A) Police et justice

1) La grande déprime

« Avec un peu de détermination on peut se rendre partout » affirme Julien Dray, député PS de l'Essonne et spécialiste des question de sécurité.

Selon lui, comme selon beaucoup d'autres d'élus et de hauts- fonctionnaires,

les «  zones de non-droit » ne sont pas une fatalité. Elles sont surtout le fruit d'un manque de volonté politique dont l'illustration la plus flagrante est le peu de moyen donné à la police pour maintenir l'ordre républicain.

Que fait la police ? dit la formule populaire. « Elle souffre, répond le journaliste Christophe Deloire, des policiers tombés dans des guet-apens à Avignon et à Antibes ; le commissariat de Clichy victime d'un jet de grenades ; à Béziers, des poutres en béton de cinquante centimètres jetées du haut d'un immeuble sur des voitures de police.... ». 142 Elle souffre aussi d'une organisation qui n'est plus adaptée aux situations de plus en plus délicates que les policiers sont amenés à affronter. Ainsi selon l'économiste Jacques Marseille : « au moins 10% des effectifs de la police, voire 20%, soit 10 000 à 20 000 policiers actifs, sont affectés à des taches non policières et gèrent, par exemple, la maintenance informatique ou les réparations des véhicules automobiles. »143. D'après un spécialiste de la sécurité sur 130 000 fonctionnaires, seuls 80 000 policiers seraient sur le terrain. Sur Paris en particulier sur 19 000 policiers, « près de 2 800 policiers sont affectés à des taches qui ne relèvent pas de leur mission normale. »144

Elle souffre de voir ses hommes tiré « comme des lapins » se plaint Bruno Beschizza du syndicat Synergie-officiers. Elle réclame la sécurité maximale. Reste que les réponses à ses questions dépassent le seul cadre de la Place Beauvau. Un ancien directeur central de la sécurité publique pose ainsi le problème : « Y aurait-il des zones de non-droit ? Le sort des coupables importe-t-il plus que celui des victimes ? Une politique pénale doit-elle se bâtir uniquement en fonction des places disponibles dans les prisons ? Les policiers sont-ils condamnés à voir le fruit de leurs efforts ruiné par des décisions de justice qui développent chez les délinquants, notamment les plus jeunes, un sentiment d'impunité, souvent source de violence ? ». 145

Elle souffre du politiquement correct qui fait que l'on cache la réalité lorsqu'elle est trop inquiétante. Lucienne Bui-Trong ancien commissaire des RG, en a fait l'expérience. Son outil d'évaluation des violences urbaines (8 niveaux cités au Chapitre I) a été supprimé parce qu'il saisissait trop bien une situation dérangeante. Elle s'explique : « L'information était de mieux en mieux fournie par nos services territoriaux. Tout confirmait l'aggravation globale de la délinquance dans les cités : les réactions de la population, des professionnels, des élus, le durcissement des modes d'action des bandes, le rajeunissement et le nombre croissant des émeutiers, souvent une quinzaine hier, et plus facilement une cinquantaine aujourd'hui. De 106 points chauds identifiés en 1991, on est passé à 818 quartiers sensibles en 1999. Et ce sur tout le territoire. Ces informations n`étaient pas politiquement correcte. » 146

Depuis près de dix ans, les initiatives d'Etat ou privées tendant à restaurer l'ordre républicain dans les quartiers sensibles ont été nombreuses. Certaines dispositions concernent tout particulièrement « les cités interdites ». En 1994, la Loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité (on l'appelle LOPS) est préparée par Charles Pasqua. Elle est votée par le parlement cette même année et sera partiellement censurée par le Conseil Constitutionnel. Elle définit néanmoins de nouvelles méthodes pour la police et les services privés, appelés à participer à la protection des biens et des

personnes. Se plaçant dans le fil de la loi du même type présentée par Pierre Joxe en

1985, elle mettait en place de nouveaux moyens particulièrement disposés à empêcher la création de quartier de sécession. Les trois principaux aspects concernant notre sujet sont la vidéosurveillance, l'accès aux parties communes des immeubles et

d'habitations, la surveillance et le gardiennage d'immeubles.

La vidéosurveillance, technologie très utilisées notamment par les britanniques est possible dans un cadre précisément défini par le Conseil Constitutionnel (pour les principes généraux) par la Commission nationale de l'Informatique et Liberté (pour les systèmes de vidéosurveillance liés à un fichier informatisé), la Commission départementale des systèmes de vidéosurveillance pour les autres cas. 147

Il faut dans ce cas présenter un dossier comportant six éléments:

- l'explication des finalités ;

- les plans des installations

- le descriptif technique

- les consignes d'exploitation

- la mise en sécurité des équipements et des enregistrements

- la modalité d'information et d'accès du public aux images.

L'accès aux parties communes des immeubles d'habitation est essentiel dans la lutte que mène la police contre le développement de quartiers en sécession. C'est dans ces halls qu'ont lieu les scènes d'intimidation ou de dégradation qui installent un climat délétère. L'article 12 de la loi prévoit que : « Les propriétaires ou exploitants d'immeubles à usage d'habitation ou leur représentants peuvent accorder à la police ou à la gendarmerie une autorisation permanente de pénétrer dans les parties communes. » Ce même article incite aux initiatives privées en imposant aux « propriétaires, exploitants ou affectataires, selon le cas, d'immeubles à usage d'habitation et de locaux administratifs, professionnels ou commerciaux ».

Une directive qui concerne directement les agences bancaires, les pharmacies, les commerces d'objets précieux qui se trouvent à proximité des quartiers difficiles.

Trois ans et une alternance politique plus tard, Jean Pierre Chevènement organisait à Villepinte, un colloque sur la sécurité intérieure. Devant l'insécurité grandissante et la multiplication inquiétante de quartiers explosifs, les actes de ce colloque après avoir rappelé dans en préambule que selon la Déclaration des droits de l'homme, la sûreté était «  le socle nécessaire à l'exercice de toutes les libertés », donnaient les grands traits d'une nouvelle méthode pour contrer l'insécurité : Les Contrats Locaux de Sécurité (CLS).

Ceux ci ont le mérite d'exiger avant toute décision un diagnostic de sécurité qui ne prend pas pour seule source les statistiques du ministère de l'intérieur. « Acte de courage, écrit Alain Bauer, qui vise à reconnaître la réalité de faits délictueux ou criminels subis par la population, en lieu et place de l'habituel discours sur la baisse de la délinquance et d'honnêteté ( qui interdit dans les faits de rejeter les réclamations de la population au nom d'une supposée psychose irrationnelle) » 148

Ces CLS ont pour objet :

La prévention de la délinquance

L'apprentissage de la citoyenneté

Développer la solidarité de voisinage

Prévenir le développement de la toxicomanie et des phénomènes de bande

Prévention dans les établissements scolaires et à leurs abords

Aide aux victimes

Médiation pénale

Aide aux adultes dans leur mission d'autorité

Prise en compte de la sécurité en matière d'urbanisme

Coordination des actions des forces nationales de police (police nationale et gendarmerie nationale), notamment dans l'accueil et l'enregistrement des plaintes.

Il exige avant d'être signé qu'un diagnostic local de sécurité ait été établi.

Au 1er janvier 2001, 700 CLS étaient en cours de négociations. L'efficacité de cette disposition dépend en grande partie de l'engagement des services de l'Etat, « notamment en matière judiciaire ». 149

L'une des dispositions qui accompagnent ces CLS, est la police de proximité.

Expérimentée de 1997 à 1999 elle a pour but de « rompre avec la nature de police d'Etat privilégiant la défense des institutions et la gestion des manifestations de rue », et de privilégier « la mise en place d'une véritable police nationale, chargée en priorité de la protection des personnes et des biens. »

Ces dispositions auxquelles il faudrait ajouter celles de Nicolas Sarkozy, actuel ministre de l'intérieur, témoigne de la détermination dont ont fait preuve les différents gouvernements à combattre l'insécurité. Elle témoigne aussi par la reconnaissance des enquêtes de victimation, d'une volonté de connaître la réalité de l'insécurité. Reste qu'elles ne suffisent pas à faire reculer les quartiers en sécession. « Les voyous que l'on arrête écopent de peines dérisoires. a développe leur sentiment d'impunité et le mépris qu'ils portent aux policiers. » s'afflige ce jeune gardien de la paix de Poissy. 150

C'est que la détermination de police n'empêchent pas les lenteurs et les contradictions de la justice.

2) Que font les juges ?

Elle s'appelle Nadia. Elle a quatorze ans. Elle a participé à la séquestration et à la torture d'un jeune de 18 ans. Elle a cherché à le tuer. Elle l'a battu, l'a étranglé. Dans le prétoire, elle n'exprime aucun remords. Elle trouve le procès bien long. Elle repart libre et s'apprête à reprendre son stage...d'animatrice de quartier. Cette situation à la fois ubuesque et tragique témoigne du désarroi dans lesquels peuvent être nombre de policiers et de juges. Soumis à l'ordonnance de 1945, ils ne sont pas armés pour affronter la délinquance de plus en plus précoce.

L'ordonnance relative à l'enfance délinquante stipule que :

Article1 les mineurs auxquels est imputé une infraction qualifiée crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun, et ne seront justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d'assise des mineurs.

Article 4 I Le mineur de treize ans ne peut être placé en garde à vue.

V En cas de délit puni d'une peine inférieure à cinq ans d'emprisonnement, la garde à vue d'un mineur âgé de treize à seize ans ne peut être prolongé.

Des dispositions que les mineurs de moins de seize et de treize ans, et leurs grands frères qui peuvent ainsi les utiliser, ont très vite assimiléES.

Cette difficulté juridique n'est pas la seule. « Depuis 1972, écrit Olivier Foll, on a connu dix-huit aménagements qui ont à chaque fois instillé un peu plus de droit anglo-saxon (procédure accusatoire) dans le nôtre (procédure exécutoire). Il s'agit d'approches différents qui, à force de rajouts, rendent le code de procédure pénale incohérent. »

Enfin poursuit-il « la justice se retrouve dans une situation grotesque où le juge d'instruction et l'avocat de la défense doivent plaider leur cause devant le juge des libertés ? Et la victime dans tout cela ? Qui a pensé à elle et aux risques que ces pratiques lui font encourir ? sur 470 gardes à vue d'une circonscription de banlieue, 40 sont déférées devant le juge des libertés et seulement la moitié des prévenus connaissent la détention provisoire. »151

A cette loi s'ajoute la loi Guigou sur la présomption d'innocence qui multiplie les causes de nullité et impose parfois aux magistrats de relâcher des criminels.

Une situation accentuée par l'angélisme de certains magistrats dont témoigne cet entretien du 27 mars 2000 avec le vice-président du tribunal de Grande Instance

de Versailles « chargé de l'application des peines » parue dans la Gazette des communes .152 « Thème de l'entretien : que faire des individus condamnés à des travaux d'intérêt général(TIG) pour violences urbaines (« outrage à personne dépositaire de l'autorité république, rébellions; dégradations ») ? Notez bien qu'il s'agit de condamnés, dans un système qui laisse passer la plupart des malfaiteurs entre les mailles du filet (80% de classements sans-suite, non-lieux, etc.).

Pour ce magistrat, il s'agit de « parvenir à inscrire des condamnés dans une logique d'insertion ». Pour cela, on leur « propose » (comme on propose le menu, au restaurant, au choix du client) un stage pour provoquer chez eux « une prise de

conscience de l'importance de respecter les règles qu'ils enfreignent ». Et le même de souligner que ledit stage est calqué » sur le modèle de ceux que propose la Sécurité routière aux personnes condamnées pour infraction au code de la route. »

Un imbroglio juridique dans lequel les malfrats se retrouvent très bien. Ils exposent les plus jeunes et jouent les naïfs, les victimes et les repentants devant le juge. Une hiérarchie du crime à punir s'est donc instaurée par la force des choses. La justice se fixe sur les grosses affaires, et la petite délinquance en profite. Elle semble alors bénéficier d'une impunité quasi-totale.

Pourtant ce système utilisé par les caïds n'est pas imparable. Il faudrait seulement : « appliquer fermement l'article 227-21 du Nouveau Code Pénal (section V de la mise en péril des mineurs) qui prévoit que « le fait de provoquer directement un mineur à commettre habituellement des crimes ou des délits puni de cinq ans d'emprisonnement et de 1 000 000 F d'amende. Lorsqu'il s'agit d'un mineur de 15 ans, l'infraction est punie de sept ans d'emprisonnement.. »153 Interrogé par un hebdomadaire, Dominique Perben, Garde des Sceaux du gouvernement Raffarin reconnaissait le marasme dans lequel se trouve le système judiciaire français : « Sur cinq millions de procès-verbaux enregistrés chaque année, six cent mille poursuites seulement sont engagées. Une peine sur trois environ n'est pas exécutée. » 154

Une situation dont profite largement ceux qui ont installé dans les cités un système parallèle hors la loi et lucratif dont ils comptent bien vivre encore longtemps.

 

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142 Le Point 5 avril 2002

143 le grand gaspillage, Plon 2002

144 Rapport annuel 1999 de la Cour des Comptes

145 Le Figaro, 17 novembre 2001.

146 Le Figaro, 1er février 2002

147 cf Que sais-je ? Les polices en France d'Alain Bauer et Violences et insécurités urbaines (op. cité)

148 op. cité Violences et insécurités urbaines p 78

149 ibid, p 82

150 Conversation avec l'auteur

151 op. cité, L'Insécurité en France, p 180

152 cité par Xavier Raufer dans L'explosion criminelle

153 op. cité, Violences et insécurités urbaines, p 91

154 Valeurs Actuelles, 7 juin 2002