TERRORISME NOIR EN ITALIE : LE CONTEXTE

Dans l’Italie des années 60, une activité économique intense -le “miracle italien”- et l’accession de tout le nord de la Péninsule à la société de consommation s’accompagnent d’une activité politique et sociale tout aussi exubérante; ces phénomènes se déroulent et se conjuguent tous dans un pays au cadre institutionnel vétuste, délabré, inefficace, rongé par la corruption et les combinazione. Ainsi, la décennie 60 voit l’Italie vivre successivement :

• En 1960, une tentative infructueuse de coalition entre la droite de la Démocratie chrétienne (DC) et le Mouvement social italien (MSI, néo fasciste). Confronté à des réactions violentes et massives de la gauche politique et syndicale, le cabinet Tambroni est rapidement renversé (1). Dans le courant néo-fasciste, ceux qui avaient déjà rompu avec un MSI “embourgeoisé (Ordine nuovo en 1956) (2)  sont confirmés dans l’idée que la voie parlementaire leur est définitivement fermée. D’autres (Avangardia Nazionale, en 1963) ne tardent pas à penser de même. Jusqu’alors canalisés par le MSI, les courants radicaux du camp néo-fasciste sont désormais prêts à toutes les aventures.

• A la fin des années 60, le “Mai rampant” italien (3) voit les organisations d’extrême-gauche, le mouvement étudiant, faire massivement irruption sur la scène politique du pays. Les groupes extrémistes adhérant encore au MSI, notamment le “Fronte della Gioventu’” enragent de la mollesse de leurs aînés devant la montée de la gauche et l’amorce d’un terrorisme révolutionnaire. Ils commencent à ressentir avec angoisse le besoin d’une riposte à la hauteur de l’attaque; un sentiment qui pousse partout et toujours les activistes, de quelque bord qu’ils soient, à l’acte violent.

Au début des années 70, c’est la montée en puissance du PC italien -qui semble alors irrésistible; les grandes grèves, très violentes parfois, dans les principales usines du nord du pays. A l’autre extrême, le MSI fr»le les 10% des voix, mais cela fait longtemps que les jeunes néo-fascistes les plus durs se sont détachés de lui. “Ordine Nero”, “Terza Posizione”, “Nuclei Armati Rivoluzionari” (voir p...) ont adopté l’idéologie nationaliste-révolutionnaire (voir p...) et trouvent leurs modèles militants à l’autre extrême : chez les Brigades rouges et à “Autonomie Prolétaire”. Point commun entre tous ces extrémismes : considérer la violence comme la seule voie possible pour faire s’effondrer un “système” haï.

Après le premier grand acte de terreur, l’attentat-massacre de la Banca dell’ Agricoltura, piazza Fontana à Milan, le 12 décembre 1969 (voir p...), naît une théorie : celle de la “stratégie de la tension”, qui séduit tout de suite l’opinion publique. Ce ne sont en effet que conspirations; personnages mystérieux tirant, dans l’ombre, les ficelles; complots de services secrets indigènes ou étrangers; groupuscules manipulés, banquiers “suicidés”, politiciens corrompus et cardinaux brassant des milliards; sans oublier les confessions rétractées par la suite ni les témoins à éclipse.(4)   (voir Complots). Bien entendu, aussi, des massacres. Selon les théoriciens de cette “stratégie”, cette terreur aveugle -mais pas aléatoire- préparerait l’opinion à un pouvoir musclé, appliquant un programme type “Loi et Ordre” et privant la gauche de l’espoir même du pouvoir.

Selon les mêmes experts, une première phase de la stratégie de la tension se déroule entre 1969 et 1974. Après une période de calme, la tension renaît en 1980 avec le massacre de la gare de Bologne (voir p...); elle connaît un dernier spasme avec l’attentat contre le train Naples-Milan à la noël 1984 (voir p...). Au total, entre 1969 et 1984, les “stragi”, ces carnages aveugles attribués aux néo-fascistes italiens, font 144 morts et des centaines de blessés. Et laissent l’Italie en proie à la plus totale confusion.

A juste titre car il faut bien dire que des magistrats avides de publicité aux politiciens démagogues en passant par les journalistes imaginatifs, les “repentis” mythomanes et les “experts” paranoïaques, tous ont conjugué leurs efforts pour rendre le dossier du terrorisme noir italien pratiquement incompréhensible.
Rude travail, donc, que celui qui a consisté à le reprendre de A à Z, de le débarrasser de toutes les calembredaines, âneries et absurdités qui l’encombraient, pour le ramener à des faits : des organisations, des individus, des actes criminels, des enquêtes, des procès. Les faits, les preuves -il y en a peu- sont présentés plus bas. Les théories, supputations, hypothèses, interprétations, ont été évoquées quand elles présentaient un intérêt historique, ou anecdotique; elles ont, sinon, fini à la poubelle.
Résultat : un dossier qui comporte toujours son lot de singularités, d’ombres et de mystères (voir conclusion, p...) mais qui est quand même sérieusement élagué. Et qui pourrait se révéler utile au moment ou la déliquescence -et même l’effondrement- du MSI risquent de jeter tout ou partie de la jeunesse néo-fasciste italienne sur la voie, toujours tentante, de l’activisme et de la violence. (5)

(1) Voir, en annexe, p... le tableau des cabinets italiens 1960-91.
(2)  Pour les organisations néo-fascistes radicales, voir p...
(3)  Voir le N° 3 des “Notes & Etudes”, décembre 1987, sur les Brigades rouges et l’histoire de l’activisme, puis du terrorisme communiste-combattant en Italie.
(4)  Dans l’affaire du banquier Michele Sindona, on ira même jusqu’aux faux enlèvements et à l’invention de groupes fictifs de type ‘Brigades rouges”. Le juge qui suivait cette affaire est assassiné en 1979; finalement arrêté, son meurtrier est abattu en 1984 au cours d’une “tentative d'évasion"
(5) A l’automne de 1991, le MSI est déchiré de courants en guerre les uns contre les autres. “Impegno Unitario”, dirigé par Franco Servello; “Nuove Prospettive” de Mirko Tremaglia; “Destra Italiana” de Domenico Lo Porto forment une majorité bancale autour du secrétaire

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