C. Le proxénétisme

Exploitées au Nigeria et dans les pays voisins, les femmes nigérianes sont également l'objet de trafic à destination de l'Europe essentiellement. Ces prostituées sont surtout des clandestines mais certaines sont des demandeuses d'asile. Récemment, il est apparu que des nigérianes se sont faites passer pour des sierra-léonaises fuyant la guerre civile. Les réseaux recrutent également des femmes d'autres nationalités : ghanéennes, libériennes, sierra-léonaises,...

Des affaires de traite de femmes nigérianes (parfois à partir de 15 ans) ont été signalées aux Pays-Bas, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Belgique, en France, en Espagne et surtout en Italie86. Des ongles et des cheveux sont prélevés sur ces femmes : des menaces de pratiques rituelles de type vaudou sont ainsi exercées sur elles pour éviter qu'elles ne parlent. En cas d'expulsion vers le Nigeria, ces femmes sont rejetées par leur communauté et elles sont alors totalement soumises aux réseaux de proxénétisme, destinés au "marché intérieur" ou à l'"exportation". En juillet 2001, la police interpelle 53 nigérians (dont 32 prostituées) dans plusieurs quartiers de Conakry (Guinée). Partant de Lagos, les filles sont acheminées jusqu'en Guinée où les trafiquants leur fournissent un logement et de faux documents d'identité, grâce à des complicités politiques. Les filles sont ensuite envoyées vers l'Espagne ou l'Italie. Les personnes arrêtées ont été inculpées de proxénétisme, faux et trafic de stupéfiants87.

Aux Pays-Bas, les nigérianes tentent d'obtenir le statut de réfugié mais disparaissent ensuite rapidement des centres d'hébergement pour se livrer à la prostitution. C'est une tendance relativement nouvelle : les autorités en ont pris conscience en 1996. Après le démantèlement de deux réseaux de proxénétisme, il semblerait que les aéroports hollandais de Schipol et Zaventum aient été délaissés au profit de ceux d'Heathrow et de Gatwick, en Grande-Bretagne. De nouveaux réseaux sont donc établis entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.

En Grande-Bretagne, outre des activités "classiques" de prostitution, les femmes sont parfois exploitées, y compris sexuellement, par de riches africains de l'ouest.

Aux Etats-Unis, les affaires de prostitution semblent moins nombreuses. A signaler cependant une affaire en février 2001 : une nigériane de 30 ans est arrêtée à New-York pour avoir dirigé un réseau d' "escort girl" à partir d'un site internet. La police avait alors saisi 212.000 dollars en liquide (248.600 _) et 417.000 dollars sur des comptes bancaires (489.000 _). Une partie de ses revenus était investie dans des propriétés au Nigeria.

En France, la grande majorité des prostituées africaines est d'origine camerounaise88 mais au moins deux réseaux importants de prostitution ont été signalés en 1998. Le premier se livrerait à l'exploitation de jeunes filles ghanéennes et nigérianes et le second dans l'exploitation de béninoises et de nigérianes, dont certaines sont envoyées en Italie. Ce réseau les utilisait également dans l'importation d'héroïne en Europe via les aéroports français. En mai 2001, 3 personnes, dont un couple de nigérians, sont arrêtées pour proxénétisme (une trentaine de filles) et pour avoir facilité l'entrée en Europe de plusieurs centaines de jeunes africaines. Celles-ci devaient rembourser aux passeurs une dette de près de 360.000 FRF (54.900 _), sous la menace de pratiques de sorcellerie. En octobre 2001, intervenant sur une rixe, la police arrête 2 proxénètes nigérians et 6 nigérianes à Aulnay-sous-Bois et Villeneuve-la-Garenne, en région parisienne. La saisie de documents permet de constater l'envoi de plus de 200.000 FRF (30.500 _) à Lagos en moins de trois mois.
Des prostituées sierra-léonaises sont également apparues depuis peu sur les trottoirs parisiens. Il s'agirait en fait souvent de nigérianes ayant obtenu le statut de réfugié. Preuve de l'activité de la prostitution nigériane en France, en quelques jours début novembre 2000, il a été signalé le meurtre de deux prostituées en région parisienne (une nigériane et une sierra-léonaise89) ; une autre prostituée, une nigériane de 24 ans, a également été blessée par balles par un voleur durant cette même période. En juin 2001, un litige pour un bout de territoire éclate entre une congolaise et 4 autres prostituées (une nigériane de 22 ans et trois sierra-léonaises de 22 à 24 ans). Ces dernières, assistées de leur proxénète, se sont rendues chez la congolaise de 35 ans : après l'avoir battue, elles se sont emparées de la fille de leur rivale, 4 ans.

En Espagne, la police a démantelé en février 2001 un réseau nigérian d'immigration clandestine destinée à la prostitution, arrêtant ainsi une vingtaine de personnes. Le réseau, dirigé par une ancienne prostituée nigériane de 22 ans, est soupçonné d'avoir fait entrer 150 prostituées en moins de 4 mois. Une agence de voyages de Benin City (Nigeria) recrutait de jeunes filles pour des emplois de secrétaires ou d'employées. Arrivées en Espagne (via Tanger et Ceuta), les jeunes filles refusant de se prostituer sont violées, torturées ou menacées de rites vaudous. Les filles devaient alors rembourser leur dette de passage (plus de 300.000 FRF, 45.700 _) et les frais quotidiens (80 FRF par jour, 12,20 _) à raison de 2.800 FRF tous les 10 jours (427 _).90 La fille pouvait également être vendue à des proxénètes espagnols pour 80.000 FRF (12.200 _).

En Belgique, diverses affaires ont illustré la présence de proxénètes nigérians. En décembre 1997, Peter Okafor, chef d'un réseau de proxénétisme est condamné à 4 ans de prison à Bruxelles pour trafic d'êtres humains. Arrêté en décembre 1996 à Brême (Allemagne), Okafor, s'appuyant sur un proxénète belge, aurait fait entrer en Europe plus de 400 femmes vendues 8.000 dollars (1.220 _), dont la moitié à la "commande". Les femmes arrivaient à Amsterdam avant de rejoindre les trottoirs et les bordels belges, allemands et italiens. Arrivées en Europe, leurs faux-papiers étaient confisqués mais elles pouvaient nénmoins racheter leur liberté contre 25.000 dollars (29.300 _)91. En décembre 1998, la police bruxelloise organise deux opérations contre le milieu de la prostitution dans la capitale belge. L'opération "Joy" vise des organisations mafieuses albanaises et l'opération "Wellington", les clans nigérians. Une douzaine de perquisitions ont été menées et 14 personnes arrêtées, dont la moitié de proxénètes. C'est une femme qui semblait diriger le réseau sur Bruxelles92. Les maquerelles nigérianes mettraient également à la disposition d'autres prostituées (belges, européennes de l'est,...) des "vitrines" à prix abusifs.
En juin 2001, le Ministère des Affaires Etrangères belge ouvre une enquête sur les activités d'un ancien ambassadeur belge au Nigeria. Il est soupçonné d'être impliqué dans une affaire de trafic de visas destinés à la prostitution mais également à de jeunes joueurs de football africains.

En Italie, le trafic de femmes nigérianes remonte au début des années 90. Aujourd'hui, il s'agit, avec les albanaises, de la première population de prostituées du pays. En Bologne par exemple, 50% des prostituées sont des nigérianes93. Une importante communauté d'africains de l'ouest vit en effet en Italie où ils se livrent à divers travaux manuels (notamment des récoltes d'agrumes). Les bandes criminelles nigérianes sont actives dans la vente de produits de contrefaçon et de tabac de contrebande ; le vol ; et le petit trafic de drogue. En 1992, une enquête à Turin permet d'identifier un réseau de prostituées entrant dans ce pays grâce à des visas obtenus pour des "raisons religieuses" (visite au Pape). Des employés corrompus de l'Ambassade d'Italie à Lagos sont impliqués dans ce trafic. Elles arrivent soit directement en Italie avec des promesses de travail, soit elles transitent par Francfort pour venir en Italie par avion ou bus. Les femmes seraient vendues en Italie à des maquerelles pour 10 à 12 millions de lires chacune (de 5.100 à 6.200 _)94. Il semble que le marché italien soit rentable puisqu'au moins un meurtre de nigérian a été signalé en 1998 et en 1999 des affrontements entre proxénètes albanais et nigérians se sont déroulés dans le sud de la Péninsule. Un "impôt criminel" est prélevé par les organisations criminelles locales, notamment par la Camorra dans les cités balnéaires de la région de Caserte.

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86 "African Organised Crime" - document d'Interpol - septembre 1999.

87 Certaines sources indiquent également que le réseau était impliqué dans un trafic d'organes.

88 Selon les contrôles de police effectués en 1999 sur la voie publique : sur 1.972 prostituées étrangères contrôlées, on comptait 211 camerounaises, 62 ghanéennes, 6 libériennes, 14 sierra léonaises et 49 nigérianes (sources : OCRTEH).

89 Il ne s'agirait pas de règlements de comptes ou d'exécutions au sein du crime nigérian mais plutôt de meurtres par des clients.

90 La police évalue le "rendement" journalier d'une de ces prostituées à 500 FRF, 76 _ (à raison de 40 FRF - 6,10 _ - la fellation et 120 FRF - 18,30 _ - le rapport sexuel complet).

91 Le Soir du 17 décembre 1996 et du 12 septembre 1997.

92 Le Soir du 8 décembre 1998.

93 "Villes et lieux de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle" - Forum Européen pour la Sécurité Urbaine - colloque à Lyon 11 et 12 février 1999.

94 En septembre 2000, au moins 3.000 prostituées nigérianes attendent leur expulsion dans des prisons italiennes.