LA CONTROVERSE HELLENO-MACEDONIENNE

Pour les Macédoniens de Skopje, tout est simple : “Nous sommes des Slaves venus ici au cours des VIème et VIIème siècles et, pour nous différencier des autres peuples slaves, bulgares ou serbes, nous avons pris le nom du territoire sur lequel nous nous sommes installés”(1). Il existe, par conséquent, une nation slavo-macédoniennne qui n’a rien à voir avec la Grèce et possède son histoire, sa langue originale, ses traditions, son Eglise(2).

Tel semble être également l’avis du Minority Rights Group, institution britannique aussi sérieuse que respec-tée, qui souligne : “Les Macédoniens, un peuple slave à ne pas confondre avec les sujets de Philippe de Macédoine dans l’antiquité, etc.”. Et voila exactement où le bât blesse, les grecs n’admettant pas ce qu’ils estiment être une usurpation de leur histoire et de leur culture.

Pour les Grecs, la Macédoine-Skopje d’aujourd’hui est distincte de la Macédoine originale, celle de Philippe II et de son fils, Alexandre le Grand. Géographiquement, celle-ci comprenait la Macédoine-Egée, plus une petite frange au sud de ce qui est aujourd’hui la Macédoine-Vardar et la Macédoine-Pirin. Du temps d’Alexandre, l'actuelle Macédoine-Skopje était habitée par deux peuples dif-férents des Macédoniens, les Paioniens et les Dardaniens. Aujourd’hui, disent les grecs, leurs descendants parlent un patois bulgare, mélangé de turc et d’albanais, qui n’a rien de “macédonien”.

Culturellement, poursuivent les Grecs - qui s’appuient sur Aristote, Polybe, Thucydide et Hérodote - Grecs et Macédoniens de l’antiquité parlaient la même langue, adoraient les mêmes dieux dans les mêmes sanctuaires et respectaient les mêmes coutumes. Politiquement, dès cette époque et depuis lors, la Macédoine a toujours été le bastion avancé et le rempart de la Grèce. Preuve absolue, enfin, de l’hellénité de la Macédoine : le 8 novembre 1977, le grand archéologue grec Manolis Andronikos a découvert le mausolée funéraire de Philippe II. Celui-ci se trouvait à Vergina, à l’ouest de Salonique, en Grèce donc, et pas du côté de Skopje.

Pas du tout, rétorquent les Slavo-Macédoniens. Nos ancêtres étaient cousins des Thraces et des Illyriens. Et la Macédoine antique était un Etat distinct de la Grèce ayant ses monarques propres. D’ailleurs Philippe II s’est battu contre les Grecs : à Chéronée, en 383 avant JC, il a infligé une mémorable défaite à l’alliance Athènes-Thèbes. Enfin, dans ses “Philippiques”, Démosthène traite les Macédoniens de “barbares”. Aujourd’hui, nos frères macédoniens de Bulgarie et de Grèce sont réduits à l’état de minorités opprimées(3)  et nos terres sont occupées; sous le joug colonial hellénique, Solun est devenue Salonique, Costur, Kastoria, et Lerin, Florina.

Campant sur leurs positions, Grecs et Slavo-Macédoniens alimentent ainsi une controverse sans fin, pour laquelle l’expression “dialogue de sourds” semble avoir été forgée. Et ce n’est certes pas la suite de l’histoire d’une terre où cultures, peuples (Grecs, Romains, Byzantins, Bulgares, Turcs, Albanais, Valaques, etc.) et Etats ne cessent de s’affronter depuis plus de deux millénaires, qui va permettre de rapprocher les points de vue.
Arrivées dans les Balkans au VIème et VIIème siècles, les populations slaves passent vite sous la domination de Byzance, qui crée dans la région une province, géographiquement floue, nommée “Macédoine”. Le Tsar bulgare Siméon (893-927) s’en empare d’abord ; puis elle se trouve incluse dans l’empire du Tsar Samuilo (976-1014). Cet éphémère ensemble bulgaro-macédonien s’étend de la zone de Prespa-Ohrid jusqu’à l’Adriatique, à l’ouest et à la Mer Noire, à l’est. Au sud, cet empire comprend une partie de la Grèce, mais, notons-le, pas Salonique. Et dès cette époque, l’ambiguïté est bien installée. Car si les Slavo-Macédoniens présentent l’empire de Samuilo comme le modèle originel de leur “grande Macédoine”, le monarque Byzantin qui écrase en 1014 les troupes “macédoniennes” à la bataille de Kleidon(4), y gagne le surnom de Basile II “Bulgaroctonos”, c’est-à-dire “l’exterminateur des Bul-gares” ! En 1018, Byzance règne à nouveau sur la Macédoine, qui est conquise à la fin du XIIIème siècle par les Serbes. Elle passe enfin sous contrôle Ottoman en 1371 et le reste jusqu’en 1912. Au total, à cette date, les Macédoniens ont été libres trente ans, en plus de onze siècles...

(1) Kiro Gligorov, président de la Macédoine-Skopje, in “Le Monde” du 7 avril 1992.
(2) Une Eglise orthodoxe macédonienne autocéphale a été fondée à Skopje en 1968; elle a créé depuis un évêché en Amérique du nord. Cette Eglise n'est reconnue ni par le Patriarcat de Constantinople, ni par celui de Serbie.
(3) En 1982, ces arguments étaient déjà ceux de la Ligue des communistes de Macédoine, qui, lors de son 8ème congrès, du 6 au 9 mai, exigeait “la reconnaissance et la protection de la minorité macédonienne grecque” et se déclarait “prêt à se battre pour elle”. La même année, en juin, le 12ème congrès de la Ligue des communistes yougoslaves déclarait “les Macédoniens de Grèce sont opprimés”.
(4) Et les punit d’une façon particulièrement cruelle. Les milliers de guerriers macédoniens capturés ont tous les yeux crevés -.sauf un sur cent, pour guider les autres.- et sont ensuite renvoyés à Prilep. Samuilo meurt de saisissement en voyant arriver le pitoyable cortège.

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