ELEMENTS DE LA BIOGRAPHIE
DE L'IMAM MARTYR MOHAMED BAKR-EL-SADR.

("Révolution Islamique, août 1980, traduction, Xavier Raufer)

Sa naissance
L'Imam martyr Bakr El-Sadr est né en 1935 à Kadhimiyeh, un faubourg de Bagdad où reposent les Imams Moussa, fils de Ja'afar et Mohamed El-Jawad (1). Kadhimiyeh est célèbre pour son centre d'études théologiques.

Sa famille
Son père était un Sadr, et sa mère une Yassin. La famille Yassin a joué un rôle éminent dans la vie scientifique sociale et politique de l'Irak ; la famille Sadr, elle, profondément pieuse, est au coeur de l'histoire de l'Islam depuis plusieurs siècles. Elle a toujours été un centre de rayonnement intellectuel et spirituel. Dans la période récente, cette famille a fourni d'éminents docteurs de la foi à l'Irak, à l'Iran et au Liban. Parmi ceux-ci, Seyyed Sadr El-Din El-Sadr (2) de Qom, un théologien éminent, et le défunt Seyyed Mohamed El-Sadr, l'un des dirigeants de la révolution de 1920 contre le colonisateur britannique, l'un des leaders les plus distingués du mouvement Islamique de Libération des années 20. Il fut le fondateur des Gardiens de l'Indépendance, parti qui a conduit la lutte des masses Musulmanes, contre les Anglais d'abord, puis contre la monarchie en s'inspirant des directives de l'état major Islamique de Nadjaf.
Ces deux exemples sont choisis parmi bien d'autres.
Dans sa famille, on pouvait aussi trouver Seyyed Moussa Sadr du Liban, et le défunt Abdul-Hussein Charafuddin du Djebel Amil, qui prit une part éminente à la lutte contre le colonisateur français en Syrie. Ajoutons à cette liste Seyyed Ismaël El-Sadr (grand-père de l'Imam martyr) l'une des références philosophiques et théologiques majeures de notre communauté. L'Imam martyr laisse un fils, Ja'afar, âgé de 11 ans (en 1980 NDT), trois filles, son épouse et une mère dans l'affliction.

Son père
Son père, Seyyed Haïdar El-Sadr, était un éminent savant et philosophe. Il décéda à l'âge de 48 ans, faisant de l'Imam martyr un orphelin à l'âge de quatre ans.

Les caractéristiques de la famille Sadr
La famille Sadr présente quelques caractéristiques remarquables :
1 - C'est une famille profondément Arabe, dont les origines remontent au Prophète. L'un de ses aïeux, Sadr El-Din, a quitté le Liban pour se fixer en Irak.
2 - C'est une famille de savants, attirés par les études Islamiques, ils ont tous en commun d'être des serviteurs de la foi Islamique.
3 - C'est une famille bien connue pour son engagement et son rôle moteur dans la lutte de libération, et ce à chacun des épisodes nombre de l'histoire récente de l'Irak : l'occupation militaire britannique, la monarchie, la dictature militaire qui lui succéda. Cette famille a mis toutes ses capacités au service de la lutte Islamique de Libération, la conduisant à travers les pires difficultés.

L'Orphelin
Dieu voulut que le destin de l'Imam martyr fut d'être un orphelin et qu'il fut élevé par sa mère et son frère le Docteur (de la foi NDT) Seyyed Ismaël El-Sadr, l'un des grands savants de son temps. Dieu voulut que l'Imam suivit les pas de son ancêtre le Messager de Dieu ; ainsi il lui fit connaître la misère et le besoin : les effets de son état d'orphelin se feront sentir sur sa psychologie, sa pensée et ses théories, et même sur son comportement personnel.

Son éducation
Les signes du génie se firent sentir de très bonne heure en notre Imam martyr et, dès son enfance, il suscita l'admiration de tous ceux qui l'approchaient. Ne partageant pas les jeux des autres enfants, il était étrangement supérieur à eux dans tous les domaines ; ainsi, en raison de son équilibre précoce et de la maturité de sa réflexion, il eut droit à un traitement particulier et put se joindre aux cénacles d'hommes mûrs et savants.

Il choisit ses études
Dans les années 30, deux options étaient ouvertes en matière de cursus académique : on pouvait tout d'abord faire ses études dans des établissements d'Etat, de type laïcs, qui dispensaient un enseignement athée et blasphématoire, destiné à former des dirigeants faibles et vulgaires, manquant de caractère et liés aux puissances étrangères. De ces études, il suffit de dire que les cours y étaient britanniques, apportés par le colonisateur puis traduits en Arabe !
L'autre option était l'étude des disciplines Islamiques dans des centres d'enseignement spécialisés dans la philosophie, le droit-canon et la théologie.
La différence entre ces deux types d'établissement était formidable : les premiers étaient financés par l'Etat. De ce fait, les étudiants y étaient à l'abri des problèmes financiers. A l'inverse, ceux qui s'inscrivaient dans les centres islamiques souffraient de la faim, manquaient de livres, de vêtements et éprouvaient les pires difficultés à se loger.

Un regard critique sur l'Histoire
Quand l'Imam martyr n'était encore qu'un petit enfant, il eut à décider de l'orientation de ses études ; sa famille décida qu'il serait bon qu'il s'inscrive dans une école d'Etat, du fait de ses exceptionnelles capacités, dans l'espoir qu'il acquière très vite un niveau de connaissances supérieur, et qu'il se fasse remarquer par quelque invention qui lui assurerait une place dans l'histoire. Cet avis était celui de son oncle, le Cheikh Morteza El-Yassin, un des plus grands docteurs de Nadjaf et maître de son centre d'enseignement, ainsi que celui de son oncle Radhi El-Yassin et d'ailleurs de toute sa famille, à l'exception toutefois de deux personnes : son oncle le Cheikh Mohamed Reza El-Yassin dont l'autorité théologique était illustre, qui ne prit pas position, et sa mère, aussi pieuse que vertueuse, qui déclara avec force que son fils suivrait la voie de ses parents et aïeux, et marcherait dans les pas de son illustre ancêtre le Messager de Dieu. Alors l'Imam martyr mit fin à la controverse en agissant comme suit :
Il s'isola durant une longue période, et, bien qu'il ne fut encore qu'un enfant, il s'entraîna à vivre dans le plus grand dépouillement, ne se nourrissant que de pain et de fromage, le régime usuel des étudiants des centres théologiques. Il découvrit ainsi, non seulement qu'il avait la capacité d'entamer les études Islamiques, mais encore qu'il y excellerait en dépit de la pauvreté et des privations. Ainsi, la décision émana de sa volonté propre : il deviendrait un serviteur de la religion de Mahomet, et il mettrait toutes ses capacités au service de l'Islam et de son message.
Il commença ses études primaires de théologie et d'arabe à l'école Imam El-Jawa à Kadhimiyeh, alors qu'il n'avait pas encore dix ans. A dix ans, il donnait déjà des conférences sur divers aspects de l'histoire de l'Islam, et avait déjà assimilé les rudiments de nombreuses disciplines. A 11 ans, il attaqua la logique et écrivit un mémoire critique sur plusieurs traités de logique antérieurs. Son intelligence brillante lui permettait d'assimiler la plupart des livres sans l'aide d'un professeur ! A l'âge particulièrement précoce de 12 ans, il étudia les grands axes de la philosophie Islamique avec l'aide de son frère, le Docteur Seyyed Ismaël El-Sadr ; et il opposait souvent, au cours de ses leçons, ses propres idées à celles de bien des maîtres de renom.

Son émigration (3)
A l'âge de 12 ans, l'Imam martyr émigra à Nadjaf et se plongea dans les différentes disciplines de la science Islamique. Il ne vivait que pour se cultiver. Progressivement, il parvint à former des jugements autorisés à partir de sa réflexion personnelle et maîtrisa parfaitement cette science à la veille de ses vingt ans. A 17 ans, il fut sollicité par le Cheikh, Ayatollah Abbas El-Rumaïthi, pour qu'il l'aide à rédiger sa grande thèse scientifique. Pendant cette même période, l'Imam martyr écrivit un recueil juridique qui est toujours disponible et que l'on considère comme l'une de ses oeuvres les plus achevées !

Sa vie de jeune adulte
L'Imam martyr fut très vite remarqué pour son génie et son exceptionnelle capacité à se cultiver ou à structurer sa pensée. Il étudia, dans le domaine des sciences Islamiques, avec le défunt Imam Seyyed Mohsen El-Hakim - à l'époque, l'autorité théologique suprême - avec le Cheikh Morteza El-Yassin et le docteur Seyyed Ismaël El-Sadr. Sa réputation était grande, et ses avis fort écoutés lors des réunions placées sous l'autorité du Cheikh Mohamed Reza El-Yassin, le jurisconsulte le plus réputé, où se retrouvaient des personnalités éminentes et vertueuses. A tel point que le Cheikh n'hésitait pas à citer certains des avis de l'Imam martyr. A cette époque, il écrivit son premier livre. Il n'avait que 17 ans.
Son habileté était grande à animer des réunions intellectuelles, qu'elles soient spéculatives ou scientifiques, scrutant avec passion le destin de la communauté (musulmane NDT), l'absence de l'Islam de la vie politique et examinant les problèmes qui accablaient notre communauté, les solutions pour qu'elle en sorte. Il posait constamment cette question : "Que faire ?" à ceux qui fréquentaient ses réunions, ou lors de celles où il se rendait, cherchant ainsi à susciter une prise de conscience chez les gouvernants et dans les sphères dirigeantes.
A cette époque, il commença à dévoiler son immense talent pour orienter les individus et pour animer les séminaires d'études, poussant ici les réflexions, là à multiplier les cénacles et les séminaires fréquentés par des étudiants croyants, attachés au salut de leur communauté et tentant d'imaginer des propositions scientifiques.
C'est à cette époque qu'il écrivit une thèse philosophique intitulée "l'objectif ultime de l'intelligence", à l'âge de 20 ans ! L'Imam commença à enseigner les rudiments de la jurisprudence pendant que lui-même acheva ses études dans cette discipline, à 24 ans ! Il finit son premier cycle de philosophie Islamique alors qu'il fêtait son 30ème anniversaire !

L'Imam : l'autorité religieuse, le penseur, le dirigeant
L'Imam Bakr-El-Sadr n'était pas seulement un génie en philosophie et en droit islamique, c'était aussi un réformateur de ces deux disciplines.
C'est pourquoi on le considère comme le chef d'une école aux caractéristiques très précises. L'Imam martyr s'assurait toujours de bien rapporter ses avis juridiques au corps de la doctrine, et ses recherches philosophiques firent échapper cette discipline au labyrinthe du jargon ; au contraire, de son fait, ces sciences retrouvèrent toute leur originalité.
Son élan réformateur ne se limitait pas à la philosophie et au droit, et il fit revivre la tradition de maint grand Docteur de l'ancien Islam tels que le Cheikh Toussi, l'Uléma Hilli et le Cheikh Morteza qui étaient à leur aise dans toues les disciplines du savoir Islamique. L'Imam El-Sadr était l'une des gloires les plus affirmées de l'Intelligentsia Musulmane. Il était également familier de la pensée contemporaine dans tous les domaines se rapportant à l'Islam, comme en témoignent ses recherches et ses ouvrages qui constituent de précieuses contributions en droit, en philosophie, en l'économie, en l'histoire et dans le domaine de la finance. Son essai sur le matérialisme dialectique et historique est sans doute le défi critique le plus brillant qui ait jamais été lancé à ces doctrines ; les théories et le système économique qu'il a tiré de l'Islam ont été jugés par tous ceux qui participaient aux conférences Islamiques consacrées à l'économie comme une conquête majeure pour l'Islam. C'est pourquoi notre communauté le considéra désormais comme une autorité pour tout ce qui relevait de l'Islam. De nombreuses institutions Islamiques internationales, comme par exemple la Banque Islamique Moderne pour le Développement, et bien d'autres, l'interrogeaient sur des points de jurisprudence religieuse ; ses avis autorisés lui valurent l'admiration de grands penseurs partout dans le monde.
Peu après le décès de l'Imam, Seyyed Mohsen El-Hakim, les masses musulmanes l'élevèrent au rang de référence et d'autorité religieuse suprême. Et d'innombrables Musulmans de par le monde le considérèrent désormais comme tel, avant même qu'il ait publié sa grande thèse ; il finit par autoriser la publication de celle ci, devant de multiples pressions, sous le titre de : "Des verdicts clairs / La Voie du Juste", et ce fut un bouleversement complet dans la conception des écrits de cette nature.
Son autorité n'était pas seulement religieuse : il jouait également un rôle important dans l'éveil et l'éducation de la jeunesse de notre communauté. C'est ainsi que, sous son autorité, l'idéologie Islamique connut une impulsion considérable.
Son autorité, l'énergie qu'il déploya ne se limitèrent jamais à un courant de l'Islam, mais touchaient tous les Musulmans, car il ne s'enferma jamais dans le carcan du sectarisme. Il se considérait plutôt comme un père pour les Musulmans, et souhaitait que son passage sur terre soit profitable à tous.
C'est pourquoi de jeunes intellectuels, issus de plusieurs courants Islamiques, adoptèrent ses idées, et nombreux furent les Etats et les institutions Islamiques de toutes tendances qui faisaient référence à sa pensée.
Au delà, de nombreux Musulmans d'Irak, de Jordanie, de Syrie, du Liban, d'Arabie Séoudite, d'Egypte, d'Iran, d'Inde, du Pakistan et d'ailleurs le choisirent comme guide, quelle que soit leur sensibilité Islamique, parce qu'ils voyaient en lui un modèle spirituel et intellectuel.

Son oeuvre de référence
1°  L'Imam martyr a été le premier à adopter le principe d'une consultation (choura) pour désigner l'autorité gouvernante durant l'occultation de l'Imam Mahdi : on ne connaît aucun détenteur d'autorité religieuse suprême qui ait développé ce concept avant lui.
Ainsi il dépassa et rendit caduque la controverse extrêmement délicate qui opposait ceux qui voient dans la Choura le centre de la vie politique Musulmane, et le mode de désignation du dirigeant de la communauté ; et ceux qui pensent que cette élection ne peut provenir d'une consultation, mais émane d'Allah, par le truchement du Prophète, et qui fondent leur thèse sur des preuves tirées de la Charia (code législatif de l'Islam) (4)
2°  L'Imam martyr croyait fermement en la nécessité d'un mouvement Islamique organisé et il était convaincu que la communauté devait évoluer en ordre à l'intérieur de la société, pour faire changer celle-ci de l'intérieur. On le considère comme le premier détenteur d'autorité religieuse suprême dans l'histoire à avoir conçu, réalisé et conduit un mouvement Islamique organisé, visant à un changement social ; à une époque, notons-le, où le travail militant était négligé. En ce temps là, en effet, les aspects sociaux de l'action Islamique, notamment dans la jeunesse de notre communauté se trouvaient dans un état d'abandon honteux et impardonnable, du fait des partisans de l'irénisme. La tendance dominante était alors de considérer que le Docteur de la foi devait se border à donner des avis théologiques, et à résoudre les problèmes spirituels de leurs ouailles ! Pour remplir leurs fonctions, déclaraient les iréniques, seul était besoin de bonnes références bibliographiques. En d'autres termes, ces Docteurs vivaient au milieu des livres et de la paperasse, et se moquaient des besoins quotidiens de leur communauté.

Sa personnalité
L'Imam martyr était d'une modestie et d'une simplicité sans égales; il était d'un abord facile, quoiqu'empreint de dignité.
Son mode de vie était d'un grand dépouillement. Nombreux furent les croyants qui tentèrent de le persuader de quitter sa maisonnette décrépite du quartier le plus modeste de Nadjaf, bien trop petite pour accueillir ses hôtes et ses visiteurs, mais il insistait sur son désir de vivre comme les plus déshérités des Musulmans. Il suivait en cela les traces de son ancêtre l'Imam Ali, fils d'Abou Talib, dont la vie ne fut qu'ascétisme et renonciation aux tentations de ce monde, et il vécut ainsi même quand il fut devenu une autorité religieuse de premier plan. Des fonds provenant de pieux Musulmans étaient à sa disposition, et cependant il mangeait frugalement et s'habillait simplement. Son domicile ne désemplissait pas. Ses hôtes arrivaient par groupes entiers, et à tous, jeunes ou vieux, il manifestait sa générosité. Il était aussi d'une grande loyauté envers ses frères et ses amies, qu'ils soient présents ou absents, de leur vivant ou après leur mort. C'était assurément, un loyal fils de notre communauté, un de ceux qui assumaient le mieux ses responsabilités à son égard.
Sa patience était légendaire pendant les périodes agitées et, à travers tracas et obstacles, il demeurait un Moujahid (5) persévérant. Il manifestait cette qualité dans tout ce qu'il entreprenait : jamais il n'entamait une entreprise sans la conduire à son terme, travaillant en cas de besoin jour et nuit.
L'Imam martyr était d'une grande sensibilité, et s'émouvait très facilement. Quand il constatait, ou apprenait, que la Sainteté de Dieu avait été profanée, il réagissait avec la promptitude de l'éclair. Quand il lui revenait que l'un de ses frères, de ses amis ou même un simple quidam était dans les ennuis, il tremblait et réagissait comme s'il s'était trouvé lui même dans l'embarras. Une telle sensibilité portait préjudice à sa santé, et explique sans doute l'angine de poitrine dont il souffrit à partir de sa quarantième année.

Le guide et l'homme politique
A la fin de 1957, un an avant la chute de la monarchie Irakienne, la situation politique dans ce pays tourna à la catastrophe. Le colonisateur britannique avait placé ses agents dans tout le gouvernement et dans la plupart des institutions nationales, si bien que le peuple, aux mains des réseaux du colonisateur infidèle, ne disposait plus d'aucune liberté : chacun devait danser comme le colonisateur sifflait. L'Education, la fonction publique, les ressources financières ou naturelles, tel le pétrole, l'opinion publique : tout se trouvait entre les mains du colonisateur. De ce fait, le jeu politique était devenu d'une complexité extrême, et la situation d'une grande confusion. Le gouvernement était en réalité britannique, et l'opposition aussi, même si c'était de façon différente.
Tout cela, et bien plus encore, l'Imam El-Sadr le percevait parfaitement. Il vit que, sous peu, la réaction à cet état de faire prendrait le masque du communisme, et que celui ci ne tarderait pas à submerger un pays pourtant profondément musulman.
Il vit juste et, bientôt, un ouragan communiste impie balaya l'Irak, tentant de détruire tout ce qui s'opposait à lui, bafouant tous les principes honorables. Tout cela advint en 1959, un an après la chute de la monarchie.
Durant ces bouleversements politiques et sociaux, et alors que se déchaînaient les agressions colonialistes de l'Ouest (l'Angleterre) et de l'Est (la Russie) l'Imam Sadr contacta les plus lucides et les plus importants des dignitaires Musulmans ainsi que des personnalités influentes des milieux politiques et sociaux. Il leur ouvrit l'esprit et les amena à se pénétrer du danger fatal que représentait le communisme. C'est ainsi qu'il découvrit nombre d'esprits mûrs, et convainquit la plupart d'entre eux de créer un parti Islamique dont le tripe objectif serait de fournir un cadre militant aux volontaires Islamiques conscients ; d'éveiller les peuples du monde Islamique à leur foi et de leur faire prendre conscience des agressions coloniales. Cela se passa à la fin 1957, début 1958. L'Imam parvint ainsi à créer, en quelques mois seulement, un groupe central composé de jeunes, de théologiens et de cadres politiques. A mesure où ce noyau se développait apparaissaient des cercles et des séminaires dont la structuration était supervisée par l'Imam en personne. Il décida de donner à cette le nom de "Hizb Al-Daoua Al-Islamiya" (Parti de l'Appel de l'Islam). Son rôle en la matière était celui d'un guide avisé et d'un doctrinaire. Il écrivit lui-même les textes fondamentaux du mouvement et enseigna à ses cadres l'Histoire et la Voie juste. C'est lui qui écrivit le plan de "Les bases de l'Etat Islamique" et de "Explications sur les bases de notre action".
L'Imam, notons-le, prit en charge ce mouvement Islamique à une époque où nombreux étaient ceux qui considéraient le militantisme politique comme une bizarrerie, ou, pire, comme une monstruosité conduisant tout droit à l'athéisme.
Ses efforts pour susciter un mouvement Islamique ancré dans le peuple furent considérés à l'époque comme un grand bond en avant par l'intelligentsia Islamique; comme une véritable révolution qui voyait la communauté passer d'un état de résignation, d'apathie, de routine et d'archaïsme à une position combative, adaptée à une époque de bouleversements politiques et sociaux.
Le premier résultat majeur de son action fut que, désormais, un trait était tiré entre notre communauté et l'Islam lui-même, d'un côté et l'athéisme, de l'autre. Deux partis, depuis lors s'affrontent : celui qui réunit, sous la direction des autorités religieuses éclairées, les pionniers les plus conscients de notre communauté, au nombre desquels les militants d'Al-Daoua ; organise le travail politique ; guide les masses et l'autre, qui regroupe les chefs de l'injustice, les despotes et tous ceux qui veulent bien se laisser duper, les égarés, les crédules.
Après que ce trait bien clair ait été tiré, sur le front Irakien, entre l'Islam et l'athéisme, l'Imam, avec sa hauteur de vue coutumière, détermina trois axes de lutte :
- Le Front de l'Autorité religieuse de référence :

L'Imam martyr travailla à susciter une autorité religieuse de référence d'un genre différent :
 a) Qui ne se limiterait pas à répondre à des questions et à délivrer des consultations théologiques, mais qui s'inspirerait de ses écrits politiques à lui, sur le rôle d'orienteur du religieux-jurisconsulte, et exercerait pleinement ses prérogatives dans tous les domaines.
 b) Qui redéfinirait complètement les rapports de l'autorité religieuse de référence avec ses représentants.
 c) Qui établirait avec ceux-ci un type nouveau de relations, fondé sur l'amour, l'affection et un absolu dévouement, et non plus sur l'observation de la discipline.
 d) Qui ne choisirait pas comme représentant n'importe quel Docteur de la foi sur la base de ses seules connaissances théologiques, mais voudrait qu'ils soient savants, pieux et aussi capables de militer et de lutter. Il éprouvait à plusieurs reprises ceux qu'il pressentait et alors, seulement, il les autorisait à transmettre à leurs ouailles ses messages et ses idées.
Devenir son représentant était le rêve de nombre de théologiens érudits et de nombre de militants, mais c'était là une grande responsabilité et une charge de travail très lourde que bien peu pouvaient supporter. Il devint bientôt de règle qu'un représentant de l'Imam, envoyé comme guide spirituel dans une région donnée pour enseigner au peuple ses devoirs religieux, devint sans tarder, sous l'empire de la nécessité, le guide de sa communauté !
En bref, l'impulsion de l'Imam représenta, pour les Musulmans de l'Irak, un événement sans précédent depuis un millénaire. Cette impulsion guidait le peuple qui la comprenait, réagissait à elle positivement et en sentait l'ambition.
- En d'autres termes, l'Imam martyr exhuma des concepts neufs des livres où ils sommeillaient depuis des siècles, les mit en pratique et suscita à partir d'eux une direction communautaire consciente et organisée, capable de conduire les masses.

L'organisation
Après avoir fondé l'organisation militante islamique, après l'avoir guidée dans ses débuts et nourrie de sa pensée de ses efforts et de son temps; après avoir vérifié que ce mouvement attirait bien les élites Musulmanes conscientes, l'Imam martyr entreprit de gagner le soutien des Autorités religieuses de référence et, plus largement, celui de toute la communauté.
Le troisième axe de son offensive se déploya dans le domaine de la société civile. Vit-on jamais, dans l'histoire contemporaine, un être humain se dresser seul face à une masse en révolution, se vautrant dans l'abaissement et refusant de s'ouvrir à la foi. Tous alors disaient "oui" au communisme et "non" à l'Islam. Cet être, ce fut l'Imam martyr. En 1959, l'Imam Mohsen El-Hakim, qui était alors l'autorité religieuse suprême, lui demanda de rédiger un ouvrage dont le manque se faisait cruellement sentir : il expliquerait la doctrine Islamique, sa supériorité sur toutes les idéologies et en particulier sur le marxisme. L'Imam se fit immédiatement apporter de nombreux livres de la librairie Khillani à Bagdad et étudia soigneusement le marxisme et le capitalisme : il médita, évalua les défis que renfermaient ces doctrines et présenta, face à elles, l'idéologie Islamique. Cette tâche fut accomplie en six mois seulement. "Notre philosophie" se présentait tout d'abord sous la forme d'une brochure de 60 pages, dont le censeur Irakien interdit la publication. Ultérieurement, le même ouvrage, sous la forme d'un volume, put paraître, ayant été imprimé hors d'Irak.
Dans un premier temps, ce livre souleva des débats et des polémiques dans toute la région puis il réussit à créer une atmosphère négative autour du communisme, préparant ainsi le terrain à son éviction des sphères du pouvoir (en Irak, NDT).
Signalons que "Notre philosophie" constituait l'exposé intellectuel des motifs de la condamnation religieuse décrétée plus tard par le défunt Imam El-Hakim, qui définissait le communisme comme étant une incroyance et un athéisme.
Cette condamnation fut évoquée par la conférence internationale des partis communistes qui se tint à Moscou dans les années 60 : on y dit qu'elle avait bloqué net la propagation du communisme au Moyen-Orient, le renvoyant au niveau où il se trouvait un demi-siècle auparavant.
Disons enfin que jamais, depuis sa parution, ce livre n'a fait l'objet de la moindre tentative de réfutation par quelques communiste que ce soit.
Après cela, l'Imam El-Sadr publia "Notre économie" qui critique les théories et les pratiques marxistes et capitalistes et qui propose une doctrine économique acceptable par tous les courants Islamiques : une nouvelle victoire pour l'Islam.
L'Imam El-Sadr avait l'intention d'écrire "Notre société" et "notre Système" (politique, NDT) mais des traîtres s'apprêtaient à priver notre communauté de cet intellectuel éminent. Durant cette même période, l'Imam martyr écrivit des prêches lus par ses représentants lors de diverses réunions ou cérémonies.
Parmi les succès qui furent les siens dans le domaine social, citons la création d'une Société des Docteurs de la foi à Nadjaf et la publication d'une revue, "les lumières" qui joua un rôle important dans la prise de conscience islamique des différentes communautés (Musulmanes, NDT) de par le monde. Persuadé que chacun pouvait apporter sa pierre à l'édifice Islamique et pouvait rejoindre le grand mouvement de l'Islam à sa façon, pourvu qu'on lui montre la voie, il s'attacha à exalter la spiritualité de ceux des Uléma que l'oppression coloniale sur l'Irak ne choquait pas, et qui ne s'étaient pas joints à l'Islam militant.
L'Imam travaillait ainsi à rassembler tous les courants politiques et religieux de la communauté. Il était en excellents rapports avec les Frères Musulmans d'Irak et du reste du monde Islamique ; il existait entre eux et lui des liens féconds. Il était aussi en relations de travail avec des responsables Islamiques en Irak et à travers le monde. Les dirigeants des Mouvements de Libération eux-mêmes n'étaient pas exclus des projets de l'Imam martyr ; il avait, avec eux aussi, des liens de travail étroits. Il était en contact avec toutes les assemblées Islamiques, officielles ou officieuses et il envoyait ses représentants à des réunions telles la conférence sur l'économie Islamique de Tripoli, Libye; la conférence mondiale Musulmane de Djeddah, Arabie Séoudite et bien d'autres.
L'Imam martyr se gardait bien d'oublier le rôle important des femmes dans l'établissement de la société Musulmane. Il s'attacha à éduquer sa soeur Amina (plus connue sous le nom de Bint El-Huda), fécondant son esprit pour qu'elle devienne une dirigeante du mouvement des femmes Musulmanes à l'horizon de la fin de ce siècle. Elle devint la pionnière du combat Islamique parmi les femmes Irakiennes. Dieu lui a accordé la grâce de connaître le martyre avec son frère, en une heure qui fut parmi les plus sombres depuis que Dieu créa le monde.
Tout cela fait que l'Imam martyr n'était pas seulement une Autorité religieuse de référence, ou bien un dirigeant des masses Musulmanes pieuses, mais un guide pour toute notre communauté, que les masses considéraient comme apte à réaliser leurs aspirations, comme capable de les délivrer de l'esclavage, et d'assurer leur rédemption, tout spécialement après qu'il eut décrété une interdiction au parti Baas. C'est alors que les tyrans de Bagdad prirent conscience de la gravité de leur situation : face à eux, en un front uni sous la direction de l'Imam, les partis d'opposition, les mouvements de Libération, les masses pieuses : l'injuste Baas se retrouvait donc seul avec ses mercenaires et son allié l'impérialisme athée.
Ce fut alors que l'Impérialisme occidental ordonna à son laquais Saddam Hussein de Tikrit de mettre fin à la vie de l'Imam, pensant ainsi affaiblir le mouvement Islamique et empêcher la révolution.
Le tyran commença à harceler l'Imam en 1971 et essaya de l'envoyer en prison. Il fut mis à l'hôpital, et attaché à son lit. Les Baasistes athées le remirent en prison en 1974 et l'exilèrent à Bagdad. Ils tentèrent à nouveau de l'incarcérer en juin 1979 mais des manifestations massives de l'Irak au Golfe, d'Iran au Liban contraignirent le despote à libérer l'Imam le jour même ! Il fut alors placé aux arrêts à domicile, de juin 1979 à avril 1980.
Enfin, l'Imam fut jeté en prison le samedi 5 avril 1980 et assassiné le jeudi suivant, le 8 avril sur ordre de la clique tyrannique de Tikrit. Il fut enterré à Nadjaf à l'aube du 9 avril et il repose aux côtés de son ancêtre, l'Imam Ali, fils d'Abou Talib. L'Imam n'était plus, laissant derrière lui une communauté dans la pire détresse. Mais -si Dieu le veut- notre communauté saura relever le défi de ses oppresseurs grâce à l'héritage intellectuel de l'Imam, et son martyre sera le carburant du brasier ou, de par le volonté de Dieu, périront les tyrans.
Il fut précédé dans la voie du sacrifice par le Maître des Martyrs, l'Imam Hussein, fils d'Ali, et sa précieuse personne s'ajouta au nombre de nos plus grands martyrs.
O ! Père de Ja'afar ! En vérité, tu as rassemblé en toi bien des connaissances du Messager de Dieu, et beaucoup de l'honneur du Martyr Hussein !
Ainsi, que la Paix soit sur toi le jour de ta naissance, le jour de ton sacrifice et le jour de ta résurrection !

Dr. Abou Ali

1 : Dans la littérature pieuse Chi'ite, le nom du Prophète, des membres de sa famille (Ahl-El-Beit : les gens de la Maison) et des Imam sont toujours suivis d'invocations diverses du type : "Qu'Il aille en paix" … "Que Dieu le loue" … " Que la miséricorde de Dieu se répande sur lui", résumées parfois en initiales comme : "Imam Moussa, AS," … "le Prophète Mahomet, SAWA" ; nous les avons supprimées pour ne pas alourdir le texte.
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2  : Père du fondateur d'Amal au Liban, Moussa-Sadr
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3 : Le mot employé est "Hijra", Hégire, à l'image de la fuite du Prophète de la Mecque à Médine.
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4 : Le centre de la controverse millénaire entre Sunnites et Chi'ites (NDT)
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5 : Moujahid : celui qui combat dans la voie du Jihad (NDT).
(retour au texte)

 
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