L’IRAN, LA LIBYE, ETC. ET LES PAYS DES BALKANS : DES  “INFLUENCES” INQUIETANTES

Les relations entre l’Iran et la Libye -des pays ayant fait régulièrement et de façon avérée usage de l’arme terroriste au cours de la décennie 80- et les pays des Balkans n’ont pas débuté en 1989, avec l’effondrement du communisme. Le rôle central de la Yougoslavie dans le Mouvement des non-alignés (MNA), et de passerelle entre l’Est et l’Ouest la rendait précieuse pour des pays “anti-impérialistes” ayant régulièrement besoin d’infiltrer, de façon discrète, des agents en Europe.
Depuis les années 70 par exemple, l’ambassade de Libye à Belgrade était la plaque tournante des trafics d’armes des services spéciaux de Tripoli, vers le Liban en guerre civile (1975-1990). Depuis la mort de Tito, l'Iran jouait de son côté au chat et à la souris avec la Yougoslavie, la courtisant dans les réunions du MNA mais fustigeant la répression anti-islamique menée sporadi-quement dans le pays. En septembre 1989 encore, le Ra´s-ul-Ulema (1)  de l’époque, accompagné de plusieurs de ses pairs, tenait une réunion de travail à l’ambassade iranienne de Belgrade avec le ministre des Affaires étrangères de la République islamique, Ali Akbar Velayati, pour “appro-fondir les liens entre musulmans des deux pays”.

Mais en 1991, l’éclatement de la “seconde Yougoslavie” change du tout au tout les données de l’équation régionale pour l’Iran et la Libye, qui ne sont pas longs à comprendre l’intérêt de Balkans en ébullition pour la révolution, pour l’Islam activiste.

  La République islamique d’Iran

En mai 1991, Alija Izetbegovic, président de la Bosnie-Herzégovine, visite la République islamique d’Iran. A Téhéran, il déclare souhaiter le renforcement des liens économiques, politiques et culturels entre les deux pays; il annonce la parution prochaine du “Najd ul-Balagha”(2)   en langue serbo-croate, à Sarajevo. En juin 1991, le centre culturel iranien de Belgrade co-patronne une “Conférence du pèlerinage” à Zagreb - en réalité, une manifestation de propagande révolutionnaire islamique -. En février 1992, ce même centre entame la publication d’une revue trimestrielle en langue serbo-croate, “Nour” (la lumière); son objectif est, là encore, de “renforcer les liens entre les Musul-mans d'Iran et de Yougoslavie”.

L’Iran a reconnu l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de la Slovénie le 17 mars 1992. En juin 1992 encore, Alija Izetbegovic remercie l’Iran pour les efforts que ce pays déploie en faveur de la Bosnie-Herzégovine aux Nations-Unies et à l’Organisation de la conférence islamique(3)  . En avril de la même année, le vice-ministre croate des Affaires étrangères, Zvonimir Separovic, visite Téhéran où il signe un traité de coopération économique, scientifique et culturelle avec la RII; il est accompagné par des dignitaires musulmans croates et slovènes qui s'entretiennent avec leurs homologues iraniens. L’établissement d’une liaison aérienne Téhéran-Zagreb est décidée; diplomates et détenteurs de passeports de service des deux pays sont désormais dispensés de visas. La RII a également noué des liens avec l’Albanie (musulmane) et la Bulgarie (possédant une importante minorité musulmane). Fin juillet 1991, Bahram Ghasemi, émissaire spécial du ministre iranien des Affaires étrangères, visite Tirana pour y préparer l’ouverture d’une ambassade. Il y rencontre Sabri Kuchi, un dirigeant musulman qui vient de passer 22 ans dans les geôles communistes. L’ambassade est ouverte à l’automne de la même année. Fin décembre 1991, le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères bulgares, Stojan Ganev, visite l’Iran. Il y apaise les craintes du président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani au sujet de la minorité musulmane bulgare et déclare souhaiter le renforcement des liens entre les deux pays.

  La Libye

La Libye a reconnu l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de la Slovénie le 14 mars 1992. Mais si Tripoli a également reçu la visite d’Alija Izetbegovic, la diplomatie libyenne s’est surtout attachée à nouer des contacts avec la Croatie et la Macédoine. En novembre 1991, le vice-premier ministre croate, Jurica Pavelitch, se rend en Libye; l’ouverture de consulats à Zagreb et Tripoli est notamment décidée lors de cette visite. Reconnaissant à la minute une situation explosive, Moammar Kadhafi s’est empressé d’inviter le président de la Macédoine-Skopje, sitôt celle-ci indépendante. Kiro Gligorov est reçu à Tripoli en novembre 1991 et y condamne fermement l’agression américaine sur la Libye(4). Un programme d’assistance multiforme à Skopje est décidé au cours de la réunion. Il inclurait, selon des échos recueillis à Skopje, un volet militaire; mais, à ce jour, aucun élément concret n’est venu confirmer ces bruits.

(1) Chef suprême de la communauté des Musulmans de Yougoslavie
(2) C’est un recueil des pensées pieuses, militantes, sociales, etc. de l’Imam Ali; pour le chi’isme, toute révérence gardée, un peu l’équivalent du “Petit livre rouge” du président Mao.
(3) Et, sans doute, plus discrètement, pour ses efforts militaires. Depuis juillet 1992, en effet, les observateurs étaient intrigués par de mystérieuses et encombrantes livraisons déchargées de nuit par des équipages d’Iran Air à Zagreb et expédiées en Bosnie-herzégovine. Au début du mois de septembre, un Boeing 747 d’Iran Air est inspecté par les autorités croates.: il contient 4.000 fusils d’assaut, un million de cartouches et une quarantaine de Pasdaranà
(4) Radio-Tripoli, 3 novembre 1991, 12h. 30.

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