Beaucoup d'organisations pratiquant la clandestinité sur le sol
européen - communistes combattants, bien sûr, mais également
certains groupes nationalistes, et d'autres venus du Moyen-Orient- fonctionnent
à partir de schémas mentaux de type marxiste-léniniste,
et usent de la dialectique -le "diamat", ou matérialisme dialectique-
pour construire leurs raisonnements politiques ou "militaires".
Dans ce cas -on l'a vu lors de précédents séminaires-
les textes produits par un groupe- de doctrine, de propagande, de revendications,
etc. sont un reflet fidèle de l'organisation elle-même et
il est possible, à partir de leur lecture approfondie :
de déceler des mouvements internes, l'existence de crises,
de comprendre des évolutions,
de voir des "campagnes" et d'identifier des cibles futures.
En allant plus loin, il y a même la possibilité, dans un
registre comparable à la médecine préventive, de déceler
très tôt, par la surveillance minutieuse de chaque organisation
radicale, quelque minuscule qu'elle puisse être, les symptomes d'un
possible passage à la violence et à la clandestinité
avant même parfois que les principaux intéressés n'en
aient eux-mêmes clairement conscience.
Une opération de détection précoce, conduite à
distance et dans le respect des règles de l'Etat de Droit, aurait
ainsi permis, dans l'Italie des années 1969-70, et à la seule
lecture des textes de la "Sinistra proletaria" et de "Résistance
populaire" de voir apparaître les futures Brigades Rouges à
travers l'exposition, ouvertement et sans aucune précaution de langage,
des divers épisodes illégaux puis criminels dans lesquels
les maos transalpins annonçaient qu'ils allaient s'engager.
De même le texte des maos français sur "l'organisation
Partisane Secrète", véritable charte et mode d'emploi de
la Nouvelle Résistance Populaire fut il publié ouvertement
dans le N° 1 des "Cahiers prolétaires" intitulé "Elargir
la Résistance". Ces cahiers étaient un supplément
à "La Cause du Peuple" N° 32 de janvier 1971. Les titres des
principaux chapitres : "Pourquoi la lutte violente de partisans ?" ; "Situation
militaire dans les bases d'appuis" ; "Secteur ouvert et secteur d'ombre"
; 'L'organisation partisane secrète". Le tout en vente dans vingt
libraires et kiosques du Quartier Latin…
Cela pose, une fois de plus, le problème des organismes chargés
de détecter les menaces et, celles-ci averties, de poser des diagnostics
rapides et raisonnablement sûrs.
Le texte du Dr Artol sur la psychologie des clandestins permet de voir
l'importance des textes produits par ceux-ci sur la structuration même
de leur personnalités. Des exemples concrets ont été
donnés au cours du séminaire sur l'énorme importance
qu'a la rectitude idéologique de ces textes pour leur producteurs
; sur les risques considérables que ceux-ci sont prêts à
prendre pour "rectifier des lignes" défaillantes ; pour corriger
les erreurs de "camarades qui se trompent".
Il devrait être possible, à partir de telles constatations,
de faire jouer le vieux triptyques kominternien "manoeuvrer-isoler-liquider"
qui servait à réduire à l'impuissance les sections
hérétiques de l'Internationale…
Le texte d'Alain Paucard permet de voir le processus par lequel un groupe
dirigeant s'isole et perd peu à peu contact avec le quotidien, puis
avec la réalité dans son ensemble. Il est donc important,
quand le saut à la clandestinité est accompli, de pratiquer
autour du noyau activiste une politique de "désertification" aussi
complète que possible ; non seulement pour des raisons matérielles,
pour priver le groupe d'agents de liaison, de porteurs de valise et d'armée
de réserve, mais surtout pour hâter la phase de passage à
l'irréalisme complet ; phase ou la perte de contact avec le monde
tel qu'il est conduit fatalement à des fautes exploitables.
Notre étude a enfin permis de constater qu'il n'y a pas de clandestinité
pure, ni d'organisations aléatoires, et que des opérations
bien précises -surveillance avant des opérations "militaires",
rectifications idéologiques diverses- mettent l'organisation clandestine
en état d'émersion périscopique, donc de fragilité
devant des opérations de contre-ingérence classiques dans
le domaine du contre-espionnage.