Génération de déséquilibres
Que ce soit au niveau de certains Etats ou au plan local, le développement des activités criminelles met en péril les grands équilibres économiques, mais aussi les principes et les mécanismes de fonctionnement de nos sociétés.
Si nous reprenons le
simple exemple du jeune veilleur18
de banlieue qui ``gagne'' plusieurs milliers de francs par semaine
. . . par quel prodige
peut-on tenter de l'insérer socialement, comment lui faire saisir
l'intérêt d'une formation et de l'exercice d'un métier
pour lequel il percevrait en un mois ce qu'il récolte sur le trottoir
de sa cité en huit jours ?
Il y a là un décalage fabuleux entre la prescription théorique, vecteur du message de la société, et la réalité quotidienne que seule une politique volontariste et déterminée peut espérer parvenir à réduire.
Autrefois, la réalité c'était le salaire de misère de l'ouvrier spécialisé ; et le rêve, la richesse que pouvait réserver une réussite inespérée.
On voudrait aujourd'hui parvenir à faire rêver un adolescent de devenir plombier pour un salaire de 8000 francs par mois, quand la marginalité lui offre autant chaque semaine. Comment faire ?
Le mécanisme du choix individuel est identique à celui qui fait préférer au paysan Colombien la culture de la feuille de coca à celle du café ; le licite s'avérant infiniment moins lucratif que l'illégal. L'une des toutes premières conséquences de ce décalage se situe au niveau de l'emploi, notamment dans les secteurs de l'industrie, du bâtiment et des services pour lesquels les employeurs ne parviennent plus à recruter de personnels qualifiés, alors que les systèmes éducatifs et de formation peinent à remplir les sections correspondantes.
On ne vient à reparler sérieusement de faire appel à de nouveaux contingents de travailleurs immigrés pour occuper ces emplois, alors même que nous ne sommes pas parvenus à intégrer de manière satisfaisante dans le corps social les générations issues des vagues d'immigration précédentes. Les chiffres annoncés pour l'ensemble de la communauté européenne se compteraient en dizaines de millions d'individus.
Ce développement d'une économie parallèle ou souterraine dans le contexte des banlieues ne peut échapper à personne ; et pourtant, évoquée en présence d'acteurs politiques elle est couramment balayée avec mépris d'un revers de main :
``Ce n'est qu'un épiphénomène
sans signification particulière `'
s'entend-on fréquemment
répondre avec une pointe d'agacement. Le refus de voir et de considérer
une telle dérive à sa juste importance peut être comprise
de deux manières différentes qui, l'une comme l'autre, disqualifient
la classe dirigeante :
Dans une hypothèse optimiste, ils sont atteints de cécité et se révèlent inaptes à l'analyse d'une problématique simple malgré tous les signaux d'alerte que peuvent émettre les services déconcentrés de l'Etat et notamment ceux de la police, de l'éducation, de la santé publique. . .
L'alternative pessimiste pourrait laisser penser que cette situation connue constitue de fait à leurs yeux une soupape de sécurité, un substitut à des mesures énergiques pour l'emploi que l'on ne veut ou ne peut mettre en place et accompagner d'une volonté affirmée de dire enfin la loi et de la faire respecter. Comme si l'on se contentait de ne pas voir pour ne pas devoir justifier l'immobilisme.
Laisser sciemment perdurer une telle situation en imaginant qu'elle différera ou empêchera une explosion locale ou généralisée, confine au delà de la négligence à une complicité de fait avec une forme de criminalité organisée. C'était le discours tenu à propos de la situation économique et sociale en Italie voici une vingtaine d'années, quand on affirmait que le travail illégal rendait supportable un chiffre du chômage impossible à déterminer et contribuait au dynamisme économique du pays.
On a pu voir à
qui réellement profitait une telle situation, notamment dans les
régions du sud, les plus pauvres, mais aussi les plus étroitement
contrôlées par la mafia.
Directement alimenté
par l'immigration illégale, le développement et la multiplication
des ateliers clandestins, au delà des infractions à la loi,
a une incidence économique qui peut devenir conséquente.
L'industriel qui s'oblige à respecter la législation sur
le travail perd rapidement tout ou partie de sa compétitivité
quand il est ainsi menacé sur son secteur d'activité. Il
ne peut pas réduire ses prix en deçà des coûts
de revient. Dans un contexte où la concurrence est déloyale,
il n'a d'autre alternative que se déclarer en faillite ou délocaliser
sa production vers l'île Maurice, la Tunisie, l'Afrique, là
où la rémunération locale du travail est comparable
aux pratiques clandestines. Dans un cas comme dans l'autre, il ne contribue
plus à l'enrichissement national et alimente conjointement les chiffres
du chômage.
Ce faisant, l'industriel
ignore cependant souvent qu'il part se mettre sous la coupe des racketteurs
de mafias locales qui exigeront à leur tour des ``taxes'' en échange
de la protection de son activité, voire à terme parviendront
à s'emparer ``légalement'' de son outil de travail.
A travers ces exemples simples et localisés on comprend aisément quels dangers les activités criminelles et mafieuses font courir aux circuits économiques traditionnels en générant des déséquilibres insupportables.
La stratégie
est somme toute élémentaire : à partir de territoires
fragiles dont on s'efforce de prendre le contrôle en y développant
la petite criminalité, on installe de véritables fiefs, zones
grises dans lesquelles le droit commun n'a plus cours et dont la population
comme le tissu économique sont mis en coupe réglée
par quelques hommes de main aux ordres des grandes organisations. La base
étant établie, il ne reste plus qu'à développer
et à diversifier les activités en prenant soin d'évincer
les acteurs économiques traditionnels d'une façon ou de l'autre.
La machine lancée, rien ne peut plus s'opposer à cette dynamique,
notamment lorsque ces entités criminelles acquièrent pour
une bouchée de pain et en toute légalité les entreprises
et commerces dont elles ont préalablement ruiné les propriétaires.
La respectabilité
économique et sociale n'est là encore pas une fin en soi,
mais vise essentiellement à ménager des façades qui
permettront aux profits illicites d'être réinjectés
en toute quiétude, en toute impunité, dans le circuit légal.
Les choses deviennent autrement préoccupantes lorsque ce sont les systèmes étatiques eux-mêmes qui se mettent au diapason et adoptent à leur profit les m_urs et les pratiques mafieuses. L'exemple Russe, tout comme celui des Etats Balkaniques devrait donner à réfléchir.
Il n'y a pas une infinité de méthodes, mais simplement une variation d'échelle selon les lieux et les activités développées. Ce qui rend la contre attaque excessivement complexe tient justement à la similitude des processus : les groupes criminels ou mafieux ne font qu'adapter à leurs besoins et à leurs objectifs les modes opératoires pratiqués au grand jour par les acteurs économiques légaux. La volonté politique qui visait à libéraliser la presque totalité des échanges au lendemain de la guerre froide, a largement contribué à ``booster'', à stimuler les activités criminelles transnationales dont les donneurs d'ordres n'ont plus eu qu'à se mettre au goût du jour en adoptant les technologies de communication et de gestion qu'avec un angélisme désarmant et consternant les experts économiques n'imaginaient que destinées à leur seule intention.
De même, la confusion des genres adoptée par l'ex nomenklatura soviétique s'adonnant simultanément ou successivement, aux activité mafieuses et à la prise de contrôle de pans entiers de l'activité économique Russe, a fait école. Le même scénario préside à l'ouverture au marché mondial de la République Populaire de Chine. Le passage d'une orthodoxie marxiste pure et dure au concept d'économie de marché semble ne pas avoir généré trop d'états d'âmes parmi les dirigeants chinois.
C'est la gérontocratie militaire qui s'est du jour au lendemain, ou presque, retrouvée aux commandes [via le complexe militaro industriel] des activités économiques et des entreprises d'Etat brusquement converties aux charmes de l'économie de marché et à l'ouverture sur l'occident.
De véritables dynasties familiales ont éclos ``sui generis'' avec un encadrement constitué de fils et de filles de dignitaires du régime majoritairement issus du milieu militaire. Les parkings des hôtels internationaux de Pékin, de Xian, de Shangaï, de Canton sont encombrés de ``Mercedes, BMW `' et autres limousines de prix, toutes affublées de plaques minéralogiques militaires. . . Les bars des mêmes hôtels sont bondés à partir de 17 heures de ces mêmes dignitaires en civil. . . on discute ``affaires''. . .
Des artères commerçantes issues du néant ont vu le jour à Canton, à Shanghai : s'y succèdent les magasins de luxe les plus prestigieux, identiques à ceux de Madison avenue, des Champs Elysées, du Kurfurstendamm, dans lesquels on ne distingue curieusement aucun client du matin jusqu'au soir.
Rencontrant en 1995 le Consul Général de France en poste à Shanghai, il émettait en confidence l'hypothèse que l'on avait peut-être sous les yeux la version ``fin de siècle'' de la plus belle série de ``blanchisseries automatiques d'argent gris''.
Cette succession d'exemples illustre, même s'il n'est pas aisé d'en démonter avec précision et certitude les mécanismes subtils, la prolifération, le développement, la généralisation de ``modus operandi'' aux similitudes troublantes, qui procèdent tous de principes fonctionnels de base identiques, liés à la fois à la génération de gains occultes et à la volonté de leur donner une légitimité, une respectabilité.
En ce qui concerne l'Empire du Milieu, les profits recyclables ne manquent pas, depuis la production des stupéfiants jusqu'aux armes, en passant par la contrefaçon industrielle de produits audiovisuels ou informatiques (logiciels, compacts discs, cartes bancaires, etc).
Le visa pour le marché mondial validé par l'Organisation Mondiale du Commerce présupposant une façade d'honorabilité, on consent les efforts et sacrifices nécessaires, même s'il est de notoriété universelle que la criminalité d'Etat chinoise est parmi les plus actives et prospères au détriment des opérateurs économiques occidentaux.
Au prix de l'exécution sommaire de quelques menus escrocs malchanceux chaque mois sur le stade de Shanghai, les apparences sont sauves, on maintient ainsi l'image de marque traditionnelle et un peu brutale au demeurant de la République Populaire ; même si dans la foulée les corps des suppliciés alimentent les trafics internationaux d'organes humains fraîchement prélevés, contre espèces sonnantes et trébuchantes (en dollars de préférence !). Les quelques timides protestations enjoignant au respect des droits de l'homme n'entament pas la sérénité traditionnelle des dirigeants chinois, mais donnent bonne conscience à l'humanisme occidental de bon aloi, sans entraver en quoi que ce soit la longue marche en avant du ``business''.
Nous nous retrouvons dans un contexte d'extrême confusion, le pouvoir politique et l'autorité des Etats sont directement mis en péril par des acteurs plus ou moins respectables, selon qu'ils s'apparentent à la galaxie des grandes firmes transnationales ou aux réseaux de la grande criminalité internationale qui de fait imposent, dictent leurs propres règles et lois aux Etats ; aggravé par le fait que de place en place apparaît une tendance préoccupante de collusion de plus en plus lisible entre ces acteurs et le pouvoir politique lui même.
L'incompétence ou la vénalité des hommes politiques, les a fait délaisser progressivement la plupart des attributs de la souveraineté qui leur était confiée, que ce soit en matière économique comme dans le domaine financier et monétaire, puisque ces deux champs leur échappent aujourd'hui totalement en vertu des règles nouvelles de l'économie mondiale.
Souvenons nous que de tous temps, la monnaie a toujours eu une signification fondatrice et symbolique pour l'Etat ou le souverain qui avait le privilège de la ``battre'' et de la mettre en circulation. Sa puissance se mesurait à l'aune des réserves dont il disposait pour garantir sa valeur.
De même, le prestige d'un Etat s'évaluait au regard des richesses matérielles qu'il était en mesure de susciter, de générer, de développer. COLBERT n'avait pas d'autre objectif quand il suggérait à LOUIS XIV de créer les manufactures royales.
Toutes ces prérogatives ont été successivement abdiquées au nom d'une pensée unique dominante prônant la suppression progressive de toutes les formes de contrôles exercés et diluant par conséquence tous les domaines dans lesquels l'autorité régalienne avait vocation à s'appliquer. Au delà d'un certain seuil, la renonciation devient irréversible, puisque les leviers de commande traditionnels sont délégués, délaissés, abandonnés en d'autres mains.
Nous évoquions, plus haut le glissement du champ lexical affectant le registre traditionnel des échanges, qui emprunte aujourd'hui beaucoup à celui du vocabulaire polémologique : c'est désormais le langage de la guerre qui soutient curieusement les argumentaires économiques.
Le combat des puissants à quitté progressivement (mais pour combien de temps ?) les terrains de manoeuvres militaires, y gagnant au passage, la disparition des images de guerre aidant, une réputation désormais plus flatteuse ; et s'est engagé sur le terrain des échanges commerciaux qui, plus proprement en apparence, peuvent réduire l'adversaire à l'inaction, à la dépendance, voire au néant. Cette stratégie nouvelle, en grande partie initiée par les USA, est parvenue aujourd'hui à mettre en coupe réglée le marché planétaire, à faire plier plus aisément et plus efficacement à la volonté d'un seul la plupart des Etats, que n'avaient tenté de le faire des guerres post coloniales contre les divers mouvements de libération.
Le contexte global ayant été unilatéralement modifié, le terrain des affrontements et des conflits s'étant déplacé, il n'est pas surprenant que des équilibres cherchent aussi à se reconstituer.
En l'absence d'un véritable terrain idéologique de confrontation et du fait de la disparition de la bipolarité, l'alliance de circonstance entre les guérillas dégénérées privées de leurs soutiens respectifs et une criminalité globale menaçant les intérêts transnationaux, ne devrait étonner personne. On voit même apparaître depuis quelques années de nouveaux acteurs, relativement difficiles à identifier, mouvements anarcho écologistes en déshérence opposés aux règles du nouvel ordre économique, qui parviennent à entraver le bon déroulement des conférences de l'OMC et du FMI, comme ce fut le cas tout récemment à Seattle, à Washington ou à Davos, voire qui par collusion avec des organisations locales s'attaquent désormais aux symboles du capitalisme américain triomphant tels Coca Cola ou Mac Donald's.
Quelles réponses apporterait-on, dans un registre somme toute similaire, si demain une mouvance écologiste dure se mettait en tête de faire sauter une centrale aux seules fins de prouver à l'opinion publique que le nucléaire constitue un danger véritable ?
De tels ``scenarii'' ne sont pas la pure vue de l'esprit issue d'une imagination débridée, quand on sait avec quelle détermination les ``Verts'' allemands s'attaquent régulièrement aux transports de matières fissiles par voie ferroviaire ou routière. Aucun de ces cas d`école, crédibles sinon probables, ne sont sérieusement pris en considération par les pouvoirs publics.
Mise en péril des opérateurs économiques légaux
A quelque échelle qu'elles se développent, les activités illicites, qu'elles soient le fait de grandes entreprises de dimension intercontinentale ou celui de groupements d'intérêts criminels, constituent un risque majeur de déstabilisation économique.
Ce fut le cas pour quelques établissements financiers complaisants, brutalement débités de fonds d'origine criminelle qu'ils hébergeaient, et qui ont entraîné dans la faillite tout une série d'organismes, par le jeu des garanties sur avoirs que s'octroient les banques les unes aux autres et qui sont censées couvrir les risques bancaires. On a vu ainsi un véritable syndrome des ``dominos'' frapper et ruiner toute une série de Caisses d'Epargne étroitement liées entre elles et disséminées dans les différents Etats des USA.
Les retraits brutaux des fonds spéculatifs, qu'ils soient d'origine criminelle ou plus légalement issus des fameux fonds de pension des caisses de retraites américaines, peuvent du jour au lendemain déstabiliser le fonctionnement financier d'une entreprise ou d'un pays, générant du même coup, des faillites en chaîne, des mouvements de panique chez les petits épargnants, prémices d'éventuels troubles politiques.
Le scénario de la crise Albanaise en 1997 et 1998 ; où les mafias étaient parvenues à drainer vers des banques peu scrupuleuses dont elles avaient pris le quasi contrôle, la presque totalité de l'épargne populaire, le jeu de la pyramide financière ayant attiré presque toute une population se prenant à rêver de richesse et de réussite après les années de férule d'Enver Hojda, peut sans nul doute se reproduire ailleurs et générer les mêmes effets : début de guerre civile et exode massif de populations ruinées n'ayant plus rien à perdre.
Les fonds publics sont également menacés, quand par le biais d'appels d'offres truqués et de sociétés écran, ils sont détournés de leur destination initiale. Corrélativement, les entreprises évincées de ces marchés sont mises en péril.
Le commerce de proximité, ruiné par la petite délinquance des banlieues finit par disparaître, fournit son contingent de chômeurs et nourrit le sentiment d'exclusion dans les quartiers sensibles.
Le marché de l'immobilier qui peut fluctuer dangereusement en fonction du degré d'insécurité qui règne dans les quartiers contribue à dévaluer le bien du petit possédant.
On pourrait ainsi dresser un ``inventaire à la Prevert'' de toutes les incidences économiques des délinquances installées, qu'elles soient petites ou majeures. Un pays dont le climat économique se verrait à ce point fragilisé aurait quelque peine à attirer des investisseurs ou simplement des pourvoyeurs d'emploi. C'est bien pour tenter, avec un succès au demeurant mitigé, que l'on a créé en France, dans les régions déshéritées des zones dites franches, avec l'espoir d'y attirer des opérateurs économiques que l'on croyait capables et désireux d'inverser une tendance dont on sentait confusément qu'elle conduisait à l'impasse économique, sociale et par conséquent politique.
Il faut garder présent à l'esprit que si toutes les formes de délinquance et de criminalité ont pour constante et finalité dernière l'enrichissement, elles sont par ailleurs interconnectées les unes aux autres et fonctionnent en réseau. Là où les Etats ne savent que peu ou mal mettre leurs moyens en synergie, les organisations criminelles et c'est leur force, ont sur ce plan encore une longueur d'avance.
Sans céder à une quelconque paranoïa qui dépeindrait ``l'empire du crime'' comme une seule et même structure tentaculaire, il serait tout aussi irresponsable et dangereux de sous estimer ses aptitudes et de ne pas distinguer, serait ce au fil de l'analyse des grands dossiers criminels de dimension planétaire, les étroites relations d'interdépendance qui apparaissent entre les acteurs majeurs.
Au sommet de la Grande Arche de la Défense en juillet 1989, à l'initiative de la France, les Etats membres du G7 ont semblé avoir pris conscience de la nécessité impérieuse d'intervenir et ce sur le point le plus sensible : l'argent. Cette volonté enfin affirmée d'engager la lutte contre les profits illicites n'a pas, à quelques exceptions près, donné les résultats escomptés si l'on en juge par les estimations de la progression depuis cette date des enrichissements criminels. Au delà des déclarations d'intention, rien n'a été réellement accompli pour venir à bout des places financières `'off shore'', jalousement protégées par les pays qui les hébergent et qui en vivent, aucune disposition réellement applicable du droit international ne semble devoir être prochainement mise en oeuvre.
Jean louis Herail et Patrick Ramael, faisant référence à l'ouvrage d'Edouard Chambaud identifient trois types majeurs de paradis fiscaux19.
Type ``Anglo-Saxon'' : avec secret bancaire garanti, même si dans certains cas l'identité des opérateurs peut apparaître.
Type dit ``Helvétique'' : pas de contrôle des changes et la mention du nom du titulaire n'apparaît que dans le seul contrat de fiducie20.
Enfin, les paradis fiscaux garantissant l'anonymat total, exemple le plus connu : les Iles Caïman
Mais sans aller chercher si loin, au sein de l'Union Européenne certaines places financières attirent en nombre les capitaux de ceux qui veulent bénéficier d'une discrétion à toute épreuve :
Le Luxembourg
Les Iles Anglo Normandes
Andorre
Monaco
La Confédération
Helvétique
. . . un peu plus
loin certes, mais en France tout de même, La Polynésie
Comment alors concilier des déclarations comme celle du sommet de l'Arche, suivies de la création de structures telles le GAFI ou TRACFIN21 et l'incapacité de s'opposer aux Etats ou micro Etats qui prospèrent grâce à l'accueil complaisant d'argent sale ? Que dire quand au sein même des pays qui disent vouloir mettre fin à ces pratiques se situent des espaces de non droit ?
Comment espérer voir mettre fin à ces activités quand le législateur français lui même se fait tiède et timoré, rejetant au nom des principes de la justice républicaine, l'amendement proposé par le député Pierre Lellouche qui proposait qu'en matière de procédure criminelle sur les affaires de délinquance financière et plus spécifiquement de blanchiment supposé d'argent sale, la charge de la preuve soit exceptionnellement inversée ? Ce refus s'appuyait sur la volonté de respecter la règle de la preuve et par conséquent du principe d'innocence. On peut certes comprendre les scrupules des parlementaires, les risques de dérive, voire de jurisprudence d'une telle entorse au droit. . . mais le crime organisé est-il aussi respectueux des institutions et de la légalité ? Ne pouvait on en la matière tenter de s'entourer de toutes les garanties et considérer nonobstant qu'en certaines circonstances la fin puisse, fût-ce à terme seulement, voire de manière exceptionnelle, justifier les moyens ?
Comment interpréter cet immobilisme politique ? Ne peut on supposer, imaginer de manière sans doute très perverse, que subsiste un fossé entre les discours et les faits, que ce non passage à l'acte protège qu'on le veuille ou non des activités criminelles et qu'en poussant ce raisonnement malveillant jusqu'à son terme on puisse en conclure que les activités criminelles ont leurs ramifications jusque dans les étages supérieurs de la vie publique.
Déstabilisation politique
Le monde a vécu au cours du demi siècle qui va se terminer des accélérations fulgurantes dans tous les domaines : historique, scientifique, technologique, social. En termes de perceptions spatio temporelles, donc en valeur relative, la planète s'est réduite aux dimensions d'un gigantesque village entre les différents points duquel tout circule désormais extrêmement vite : les informations, les hommes, les marchandises, les richesses. Au cours de cette même période, les structures des Etats se sont, dans le meilleur des cas, efforcées de s'adapter et dans la pire des hypothèses sont restées pétrifiées. De fait, tous les repères traditionnels ont été bouleversés au point que certains n'hésitent pas à remettre en cause les fondements de l'Etat Nation, aux motifs que les évolutions géopolitiques, la libre circulation des personnes et des biens, l'avènement d'un régime de libre échange sans limites et sans entraves lui ôtent toute forme de signification.
Nous avons vu que les forces criminelles s'installent de préférence dans les régions anomiques, peu contrôlables par les autorités, dans les mégalopoles ingérables, dans les espaces géographiques particulièrement troubles.
Ainsi les régions ravagées par les conflits inter ethniques ou les guerres civiles ont elles spontanément attiré vers elles des cohortes de prédateurs venus y installer leurs bases.
Rien ne permet de réfuter
``a priori'' la thèse selon laquelle des ``scenarii'' inverses ne
puissent se mettre en place et qu'à partir de territoires simplement
instables, une lente mais efficace pénétration d'acteurs
criminels ne parvienne, le moment venu à catalyser, déclencher
des situations de type insurrectionnel.
On ne s'est pas outre
mesure étonné de l'ampleur prise par les émeutes de
San Francisco voici quelques années, tant on sait qu'aux USA la
réglementation sur la détention d'armes à feu est
laxiste.
Mais quand dans un pays de culture moins martiale et belliqueuse les armes sortent comme par enchantement à l'occasion d'une manifestation qui dégénère :
quand brutalement les casseurs brandissent des cocktails molotov ;
quand les services d'ordre de certains partis politiques paradent dans des treillis qui ressemblent à s'y méprendre à ceux des forces de l'ordre, arborent des armes ;
quand des colleurs d'affiches sont froidement abattus à bout portant ;
quand les chauffeurs routiers peuvent impunément organiser le blocus des axes routiers ;
quand des bandes organisées peuvent mettre des quartiers grands comme des arrondissements à feu et à sang plusieurs nuits de suite ;
on peut légitimement s'interroger, se demander si, avec un minimum d'organisation concertée, de grands groupes criminels agrémentés le cas échéant d'une vague coloration politique ne pourraient pas, si tel était leur intérêt, pousser leur avantage un peu plus loin, profiter de l'effet de surprise et de l'impréparation de la force publique pour déstabiliser durablement, sinon un Etat, du moins un gouvernement ?
De tels concours de circonstances ont déjà préexisté. . . la vigilance s'impose au simple constat de l'histoire contemporaine ou de l'actualité récente.
En ex Yougoslavie, le rétrécissement géographique de la Serbie et son repli consécutif à l'intervention armée de l'OTAN ont fait du régime de Slobodan Milocevic un conglomérat ``politicomafieux'' avec pour acteurs des hommes tel Arkane, successivement commandant d'une milice (para militaire ou para criminelle ?) qui pratiqua l'épuration ethnique avant de se reconvertir aux activités mafieuses, son antérieur terrain de prédilection et de finir comme le vulgaire truand qu'il n'avait jamais cessé d'être.
Au Congo, Laurent Désiré
Kabila, trafiquant d'armes, de gemmes et de stupéfiants, propriétaire
des plus grands bordels de Khartoum, s'est à l'issue de combats
fratricides assuré le contrôle d'un Etat dont il devenu le
Président auto proclamé et qu'il a rebaptisé non sans
quelque cynisme ``RDC'', République ``Démocratique'' du Congo.
En 1982, Pablo Escobar22
est élu député suppléant de Medellin, alors
que ses activités de narco trafiquant sont de notoriété
publique. Au début de la décennie 90, le même Escobar,
craignant que n'entre en vigueur une loi autorisant l'extradition vers
les USA des dirigeants de cartels, propose de racheter la dette extérieure
de la Colombie. Il semble, selon les estimations des experts, qu'il en
avait amplement les moyens.
Aujourd'hui en Colombie, la dérive de la situation est devenue telle, la confusion entre la puissance des cartels et les forces révolutionnaires antigouvernementales si étroite que l'on en arrive à un partage tacite du territoire qui échappe en partie au contrôle de l'Etat23 ; lequel, comme on l'a vu récemment se trouve réduit, en la personne du Président de la République, à négocier avec le commandant en chef des Forces Armées Révolutionnaires24.
De même, il est aujourd'hui difficile de déterminer avec assurance qui, des politiques fraîchement convertis aux délices de l'économie de marché ou des criminels, dirige effectivement la Russie. De forts soupçons pèsent quant au détournement d'aides internationales conséquentes au profit du clan de Boris Elstine, lequel s'est d'ailleurs auto amnistié par avance en échange de la transmission du pouvoir à son successeur désigné, puis tout récemment élu. Il est également instructif de constater que les actuels opérateurs économiques de premier plan en Russie, ont tous ou presque un lourd passé politique, voire politico policier, statut qui les mettait en position de premier choix pour opérer avec bonheur leurs reconversions.
18cf
supra ``territoires de nuisance''
19JL
Herail P Ramael : Blanchiment de l'argent et crime organisé PUF
11/96 E Chambaud Guide des paradis Fiscaux Seuil 93
20Fiducie
: du latin fiducia qui signifie confiance (contrat par lequel un individu
confie quelque chose à un autre qui s'engage à la lui restituer.
LE ROBERT T3 page 2
21GAFI
Groupe d'Actions Financières Internationales ; TRACFIN Traitement
et Action Contre les Circuits Financiers
22Xavier
Raufer in Les Superpuissances du Crime p 276 ed PLON
23Voir
en annexe la carte du partage tacite de la Colombie entre les guérillas
et les forces paramilitaires.
24Entrevue
récente entre le Président Pastrana et Manuel Morlemba Velez,
Commandant en Chef des FARC.