Mode d'entrée dans la clandestinité

Suivant les témoignages, l'entrée dans la clandestinité se fait de façon plus ou moins rapide. Insidieuse progressive pour certains, décision brutale pour d'autres, il semble en fait que cela dépende de la façon dont on observe le phénomène.
Pour cela, il faut, bien entendu, que le candidat soit acquis à l'idéologie, que ce soit de façon affective, intuitive ou plus intellectuelle voire érudite. Mais le niveau de connaissances, très variable, ne semble pas être ce qui est déterminant. Ce qui est déterminant est l'adhésion à des conceptions sociales très utopiques ainsi qu'un sentiment d'impuissance de l'action légale et un refus grandissant de la société dans laquelle se trouve le candidat.
Un inconnu ne pourrait pas adhérer à un groupe du jour au lendemain, le futur candidat a sans le savoir déjà été mis à l'épreuve, observé dans les mouvements locaux. Il y a donc toujours un long processus préparatoire avec des actions intermédiaires entre les deux mondes. Le passage d'un monde à l'autre a les apparences de la brutalité parce que les circonstances obligent souvent à la décision.

Mais qui prend la décision ? C'est là le plus étonnant car les différents témoignages semblent montrer que c'est rarement le sujet concerné qui choisit ; certains d'entre eux disent "on a choisi pour moi", ils se demandent parfois s'ils n'ont pas été manipulés, préparés au passage. Il y a très souvent un événement déterminant qui joue le rôle de détonateur, qu'il s'agisse d'un événement extérieur au sujet mais concernant son groupe de pensée (par exemple la mort d'un militant), ou d'un événement concernant le sujet lui-même, le plus souvent en participant ou en étant complice d'un acte illégal.
Il y a dans ce "passage" à la clandestinité un aspect très "initiatique", dans la mesure où il y a instauration d'un sens de progression, un avant et un après, un après qui ne sera jamais plus comme avant. Ce passage semble assez souvent marqué par une épreuve dont il faut sortir victorieux, au cours de laquelle il faut avoir vaincu sa peur et abandonné ce qui pouvait encore relier l'impétrant au monde bourgeois. Cet acte est là dans sa mémoire pour lui rappeler que le retour en arrière est impossible et qu'il ne doit avoir que du mépris pour l'homme ou la femme qu'il était avant, quand il avait sa double appartenance, bourgeoise et révolutionnaire; Il est maintenant recouvert du vêtement de pureté, il va pouvoir exercer son action d'ange exterminateur en toute quiétude morale. Ceci est un aspect supplémentaire qui rapproche le clandestin des fonctionnements sociaux primitifs.

Mara et les autres p 130 :
"Dans la lutte armée, il n'y a plus d'ambiguité, il n'y a pas de route pour revenir. C'est la seule façon de donner de l'épaisseur à ton refus profond."
p 147 :
"Mais lorsque tu es clandestine, comment peux-tu dire "ça suffit, maintenant je m'en vais, au revoir, salut".
p 150 :
"Il est par contre beaucoup plus facile d'y entrer, tu n'est pas obligé de décider de faire partie de la lutte armée. Il s'agit le plus souvent d'un engagement progressif, d'une pression morale, d'une sorte de mouvement en spirale qui déboucherait sur ton accord. Un pas après l'autre. Tu peux commencer par héberger quelqu'un, ensuite tu es impliquée dans des actions toujours plus lourdes, tu y es jusqu'au cou, dans un espace qui te presse toujours plus".

 
retour | suite