le comité exécutif se trouve en France, comme le prouve l'arrestation,  le 26 avril 1986, de Domingo Iturbe "Txomin" son animateur. Lui succède Francisco Mugica Garmendia "Artapalo", l'un des rares du CE à être encore en liberté. A ses côtés J.L. Santiago Lasa Michelena "Txikierdi", arrêté en janvier 1984 et incarcéré à Pau, Juan Ramon Aramburu Garmendia "Juanra", déporté au Cap Vert, J.A. Urruticoechea "Ternera", en liberté, José luis Ansola Larranaga "Peio el viejo", déporté à Cuba, Eugenio Echeveste Arizguren "Antxon", déporté à Saint-Domingue, aujourd'hui à Alger, Angel Maria Lete Echaniz "Patas" déporté au Cap Vert, Javier Maria Larreategui Cuadra "Atxulo" en liberté et José luis Alvarez Santacristina "Txelis" qui remplace "Antxon" et José Javier Zabaleta Elosegui "Waldo", se substituant à Lasa. A l'énumération de cette liste, on voit que la collaboration entre les polices espagnole et française n'est pas inutile. Le comité exécutif ETA est démantelé, les cooptations nombreuses et l'avenir incertain. Et depuis la découverte à l'hiver 1986 par la police française d'une des principales "planques" ETA, l'entreprise "Sokoa" à Hendaye, les autorités auraient entre leurs mains la liste complète et à jour de 90 % des noms des commandos actifs : 140 membres, plus les chefs de l'organisation.
En février 1988, du fait de la répression, la direction d'ETA est une fois encore remaniée. Elle se composerait, de source basque indépendantiste fiable d'un triumvirat idéologiquement homogène, et jouissant de pouvoirs très étendus, à un point jamais atteint au cours de l'histoire d'ETA, du fait des difficultés actuelles à réunir en France des organes de direction élargis.

Les trois dirigeants actuels d'ETA ont en commun, d'après ceux qui les connaissent, le goût de l'action violente, leur niveau intellectuel médiocre, et leur personnalité introvertie.
- Francisco Mugica Garmendia "Artapalo" ou "Paquito" (1), entré à ETA grâce à "Yoyes" qu'il fit par la suite assassiner, exilé en France depuis 1975, fondateur des commandos "Bereziak" (spéciaux) intégré par la suite à ETA(m) et en perte de vitesse en ce moment.
- José Luis Alvarez Santacristina "Txelis", licencié en philosophie à la Sorbonne, un marxiste léniniste qui n'a jamais participé à un acte sanglant, fondateur de l'organisation de jeunes EGAN, entré à la direction ETA grâce à "Mugica".
- José Antonio Urruticoechea Bengoechea "Josu Ternera", membre du comité exécutif depuis 1975, né à Miravalles le 24 décembre 1950, qui passe son bac à Bilbao et travaille à la section informatique de la banque de Biscaye à Deusto. Il veut alors devenir ingénieur, mais son manque de talent le fait taxer de "médiocre" par ses employeurs.
Longtemps lié au mythique "Argala", (meurtrier de Carrero Blanco), il passe pour un séparatiste non marxiste, un homme violent et irascible. Il est considéré par ses compagnons comme le véritable numéro un ETA, après l'éclipse de Mugica, la mort de "Txomin" et la capture de "Santi Potros". C'est lui qui constitue le principal obstacle à la paix, par sa volonté de maintenir les positions les plus intransigeantes.
Ce groupe de trois hommes maintient aujourd'hui la fiction d'une ETA une et indivisible, grâce aussi aux efforts du plus vieux des dirigeants : Eloy Uriarte Diaz de Guereno "Senor Robles", le "gérant" ETA, celui qui reçoit l'impôt révolutionnaire et blanchit l'argent des enlèvements et des hold-up. Voila le noyau dur qui constitue le plus grand obstacle à la négociation avec le gouvernement de Madrid.

 
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