La question de l'identité n'est pas légère. Parce qu'elle implique notre responsabilité d'homme. Qu'est-ce que l'identité ? Le fait de définir le concept d'identité nous permettra par l'absurde d'approcher le concept de « fausse identité » et de le décliner.7X = X. Théorème des anneaux dans un ensemble de Bool. Jean Luc VERLEY, Cours d'Algèbre Hermann.
L'une des premières réponses nous vient des mathématiques qui nous démontrent que l'identité « remarquable » est un principe fondamental de la logique traditionnelle, selon lequel toute chose est égale à elle même7. Est-elle pour autant identique ? C'est là une première approche de la fausse identité.
La fausse identité est-elle quelque chose d'appréhendable ? Gottlob FREGE a observé en 1894 que l'identité est indéfinissable ; « puisque toute définition est une identité, l `identité elle même ne saurait être définie ». Avant d'aborder le concept des fausses identités, il faut admettre qu'il y a une difficulté intrinsèque à saisir scientifiquement le concept d'identité, sur les plans les plus divers, que ce soit d'un point de vue philosophique, psychologique, anthropologique ou mathématique. De là, nous étayons une première ébauche de réponse : le concept de fausse identité existe du fait de l'existence de contrôle de l'identité des personnes.
Sans qu'il soit question d'approfondir ces sujets très complexes, il est donc essentiel de s'y intéresser avant de pénétrer dans une logique criminelle. Cette longue introduction sur le concept « d'identité » et de « fausse identité » est donc un préalable indispensable.
Philosophiquement
ARISTOTE a cherché quels sont les critères de l'identité. La distinction entre une identité par accident (celle de la naissance par exemple), par coïncidence (l'identité culturelle de chacun d'entre nous), et une autre qui l'est de plein droit, n'est pas satisfaisante pour le philosophe. En effet, l'identité d'une personne est plurielle, c'est à dire qu'elle se compose de ces trois substances identitaires complémentaires. A l'inverse, la fausse identité est singulière, c'est à dire qu'elle marque l'unité. En effet, une personne ayant une fausse identité n'usera que des avantages de droit. Impossible d'associer une histoire véritable. Tout au plus , la personne sous fausse identité rattachera à sa nouvelle identité, sa propre culture et parfois une partie de son histoire personnelle, sans quoi il peut y avoir perte de cohérence.
David HUME, un philosophe anglais du siècle des lumières, est persuadé que l'identité est une fiction8. L'identité véritable se dit seulement des êtres « dont la matière est une, soit par la forme, soit par le nombre, ainsi que des êtres dont la substance est une ». L'identité se rapporte en effet à l'existence dans le temps et à la variation de celui-ci, et elle présuppose l'unicité qualitative : le même s'oppose au différent. Pour ce faire, il s'interroge sur l'identité des objets, en se demandant si un objet observé à l'instant T est toujours le même que celui qu'il observa à l'instant T-1. Il réfléchit beaucoup, et il lui sembla que non. L'action du temps avait transformé l'objet. Il en est de même avec une personne, sauf qu'un objet peut être remplacé par un autre, tandis qu'un être reste « une unité d'être ». Si dès lors l'identité n'existe pas pour David HUME, on en déduit automatiquement que la fausse identité n'existe pas non plus !
Voilà donc deux points de vue différents sur l'identité et la fausse identité. Beaucoup d'autres philosophes ont avancé des théories sur l'identité, toutes aussi complexes les unes et les autres. On conviendra donc simplement que l'identité ne s'applique qu'aux êtres. Par déduction, le concept de fausse identité ne se conçoit que pour des êtres, non pour des animaux ou des objets.Psychologiquement
Sur le plan psychologique la fausse identité est une transformation partielle du moi. C'est aussi la négation de l'identité personnelle, prise au sens littéral de similitude absolue, (je suis moi). Les êtres varient dans le temps et évoluent parfois. Nous ne sommes plus les enfants que nous avons été. Être sous une fausse identité, ce n'est pas « je suis un autre », c'est « j'ai changé volontairement quelque chose en moi ».
Pour simplifier :
· Alors que j'ai été Moi à un instant T avec une identité X.
· Je suis désormais Moi à un instant T+19 avec une identité Y.Pourtant, je suis toujours le (la) même. C'est la fausse identité ! On ajoutera d'ailleurs que la fausse identité requiert un acte strictement intentionnel. Psychologiquement, on peut donc affirmer que la fausse identité est une transformation de l'identité personnelle.
L'identité interpersonnelle « Je suis un autre » mène à une réflexion différente, qui n'a rien à voir avec le concept de fausse identité. L'acte n'est plus volontaire. Ce sont les cas des personnes qui ne reconnaissent pas leur propre sexe et qui en changent : les transsexuels avant leur transformation. Que dire également des personnes qui souffrent de pathologies schizophréniques parce que leur personnalité est déstructurée et qu'elles s'imaginent être un (une) autre. Toutefois, on a beau s'imaginer être quelqu'un d'autre, on n'en reste pas moins soi.
En un sens restreint, l'identité personnelle concerne le « sentiment d'identité » (idem, mêmeté), c'est à dire le fait que l'individu se perçoit le même, reste le même dans le temps, même s'il évolue avec l'âge. Mon identité, c'est donc ce qui me rend semblable à moi même et différent des autres ; c'est ce par quoi je me sens exister aussi bien en mes personnages (fonctions et rôle sociaux) qu'en mes actes de personnes (signification, valeurs orientations). Mon identité, c'est ce par quoi je me définis et me connais, ce par quoi je me sens accepté et reconnu comme tel par autrui. A partir du moment où je prends une fausse identité, c'est pour requérir une reconnaissance ou un statut différent de celui que mon identité véritable m'apporte.
Il est donc nécessaire de conclure que nous nous fabriquons notre identité au fur et à mesure de notre vie. Pour se rapprocher de la définition d'ARISTOTE, la fausse identité n'est qu'un accident de parcours dans cette construction.
Anthropologiquement
C'est l'approche du concept de l'identité en anthropologie qui nous amènera à mieux saisir le concept de fausse identité.
L'identité des individus est partout culturellement codée, notamment à l'occasion des rituels jalonnant la vie et de ce qui marque l'appartenance à certains groupes. Tout individu s'inscrit au sein d'une classe d'êtres humains donnée, opposée à d'autres. Par exemple les hommes et les femmes, les adultes et les enfants, les vieux et les jeunes, les aînés et les cadets, les bons et les méchants, les instruits et les ignorants, les honnêtes citoyens des malhonnêtes, les émigrés en situation régulière de ceux qui ne le sont pas, etc. C'est évident, la fausse identité permet de donner l'impression à la collectivité, qu'une personne appartient à une classe spécifique de l'espace social, bien que cela ne corresponde pas à la réalité.
Quelle que soit la société dans laquelle on vit, l'imposition du nom « propre » personnel10 est une étape essentielle de l'inscription d'un individu comme singularité à l'intérieur et à l'extérieur de ces différentes classes d'appartenance. C'est la première étape de l'identification.
La question de l'identité, vraie ou fausse, est inséparable de celle de l'individualité, c'est à dire de la différenciation par rapport aux autres. Pour identifier une ou plusieurs personnes à d'autres, il faut bien les distinguer de tout ce qu'elles ne sont pas ; et à l'inverse, pour éviter d'être identifié il faut échapper à ce qui se rapproche de sa propre identité véritable.Pour résumer, tous les individus ont besoin d'être identifiés par rapport à d'autres individus, pour construire leur propre identité. Simplifions le fait que la fausse identité est une anomalie volontaire de cette construction identitaire, anomalie destinée à empêcher l'identification.
Mathématiquement
Comme toujours en mathématique, il faut partir dans le sens inverse de ce vers quoi on souhaite aboutir. Ainsi, dans la logique de l'identité, deux mathématiciens britanniques, RUSSEL et WHITEHEAD ont essayé de démontrer par l'absurde que ce qui ne pouvait être substitué à autre chose était unique. S'appuyant sur les travaux de LEIBNIZ11, ils démontrent que le principe de la substitution dit salva veritae, ou loi de LEIBNIZ, peut être formulé de plusieurs façons qui reviennent toujours à la définition suivante :
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Autrement dit, x et y sont identiques s'ils se correspondent dans toutes leurs propriétés. L'identité constitue t-elle une égalité, et laquelle ? En tous cas, l'identité s'évalue par la substitualité de signes, de concepts ou de propositions. Ainsi il est possible de déduire les lois de l'identité : symétrie, réflexivité et transitivité.
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C'est ce que l'on appelle une « relation d'équivalence ». Les lois de l'identité obéissent à une relation d'équivalence, mais pas à une relation d'égalité !
Les lois de la fausse identité obéissent à des règles différentes.
La réflexivité : Je suis « Moi » ; même si je vis sous une fausse identité, je reste « Moi ».
L'antisymétrie : Je me fais passer pour lui(elle), ce que lui(elle) ne fait pas. L'autre n'essaye pas systématiquement de se faire passer pour moi.
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La transitivité : Aux yeux des autres, je suis lui (elle). Bien qu'étant en réalité moi-même, je joue le jeu.
Sur le schéma précédent, on suppose que le carré à une fausse identité, alors que le rond et le triangle ont une identité véritable.
Les lois de la fausse identité obéissent à une relation d'ordre partiel12.On peut donc décrire les lois qui régissent la relation de l'identité et celle de la fausse identité. Si l'on souhaite approfondir la question, une nouvelle problématique consistera à se demander à quels axiomes peut satisfaire la relation de l'identification ?
C'est le mathématicien américano-polonais Alfred TARSKI qui confirme en 1941 que la loi de LEIBNIZ est qualifiable en toute rigueur, d'identité absolue (absolute identity). Selon lui, x=y si x a toutes les propriétés de y et y toutes les propriétés de x.
On retrouve une analyse légèrement différente avec ce que l'on appelle en algèbre, les « identités remarquables ». Il s'agit cette fois de raisonner par comparaison. Pour qu'une identité soit remarquable, il faut que les deux éléments étudiés puissent commuter l'un avec l'autre selon les lois suivantes :
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Ce que l'on qualifie d'identité remarquable est donc une démonstration du concept d'égalité de deux entités, capables de commuter entre eux et de donner un résultat identique. A ne pas confondre avec le concept d'identité absolue au sens d'unicité absolue.
Il faut simplement retenir de ces deux démonstrations mathématiques que égalité (identité remarquable) est différent de identité (identité absolue). Ce qui est égal n'est pas forcément identique. Cette idée est essentielle, principalement lorsque nous aborderons les principes de contrôle identitaire grâce à l'outil biologique13.
1.1. LA FAUSSE IDENTITÉ : FUITE DE LA RESPONSABILITÉ
La responsabilité consiste dans l'acte de répondre de ses actes ou de ses fautes. Une fausse identité permet à l'évidence d'éviter de répondre de sa propre responsabilité des actes que l'on a commis. Que l'on soit criminel averti, ou à la solde d'un service secret, l'utilisation d'une fausse identité est, en général, destinée à éviter une identification qui permettrait la mise en cause d'une organisation ou d'un gouvernement. On trouvera ainsi quatre possibilités d'éviter de supporter les conséquences de ses actes :
· Soit en rejetant sa propre responsabilité sur une personne virtuelle14
· Soit en rejetant sa propre responsabilité sur une personne physique. C'est l'usurpation d'identité15.
· Soit en échangeant sa responsabilité contre une autre : c'est la substitution volontaire d'identité16.
· Soit en préméditant l'extinction de sa propre responsabilité, en la rejetant sur un cadavre. C'est le vol d'identité17.L'utilisation première d'une fausse identité, c'est d'éviter la culpabilité. Pour paraphraser une formule désormais célèbre18, c'est être : « Ni responsable, Ni coupable ! ».
L'apparition d'une responsabilité implique d'abord la constatation d'un fait exigeant une réponse de droit. Mais elle implique également l'existence d'un sujet auquel l'appel est adressé en raison de sa participation au fait. L'avantage premier d'utiliser une fausse identité est justement de protéger le sujet générateur de la faute, et d'obliger la justice à abandonner ses poursuites. Ce fut par exemple, le pari de Klaus BARBIE qui s'exila en Bolivie il y a 40 ans sous le nom de Klaus ALTMANN. La justice internationale le retrouva en 1975, mais ne fut extradé qu'en 1982 et jugé à Lyon en 1987.
Toutefois, on distinguera deux cas spécifiques où la fausse identité n'est pas destinée à éviter l'endossement d'une responsabilité :
· les affaires à caractère familial (mal d'enfant),
· les mineurs sous fausses identité.Les affaires à caractère familial
l'analyse précise de l'objectif est souvent de récupérer une responsabilité par le biais d'une substitution d'identité (l'accouchement d'une mère porteuse se déclarant X alors qu'elle est Y) pour faire bénéficier à un tiers des pleins droits de maternité. Hormis les rares cas de mère porteuse strictement déclarés, ou l'on procède par la suite à une adoption normale, c'est le système de l'état civil qui est floué19 par une man_uvre clandestine de récupération d'un enfant.
On notera que même si l'intention n'est pas de créer un trouble à l'ordre public, les conséquences pour l'enfant devenu adulte peuvent devenir dramatiques (perte identitaire, défaut de succession, changement d'avis de la part de la mère naturelle, etc.)
Les mineurs sous fausse identité
Par définition, un mineur n'est pas responsable. Il arrive que des parents choisissent de donner un fausse identité à un enfant mineur pour lui permettre d'obtenir un droit ou un avantage. C'est le cas de Paule-Chanelle KIFOULA BANZOUZI20, congolaise de naissance, renommée vers l'âge de 6 ans Fanny MIENAMZAMBI (du nom de son oncle, naturalisé français), ce qui lui permet d'obtenir la nationalité française. Aujourd'hui majeure, Mademoiselle KIFOULA BANZOUZI doit-elle être considérée comme responsable du fait des actes passés commis par ses parents ?
Ne pas sanctionner l'utilisation d'une fausse identité, c'est engager notre propre responsabilité dans la désagrégation du système social pour se rapprocher au plus vite des modes de gestion pervertis que nous critiquons le plus. Il y a pourtant quelques cas où la victime est la personne ayant une fausse identité. La sanction n'est donc pas toujours la réponse appropriée.
Finalement, dans une affaire de fausse identité, qui est la victime ? L'usage d'une fausse identité a t-il créé un trouble ? Les personnes sous fausses identités sont-elles toutes auteur ou complice d'une infraction pénale ? Est-il vraiment nécessaire de retrouver à grand frais ces nouveaux criminels pour les sanctionner ? La justice doit-elle les poursuivre ? Selon les faits, les cultures, les idéologies, les mobiles, les réponses de la société civile sont différentes.
Faut-il s'en inquiéter ? Les philosophes ont coutume de dire que la responsabilité morale dépend du libre arbitre. Difficile pourtant de laisser à chacun sa propre réponse, au risque de ne pas effacer l'individualisme devant les intérêts de la collectivité. Le concept de fausse identité est bien propre à l'homme, le sens de la responsabilité étant la condition de notre humanité.
1.2. FAUSSE IDENTITÉ DES PERSONNES PHYSIQUES
Pour user d'une fausse identité, il faut être ou avoir été une personne physique. L'utilisation d'une fausse identité est subordonnée au souhait d'effacer ses responsabilités dans tous les actes de la vie civile.
D'autre part, l'usage d'une fausse identité ne peut aller sans la notion de contrôle de l'identité. Si l'on use d'une fausse identité, c'est bien pour éviter en cas de contrôle, qu'une identité véritable soit révélée. Sans contrôle d'identité, pas de fausse identité !
Or, quelle chose, matérielle ou immatérielle, peut bien attester de façon irréfutable, de l'identité d'une personne physique ? C'est ce que nous nommerons le support identitaire. La carte nationale d'identité (CNI) est le support identitaire de notre identité. Ce pléonasme apparent n'en est pas un puisque nous devrons constamment distinguer l'identité véritable d'une personne, du support identitaire (d'identification) qu'elle détient.
Bref, le changement d'identité ne peut se détacher du support identitaire. En réalité, nous vivons une époque paradoxale. Ce n'est pas tant la personne elle-même qui justifie de sa propre identité, mais le support identitaire qu'elle présente. Pour raccourcir, si vos papiers sont en règle, vous êtes en règle...
Pour une personne physique, il existe plusieurs solutions permettant de dissimuler son identité véritable :
· Avoir une identité virtuelle21
· Usurper l'identité22 d'une autre personne physique réelle
· Substituer volontairement sa propre d'identité23 avec celle d'une autre personne consentante
· Dérober l'identité24 d'une personne physique, sachant que cette dernière n'aura jamais plus aucun moyen de recours pour récupérer son identité véritable.Le support identitaire
Le support identitaire a varié dans le temps. Tour à tour, il a été :
· Déclaratif (je suis X)
· Matériel (Je m'appelle X. D'ailleurs, voici mes papiers)
· Biométrique (La photographie sur mon passeport comme mon empreinte digitale vous permettent de vous assurer que mes papiers sont authentiques et que je suis bien la personne que je déclare être)Depuis la protohistoire et ce jusqu'au XVIème siècle, le support identitaire est généralement déclaratif. Les personnages les plus importants bénéficiaient d'un sceau, destiné à authentifier leurs décisions. L'empreinte du sceau est le premier support identitaire « matériel ». Au XVIIème, les sauf-conduits attestent simplement de la qualité du porteur du document (souvent accompagné), mais non de son identité.
Les premiers papiers d'identité, ou document de légitimité apparaissent au XVIIIème siècle en Europe. Ils ne sont pas encore obligatoires. Ce sont les extraits d'actes de naissance qui en France, seront désormais systématisés par l'état civil à partir du 25 septembre 179225, puis les passeports26 destinés à voyager. Le support identitaire matériel, (papier), est désormais généralisé. La déclaration n'est plus suffisamment probatoire en matière identitaire.
Pendant l'entre deux guerres, les premières photographies font leur apparition sur les documents d'identification. Il s'agit d'opérer un rapprochement avec le porteur de la carte. C'est le premier support identitaire « biométrique ». Les premiers documents d'identité avec photographie sont militaires ; ils sont destinés à empêcher l'espionnage, la cause même de la défaite de 1870 disent les experts !
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La « carte d'identité du français » fait son apparition en France en 194227. Le contexte est hostile ; les français n'aiment pas être contrôlés, d'autant qu'à cette époque la vie se joue parfois sur un bout de papier. Culturellement, le rejet de l'identification s'installe dans nos racines. La CNI devient obligatoire en 195528 pour toute personne majeure. Entre temps, l'environnement criminel s'étant instruit des événements ou des nécessités imposées par la guerre, des artistes du faux se recyclent et développent parallèlement la fabrication artisanale de faux papiers de légitimité. Il faudra dès lors perfectionner le dispositif d'identification. Apparaissent alors en 1960 un nouveau rapprochement biométrique avec les empreintes digitales (auparavant utilisées uniquement par identité judiciaire) tandis que la CNI devient en 1960 la seule preuve de l'identité d'une personne de nationalité française.
La production de faux papiers est artisanale jusqu'en 1985 environ, date à partir de laquelle elle devient industrielle. L'effondrement mondial de l'idéologie communiste, l'implosion économique de Cuba, de l'URSS et des Balkans, ont favorisé une émigration exceptionnelle vers les pays occidentaux. En France en 1987, c'est la réplique avec la CNI dite « sécurisée »29, ou infalsifiable. Le terme infalsifiable était sans doute exagéré. La parade n'aura duré que 10 ans au maximum.
Il fallait y penser, toutes les fausses identités ne sont pas seulement basées sur un support identitaire. On peut avoir une fausse identité avec de vrais « faux papiers », ou de faux « vrais papiers » de légitimité.
Utilisation d'une identité virtuelle
Les identités virtuelles constituent probablement 90% des cas de fausses identités en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Ces fausses identités sont souvent fonction de la nature du faux support identitaire employé. Elles sont principalement utilisées par les émigrés clandestins qui achètent des faux papiers de légitimité. Aux États-Unis ce sont principalement des mineurs qui achètent des identités de personnes majeures. Il y a deux types d'identité virtuelles :
· Les identités virtuelles de bonne qualité, utilisées par la pègre ou par les services secrets (carte d'identité, passeport diplomatique, passeport français ou étranger)
· Les identités virtuelles médiocres utilisées par les émigrés (carte de séjour, permis de conduire français ou étranger)On peut considérer que l'ensemble des vrais « faux papiers » de légitimité mentionnent des identités virtuelles. La qualité des identités virtuelles est bien souvent médiocre. De simples vérifications peuvent permettre de détecter la supercherie.
Les usurpations d'identité
Usurper l'identité d'une personne est déjà une opération complexe qui nécessite préparation et préméditation. Plusieurs conditions doivent être réunies pour réussir une usurpation d'identité :
· La victime doit être vivante.
· Un lien doit exister entre la victime et la personne30 utilisant son identité.
· Il est indispensable de bien connaître la victime ou de faire une enquête la concernant.A l'inverse de l'identité virtuelle, le support identitaire d'une identité usurpée est presque toujours constitué de faux « vrais papiers » de légitimité ; si possible plusieurs !
Une bonne utilisation d'une identité usurpée doit être courte. La durée déterminée par avance est un atout de réussite. Plus l'usurpation se prolonge, plus la victime a de possibilité de prouver sa bonne foi. Les identités usurpées sont principalement utilisées par les escrocs et par les services secrets. Elles doivent représenter 5% des fausses identités.
Les substitutions d'identité
On distingue deux types de substitution d'identité :
· Les substitution in vivo
· Les substitution post-mortemLes substitutions in vivo sont toujours des actes volontaires impliquant deux personnes physiques acceptant d'échanger leur identité pendant une durée déterminée. On utilise une substitution d'identité pour passer un examen ou un concours à la place d'une autre personne, obtenir une réforme médicale ou au contraire dissimuler une pathologie, accéder à un lieu, acquérir des produits, accoucher au nom d'une autre femme, etc.
Les substitutions post-mortem sont toujours des actes volontaires impliquant deux personnes physiques dont une sait qu'elle va décéder dans un laps de temps relativement bref. A l'inverse de la substitution in vivo, la substitution post-mortem a un caractère indéterminé en terme de durée. On trouve fréquemment des cas de substitutions post-mortem dans les communautés asiatiques émigrées (indiennes, pakistanaise, chinoise) qui requièrent auprès du futur mort, la possibilité d'offrir ses papiers d'identité à une autre personne désireuse elle aussi d'émigrer.
Les substitutions d'identité doivent représenter 4% des fausses identités, à parts égales entre celles in vivo et celles post-mortem.
Les vols d'identité
Ce sont les cas plus rares, parce qu'ils impliquent souvent un acte criminel31, généralement prémédité. On considérera un pourcentage maximal de 1%.
Le vol d'identité implique :
· Le non accord de la victime, comme dans le cas de la définition d'un vol classique
· La mort de la victime
· L'irréversibilité en principe du processus de vol.On peut imaginer, sur le principe d'une substitution d'identité post-mortem, que notre émigré refuse d'offrir son identité à sa communauté, mais que ses proches ne respectent pas sa décision. Il leur suffira de faire disparaître le cadavre, et d'attribuer (disons plutôt vendre) les précieux papiers de légitimité à un candidat bien disposé. C'est un vol d'identité.
Autre cas lié, par exemple, à l'organisation de sa propre disparition. Pour disparaître de façon certaine, il faut être mort. Cela évite les recherches. Il est alors indispensable de trouver un cadavre qui va pouvoir endosser l'identité du disparu, perdant du coup sa véritable identité. Le cadavre en question est souvent un sans-abri, sans famille ; en tous cas quelqu'un dont on ne se souciera pas. Une fois enterré, (de préférence incinéré - ça évite encore les recherches), le faux disparu et vrai cadavre, repose sous une autre identité que la sienne. Qui va bien pouvoir s'apercevoir de la supercherie ? Personne en principe, sauf si le vrai disparu parfaitement vivant, fait parler de lui pour une raison ou une autre. Là encore, c'est un vol d'identité.
1.3. FAUSSE IDENTITÉ DES PERSONNES MORALES
L'attribution d'une fausse identité ne vaut pas que pour les personnes physiques. En effet on connaît quelques cas de fausse identité d'une personne morale. Une personne morale utilise t-elle pareillement une fausse identité pour fuir sa propre responsabilité ?
Ce qui va distinguer une personne morale, d'une personne physique, c'est :
· Elle pas d'identité intrinsèquement véritable comme toute personne physique
· Une personne morale est forcément composée d'une réunion de personnes physiques, qu'il s'agisse d'une société ou d'une association à but non lucratif.
· Le support identitaire d'une personne morale est uniquement déclaratif.On distingue trois cas de fausse identité d'une personne morale :
· Les personnes morales dont l'identité est virtuelle
· Les personnes morales dont l'objet social est différent de l'activité de fait
· Les personnes morales qui détournent l'identité d'une autre personne morale.L'identité véritable d'une personne morale
L'extrait de naissance d'une personne morale, c'est son immatriculation auprès du registre du commerce et des sociétés, dans quelque pays que ce soit. Les parents de cette personne morale, ce sont des personnes physiques associées par un capital et par un objet commun. Dès l'instant qu'elle est créée (inscrite au registre du commerce), une personne morale existe en tant que personne juridique ; elle est individualisée ; elle jouit de la capacité juridique de produire des actes qui l'engagent.
L'identité véritable d'une personne morale est simplement celle qu'une personne physique (sous vraie ou fausse identité) va venir déclarer auprès d'un employé du greffe en charge d'enregistrer une naissance.
Personne morale = réunion d'associés ou de sociétaires
Ce n'est pas tant la fausse identité d'une personne morale qu'il faut redouter, mais l'inexistence de son individualité juridique, derrière laquelle s'abritent des personnes physiques désireuses de réaliser quelques opérations commerciales profitables.
On notera que si les identités des personnes physiques associées peuvent être toutes fausses, seul le capital social a une existence réelle quand il s'agit d'une société, puisqu'il doit être déposé dans une banque qui établit un certificat de dépôt pour société en formation.
Support identitaire et contrôle d'identité d'une personne morale
Comment s'assure t-on véritablement de l'identité d'une personne morale désireuse de contracter un acte ? Il faut rencontrer des gens face to face32 (mais sait-on seulement qui ils sont ?), il faut voir du papier à entête, des tampons, une boite aux lettres, éventuellement avoir une ligne de téléphone, et surtout percevoir l'existence d'une capacité financière. Peu importe d'ou vient l'argent, du moment qu'il est là !
La combinaison de tous ces éléments donne vie à la personne morale, qui dès lors ne se privera pas de lancer une opération commerciale (parfois même sous le couvert d'une association à but non lucratif), de solliciter des prêts bancaires, bref de contracter.
Identité virtuelle de personne morale
Une personne morale dont la fausse identité est virtuelle, c'est une société ou une association qui a toute les apparences de l'existence juridique (faux numéro d'immatriculation, tampons, papier à entête, etc.), mais qui n'a jamais été déclarée auprès du greffe ou de la préfecture.
Les personnes morales sous identités virtuelles constituent 30% des fausses identités de personnes morales.
Citons deux cas :
· En 1997, un facteur créé une entreprise dont la dénomination est « TRÉSOR PUBLICITÉ ». L'entreprise en question n'a rien de réel. La facteur se contentait en effet d'intercepter dans sa tournée les lettres destinées à la perception de son quartier. Sur les chèques libellés TRÉSOR PUBLIC, il rajoutait soigneusement ITE et encaissait le fruit de l'impôt. Pas assez malin pour être intelligemment malhonnête, le facteur a été appréhendé au bout de six mois.
· Raymond, 55 ans, 35 ans d'expérience en escroquerie diverses, a l'idée de créer en 1999 l'association d'insertion pour jeunes en difficulté COUP DE MAIN 75, profitant du coup de la notoriété d'une vraie association dénommée COUP D'MAIN 7533. Il envoie les jeunes en difficultés recueillir des fonds qui devait leur permettre de se loger. Comme on peut le deviner, l'argent n'a pas beaucoup servi les jeunes en difficulté, malgré un chiffre d'affaires de 7,5jMF en 1 an et demi.
Vraie personne Morale mais fausse activité
L'identité de la personne morale est fausse en cela qu'elle n'exerce pas l'activité prévu par son objet social, ou tout du moins très partiellement. Les personnes morales ayant une fausse activité représentent 50% des fausses sociétés ou association.
Le cas le plus courant est la création d'une société qui existe bien, qui contracte des accords commerciaux et qui disparaît en abandonnant une structure juridique vide.
Un cas récent, celui de Kardigan Call :
· Kardigan Call est un revendeur de cartes téléphoniques prépayées. Ses clients sont principalement des émigrés indiens et pakistanais (souvent clandestins), qui désireux d'appeler leurs familles, achètent des cartes téléphoniques valables une certaine durée. Économie supposée : 30 à 50% moins cher que les opérateurs classiques France Télécom, Cégétel, etc. Très attractif pour des gens ayant peu d'argent. Les fournisseurs de Kardigan Call sont RSL COM et France Télécom. Kardigan Call commande ses cartes prépayées en gros (72 FF la carte), par plusieurs milliers (5 à 10.000). La société les revend aussitôt 100 FF pièce à des émigrés qui payent en monnaie sonnante et trébuchante. Une semaine plus tard, Kardigan Call honore le paiement de sa dette auprès de l'opérateur. Tout marche bien, les clients se précipitent, les quantités de cartes augmentent. Un jour pourtant, après que Kardigan Call ait pris livraison de 50.000 cartes, plus de nouvelles. Après quelques recherches, on s'aperçoit que les dirigeants de la société se sont évaporés au Canada34 en un clin d'_il. Les fournisseurs ne sont pas payés, l'état non plus, et les clients indiens ne peuvent plus téléphoner, l'activation de leur carte ayant été supprimé par l'opérateur. Bilan des pertes connues : 700 KF pour RSL COM, 19 MF pour France Telecom, 500 KF pour l'URSSAF et les ASSEDIC, etc. Sans compter les émigrés, qui ne vont pas aller voir la Police pour porter plainte... Évidemment le tribunal de commerce ne peut poursuivre, les dirigeants n'existent même pas ; leur identité était fausse !
Les détournement d'identité des personnes morales
Les usurpations d'identité représentent 20% des fausses identités des personnes morales. Il s'agit pour des personnes physiques de s'assurer la qualité de représentant de la personne morale et de contracter des actes en son nom.
Citons un cas :
· On connaît l'exemple d'une compagnie aérienne angolaise (que nous appellerons fictivement AngolAir) en cours de création, compagnie qui n'a jamais vu le jour. Après deux ou trois années de négociations, les principaux partenaires financiers se retirèrent du projet. Pourtant, quelques uns d'entre eux eurent l'idée de s'approprier le projet, en émettant des billets d'avion. Le fonctionnement de l'escroquerie était assez simple : la compagnie émettait des billets d'avions longue distance à des prix très compétitifs au départ de Luanda via plusieurs destinations. Par exemple : Luanda, Brazzaville, Dakar, Paris, New-York, Los Angeles. Les billets étaient édités sur des souches de transport IATA valables dans le monde entier. Pour X raisons, le(s) passager(s) n'étai(en)t pas pris en charge à Luanda, mais à Brazzaville ou à Dakar. Des compagnies étrangères terminaient alors le transport duj(des) passager(s) conformément à la souche IATA. Air-Afrique de Dakar à Paris, Air France de Paris à New-York, et Branniff de New-York à Los Angeles. Chacune de ces compagnies adressait alors la souche comptable du billet à AngolAir pour se faire payer le transport ; le billet revenait impayé pour cause de non existence de la compagnie angolaise, alors même que celle-ci avait pignon sur rue dans des bureaux de Luanda ! Ce petit manège dura trois années avant que l'association internationale des transporteurs aériens y mit une fin définitive. Perte enregistrée : plusieurs millions de dollars.
8David HUME, A treatise of Human Nature. Londres 1739, édité chez LAUBIER en 1968.
9La variation dans le temps va évidemment dans les deux sens.
10En France par exemple, on attribuera à un nouveau né un ou plusieurs prénoms qui seront rattachés au nom du père. En Espagne, on attribuera à un nouveau né un ou plusieurs prénoms qui seront rattachés au nom du père et au nom de la mère.
11Mathématicien, philosophe, théologien, linguiste, historien, géographe allemand qui a écrit en 1703 une série d'ouvrages intitulés : Nouveaux essais sur l'entendement humain.
12Si le carré le rond et le triangle étaient tout trois sous une fausse identité, on pourrait dire que la relation de la fausse identité est une relation d'ordre total.
13Un exemple scientifique simple : Les caractéristiques génétiques de deux jumeaux monozygotes sont parfaitement identiques. Sur le plan biologique leur identité est remarquable, ce qui veut dire que l'électrophorèse réalisée sur un prélèvement d'ADN de chacun des deux jumeaux donnera un résultat parfaitement identique. C'est le concept d'égalité mathématique transposé à la biologie. Mais les deux jumeaux ne sont pas les mêmes personnes. Chacun d'eux à une identité propre. Pouvoir déterminer objectivement cette différenciation sans aucune erreur possible, c'est mathématiquement le concept d'identité absolue.
14Cf les identités virtuelles, page 50
15Cf les usurpations d'identité, page 60
16Cf les substitutions d'identité, page 77
17Cf les vols d'identité, page 82
18Georgina DUFOIX : Dans l'affaire du sang contaminé, alors qu'elle était Ministre des affaires sociales du Gouvernement FABIUS, elle avait déclaré devant les caméras de TF1 en 1991 qu'elle se sentait « responsable mais pas coupable » du drame vécu par les familles des personnes transfusées par du sang contaminé par le virus HIV.
19Les cas sont fréquents pour les droits de paternité, et n'ont rien à voir avec des substitution d'identité puisque la reconnaissance paternelle est déclarative ou s'effectue par défaut. C'est à dire que pour une femme mariée, le père de son enfant est automatiquement son mari, sauf déclaration contraire de la mère.
20Le cas de Paul-Chanelle KIFOULA BANZOUZI sera développé page 120
21Cf les identités virtuelles, page 50
22Cf les usurpations d'identité, page 60
23Cf les substitutions d'identité, page 77
24Cf
les vol d'identité, page 82
25Le
décret des 20/25 septembre 1792 crée l'état civil
proprement dit et enlève aux prêtres le soin de tenir les
registres. De registres de catholicité, les registres deviennent
véritablement un état "civil" tenu sur les mêmes registres
pour les tous les citoyens, quelle que soit leur religion
26Le
passeport était alors un simple papier sur lequel figurait le nom
du voyageur. A cette époque, la majorité des gens ne savaient
pas lire. Le vol de passeport était rare, sauf par les espions des
grandes puissances de l'époque.
27Loi du 27/10/1940 et décrét d'application du 12/04/1942.
28Décréts du 22/10/1955 et du 02/06/1987.
29Décret 87-178 du 19/03/1987
30Il y a des cas où le porteur de l'identité usurpée n'est pas le seul auteur de l'infraction. C'est le cas des agents de renseignement d'un service secret, auquel on attribue une identité usurpée pendant la durée déterminée d'une mission.
31Il est à noter le cas particulier des personnes disparues. Bien que la personne soit vivante, son identité peut lui avoir été dérobée.
32Expression américaine signifiant face à face, sous entendant qu'il n'y a pas d'alternative à une dissimulation. Intraduisible en français.
33LE MONDE du 03/08/2000.
34Depuis,
une société au nom de Kardigan gau Call Limited a été
créée à Toronto. Etrange non ?