Les Tigres et le narcoterrorisme
 
  
"Pour ce qui est des liens existants entre les filières du trafic d’héroïne et les mouvements terroristes tamouls, signalons qu’à l’occasion de nombreuses enquêtes judiciaires, des éléments ont été dégagés, des documents appréhendés selon lesquels narcotrafiquants et séparatistes tamouls ont partie liée. En mai 1986 notamment, lors de l’arrestation en région parisienne de responsables du “Comité de coordination Tamoul” mêlés à un trafic de drogue, les investigations ont permis d’établir des intelligences avec les “Tigres de la Libération”, l’un des bras armés de la résistance tamoule au régime cinghalais."
Note de la Brigade des Stupéfiants, 25 mai 1987
  
 

Par l'ampleur du trafic d'héroïne qu'ils organisent dès 1982, par la froide cruauté avec laquelle ils "gèrent" leurs filières et réseaux, les séparatistes tamouls sont encore des précurseurs. Mais, à l'époque personne ne s'en inquiète vraiment. Des entités se voulant politiquement légitimes, combattant pour l'idéal, noble entre tous, de la libération d'un peuple, importent en Europe des tonnes d'héroïne pendant au moins cinq ans ? "Le Monde" (31/7/85) se borne à remarquer que "ce trafic a parfois des résonances politiques". Quant aux organismes internationaux spécialisés, ils ne veulent tout simplement pas savoir : "Interpol ou le centre de lutte contre la drogue des Nations-Unies, à Vienne, n'ont pas vocation à s'y intéresser [à la nature "politique" du narcotrafic, NDLR]. Pour eux, la filière srilankaise, ce sont avant tout - et seulement - quelque 1500 kilos d'héroïne introduits en Europe durant la seule année 1984  .

Et pourtant : dès 1982, les services de douanes de pays situés à la périphérie de l'Europe occidentale commencent à signaler des saisies de "brown sugar" pakistanais, par quantités de 3 à 10 kilos, sur des tamouls de Ceylan. Ce sont toujours de pauvres hères, que la presse qualifie vite de "kamikazes du narcotrafic", ou encore d' "OS", de la drogue. L'invasion de ces "coolies" atteint en 1983 le cœur de l'Europe et l'année suivante, Interpol estime que la filière srilankaise est responsable de l'importation de 1,5 tonne d'héroïne en Europe - quantité gigantesque à l'époque, où une saisie de 10 kilos de "poudre" fait la "une" des journaux. Cette année là, 135 kilos d'héroïne sont saisis en Europe et 241 tamouls de Ceylan y sont arrêtés - dont 89 en France.

Les filières ? Les "kamikazes" partent toujours de Colombo, Madras ou Bombay. L'héroïne, elle, vient du "Croissant d'Or", d'où de fréquentes escales des courriers à Karachi, au Pakistan. Sinon, la filière de l'Est passe par l'URSS et Berlin-Est, puis Ouest, enfin la France ou les Pays-Bas. Autre filière orientale : via la Syrie, ou les Tigres ont des amis chez les extrémistes palestiniens, la Tunisie et enfin l'Europe du sud, France ou Italie. Dans ce dernier pays, les séparatistes tamouls ont de précieux contacts à Rome, mais aussi à Naples, Catane et Palerme, où existent des communautés d'émigrés tamouls. Une dernière filière passe par les Canaries et l'Espagne.
En 1985, 645 passeurs tamouls de Jaffna sont arrêtés en Europe, porteurs de 93 kilos d'héroïne, en Allemagne de l'Ouest, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne (Madrid, Barcelone, Las Palmas - Canaries), France (Paris, Marseille), Grande-Bretagne, Grèce, Italie (Rome, Naples, Palerme, Catane), Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Suisse. D'autres encore en Yougoslavie et en Tunisie. On le voit : l'investissement de l'Europe est massif et méthodique.

Septembre-octobre 1984 : arrestation à Rome et dans la région, de dizaines de tamouls de Jaffna vivant à dix ou quinze dans des taudis, en possession de quantités importantes d'héroïne. Détail abominable : ces passeurs, illettrés, absolument dépourvus de documents d'identité et ne sachant que griffonner "leur" nom et date de naissance, ont souvent la langue coupée. Un moyen infaillible pour s'assurer de leur silence définitif ...

Octobre 1984 : un tamoul de Jaffna est arrêté à l'aéroport de Londres-Heathrow, porteur de 2,5 kilos d'héroïne. Il avoue vendre la drogue au profit des Tigres.

Février 1985 : arrestation à Pierrefitte, Seine Saint-Denis, de tamouls de Jaffna en possession de 5 kilos d'héroïne.

Mars 1985 en Italie : les interpellations de l'automne précédent, permettent de remonter la filière. Dans la région de Rome, arrestation d'un réseau de Tamouls de Jaffna en possession d'importantes quantités de brown sugar dont les chefs sont Selliah Pushpathillainathan (25 ans) et Mylvaganam Thevendraraja (28 ans). A Naples, interpellation de Durairajah Prabhakaran porteur de 3 kilos de brown sugar. Un de ses complices détient, lui, 7 kilos de cette drogue. A Catane, Sicile, des Tamouls de Jaffna détiennent 15 kilos d'héroïne. Ces perquisitions permettent de saisir nombre d'éléments de propagande et documents internes des TLET, plus de 40 kilos d'héroïne, plusieurs millions de Deutschemark, etc. Le 16 mars 1985, la justice italienne inculpe ces individus et 33 de leurs complices, âgés de 20 à 30 ans, de "conspiration criminelle pour un trafic de drogue international", faux et usage de faux documents officiels, etc. Dans "L'Expresso" du 19 mars 1985, le procureur de Rome Luciano Infelisi souligne : "ces individus agissaient par conviction politique... leurs profits servaient à acheter des armes". L'enquête révèle aussi que ces Tamouls sont en contact étroit avec la Camorra (Naples) et Cosa Nostra (Catane et Palerme). Ces tenants de l'omerta ont sans doute été fort impressionnés par l’infaillible silence des porteurs aux langues coupées...

Octobre 1985 : La Brigade des Stupéfiants et du Proxénétisme arrête une dizaine de tamouls dans un pavillon de Seine-et-Marne, en possession de 10 kilos d'héroïne. Au total, 60 Srilankais tamouls sont interpellés, dont 9 des cadres du réseau. La plupart sont des "réfugiés politiques". Le même mois, procès à Paris de 8 Tamouls de Jaffna, dont une femme; eux aussi bénéficiant du droit d'asile au titre "politique". L'un des accusés, M. Rajaratnam avoue : son groupe appartient aux TLET, au profit desquels se fait le trafic. L'argent gagné est envoyé à "Kumar", un autre Tigre résidant à Bombay, Inde.

En juin 1986, enfin, un réseau de tamouls de Jaffna est démantelé à Sarcelles. Ses responsables, MM. Chandrakhumarran et Vellutylul, sont aussi les dirigeants du "Comité de coordination tamoul en France", une association-écran où les Tigres font la loi.
Depuis, les narcoterroristes Tamouls persévèrent - plus prudemment. Mais en mars 1993 encore, l’OCTRIS et le SRPJ de Strasbourg ont démantelé une filière srilankaise de trafic d’héroïne entre la France, les Pays-Bas et l’Espagne. Selon les observations policières, 7 Tamouls srilankais dirigés par Srikandjarah JE... (de son métier, vendeur en librairie au Quartier Latin) avaient introduit 8,2 kilos d’héroïne indienne dans notre pays entre octobre 92 et mars 93.

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