Pourquoi ne pas nous contenter des raisons que nous proposent les clandestins
?
Probablement parce qu'elles ne nous satisfont pas, mais nous sentons
aussitôt tout le côté subjectif de notre satisfaction.Cette
question a donc pour but de tenter d'objectiver notre refus, d'objectiver
notre subjectivité d'accepter de tenir compte de nous mêmes,
de nous impliquer dans le dépassement de ce qui ne serait qu'une
simple opinion sans ce renversement dialectique.
Des actes violents, sanglants, meurtriers, sont perpétrés.
Derrière ces actes, une volonté agissante s'est patiemment
donné les moyens de les accomplir. Nous découvrons une formidable
dépense d'énergie pour des fins que nous comprenons, mais
que nous jugeons illusoires. Au delà de l'aspect illégal
et moralement condamnable des actes accomplis, il y a chez nous au refus
viscéral, nous sommes saisis d'horreur, nos réactions sont
émotionnelles et non raisonnables.
C'est parce que le phénomène est un fait humain que nous
nous interrogeons en ces termes. La classique méthode qui consiste
à "se mettre à la place de" se révèle impuissante
et nous réagissons par un rejet, un refus d'accorder une raison
au phénomène que nous qualifions d'étrange ou d'étranger.
C'est la première réaction : ces gens là ont perdu
la raison ! Les raisons qu'ils nous donnent de leurs actes ne nous semblent
pas légitimes, elles sont … nous saisissons mal l'implication causale
entre la raison de l'acte et un acte que notre morale condamne et que notre
affectivité refuse. Nous nous tournons vers le psychiâtre
pour lui demander si la raison de tout cela ne serait pas simplement la
déraison ou la folie.
Je n'ai, pour ma part, jamais observé de pathologie mental justifiant
ou expliquant les actes dans les documents que j'ai eu à analyser
et je n'ai pas eu de communication de confrères européens
allant dans ce sens.
Pour moi, l'argument le plus fort pour réfuter la maladie mentale
est un argument indirect qui veut que les maladies mentales susceptibles
d'expliquer ces comportements entraîneraient la même réaction
de la part d'un groupe clandestin que celle de la société,
c'est-à-dire le rejet. Je ne connais pas de pathologie mentale qui
permette la socialité d'un groupe. Le groupe serait invivable et
se signalerait rapidement de lui-même.
En dehors d'une pathologie bien établie, y a-t-il d'autres déterminations
à caractère psychologique, des structures de personnalité,
des constitutions, des terrains qui seraient susceptibles de donner des
éléments de raison, de servir de causes à ces phénomènes.
Là comme dans la société "normale" on rencontre de
tout ; jusqu'à présent, personne n'a pu établir un
profil type de ce genre tant les personnalités des terroristes se
sont avérées multiples et variables. Si la psychologie peut
déductivement trouver des raisons à des engagements politiques,
elle a du mal à expliquer ce qui fait évoluer un sujet vers
un acte meurtrier.
L'élimination d'une raison psychologique qui expliquerait ces
actes que nous ne comprenons pas nous oblige à chercher ailleurs.
Si nous ne mettons plus en doute les capacités raisonnantes
et affectives de nos sujets, ni bien sûr les nôtres, il ne
nous reste plus qu'à incriminer le canal de transmission, la communication
entre eux et nous. Si les actes qui nous étonnent ne sont pas étrangers
comme ceux venant d'une autre culture, qui aurait d'autres comportements,
d'autres moeurs, une autre morale. Nous n'avons plus le choix des moyens,
c'est en tant que phénomène socio-culturel que nous devons
examiner la clandestinité, c'est en termes socio-culturels que nous
devons poser la question de l'émergence du phénomène
clandestinité.
Demandons nous donc ce que signifie le refus de ces hommes, cherchons
derrière leurs raisons théoriques, d'autres raisons, plus
impératives. Ces comportements doivent avoir une finalité
autre, non évidente a priori et qui échappe à leurs
propres acteurs.