Le champ de la clandestinité est vaste ; il recouvre tout ce qui se cache, qui accomplit un travail illégal à des fins très diverses : éspionnage, grande criminalité organisée, mafia, guerillas urbaines, résistances, etc… Nous nous intéresserons ici aux formes de la clandestinité qui ont une finalité politique, celles dont l'aboutissement spectaculaire est appelé terrorisme.
Que dire de la clandestinité comme mode d'expression politique
?
D'abord qu'il n'y a jamais dans ce domaine - pas plus qu'ailleurs -
de génération spontanée. Tous les cas connus d'activité
clandestine à fins terroristes démontrent, en amont du passage
à l'acte, de longs épisodes d'activité légale,
que celle-ci soit politique, associative, syndicale, ou sociale. Dans certains
groupes, le passage à la clandestinité est favorisé
par des traditions historiques de violence souterraine (Italie) ou par
des pratiques para clandestines au sein même de l'activité
légale.
Facteurs prédisposants à l'action violente clandestine
dans le militantisme légal révolutionnaire dit "gauchiste"
Ces facteurs sont de plusieurs ordres :
Dogmatiques
Les textes fondateurs du bolchévisme, Lénine, Staline
et de leurs épigons comme Mao Zedong regorgent de références
positives, valorisantes à la lutte armée, au terrorisme,
à la lutte clandestine.
"Je vois avec horreur, mais vraiment avec horreur, que l'on parle de
bombes depuis plus de six mois sans en avoir fait une seule. Formez sur
le champ, en tous lieux, des groupes de combat. Formez-en parmi les étudiants
et surtout les ouvriers, etc. Que des détachements de 3, 10, 30
hommes et plus se forment sur le champ et s'arment, comme ils le peuvent,
qui d'un revolver, qui d'un couteau (…) Les détachements doivent
commencer sur le champ leur instruction militaire par des opérations
de combat. Les uns entreprendront tout de suite de tuer un mouchard, de
faire sauter un poste de police, les autres d'attaquer une banque pour
y confisquer les fonds nécessaires à l'insurrection".
(lettre au comité de combat près le Comité de Saint-Pétersbourg,
octobre 1905).
Un peu plus tard, la période insurrectionnelle et putchiste
du Komintern (1919-1924) fournit encore des modèles de violence
illégale à base clandestine. L'idéologie marxiste
léniniste est donc au premier chef un facteur favorisant ; elle
confère à ses sectateurs une rigidité intellectuelle,
un sentiment d'exaltation (je suis dans le sens de l'histoire… j'appartiens
à l'avant-garde) ; elle présente comme inéluctable,
dans le processus révolutionnaire, un épisode de violence
armée, dont l'amorce est clandestine, destiné à asseoir
la dictature du prolétariat.
Psychologiques
Le militant révolutionnaire d'extrême gauche, même
légal, vit dans une organisation aux effectifs réduits :
la pression psychologique sur les participants au groupe n'en est que plus
forte.
- sentiment de vivre dans un …, un avant-poste, assiégé,
encerclé ;
- importance de ce fait des "secrets de parti" et de leur préservation,
même dans un contexte légal ;
- impression constante d'urgence ("demain, il sera trop tard") sentiment
d'avoir à faire soi-même le maximum, d'être irremplaçable
à son poste ;
- recrutement par cooptation, instauration de périodes probatoires
;
- décantation, quelques temps après le démarrage
du groupe, d'un noyau central, dirigeant, qui ne milite plus ouvertement,
qui s'impose, pour définir la ligne et mener l'action, une réclusion
de plus en plus lourde;
- rythme de plus en plus fréquent des réunions : ambiance
de plus en plus sectaire, d'unanimisme. Une fusion s'opère au sein
d'un groupe de plus en plus isolé, coupé des réalités
extérieures.
Pratiques
Tous les groupes révolutionnaires admettent l'idée d'un
"travail illégal à accomplir même au sein du parti
légal. C'est du léninisme de base (cf. les "21 conditions").
La différence est clairement faite entre le travail "intérieur"
et "extérieur", entre la partie "publique" et "non publique" de
l'appareil - en théorie, du moins. On fait, même entre soi,
usage de pseudonymes dont la nature est différente des sobriquets
ou surnoms, fréquents dans les groupes juvéniles. Les responsables
du "travail intérieur" élaborent des consignes de sécurité
destinées à mettre militants et responsables à l'abri
des filatures policières, et le matériel de l'organisation
hors de portée de la répression … et des rivaux.
Au total, une attitude générale de type conspiratif,
et une continuité certaine entre des pratiques de ce type et la
clandestinité pure et simple, le militant révolutionnaire
allant de l'une à l'autre ayant le sentiment d'un changement de
degré, et non de nature.
Le Processus
On a toujours, on l'a vu, un projet politique. Peu à peu, des
entités (partis, groupes) qui ont une existence légale ou
para-légale projettent une partie de leurs forces dans des activités
illégales ou criminelles. Il s'agit toujours, notons-le, dans un
premier temps d'actions de durée limitée, de l'accomplissement
d'objectifs précis. Le caractère irréversible de la
clandestinité n'apparaît que progressivement à ceux
qui sont dans l'engrenage.
Tous les groupes ayant pratiqué la clandestinité, ou
la vivant aujourd'hui ne la conçoivent jamais comme un état
permanent, ni comme une fin en soi. C'est un épisode transitoire,
plus ou moins long, mais nécessaire qui doit mener soit à
l'insurrection, et la révolution, soit à un retour au paradis
des origines.
La clandestinité est ainsi une période de gel de l'activité
politique. Paradoxalement son objet politique interdit toute vie politique.
En théorie, durant la lutte clandestine le dialogue politique
est interdit : on fige l'organisation. Plus d'expression de divergences
d'opinions ou de stratégie : c'est la guerre.
En pratique, si le dialogue politique se poursuit, on va à des
catastrophes voir le cas des Brigades rouges.