II-1- Une menace stratégique

Les États ne s'y trompent guère, même si la prise de conscience a été parfois tardive et douloureuse. Les liens avec la grande criminalité organisée sont bien établis et documentés et il n'est guère besoin d'insister sur ce point. Les instances européennes estiment à cet égard que les actes criminels liés au trafic de drogue représentent à eux seuls la moitié des crimes et délits80.

Cette estimation couvre cependant un périmètre plus large que celui retenu par les autorités françaises, pour qui les infractions à la législation sur les stupéfiants auraient représenté, en 1999, seulement 101.841 faits (toutes qualifications confondues), soit environ 2,85% des crimes et délits constatés cette année là81. Mais le périmètre retenu par le ministère de l'intérieur est si étroit, pour d'évidentes raisons d'affichage (dont toutes ne sont cependant pas mauvaises) qu'il ne rend pas compte de la réalité. Un délit de blanchiment sera par exemple retenu dans la catégorie des « infractions économiques et financières » ; une attaque à main armée ou un vol contre un particulier commis par un toxicomane désargenté sera catalogué parmi les « crimes et délits contre les personnes ». Tout ceci est juridiquement exact, mais criminalistiquement faux. Le centre de profit, pour reprendre une expression de la comptabilité analytique, est dans tous ces cas l'économie de la drogue.

Le développement du trafic de stupéfiants et la place qu'il occupe dans l'industrie criminelle et dans la déstabilisation des sociétés et des États en fait désormais une donnée structurante de la défense, y compris même au sens français du terme82. La République fédérale d'Allemagne a ainsi mis la lutte contre la lutte contre le trafic de drogue au 2ème rang de ses priorités dans le programme antiterroriste qu'elle a présenté devant le groupe ad hoc de l'OTAN83.

Il est significatif au demeurant que la lutte contre le trafic des stupéfiants soit explicitement inclus dans un dispositif antiterroriste, qui plus est dans une enceinte de nature militaro-civile comme l'OTAN, dont la vocation n'est pas précisément la lutte contre la grande criminalité organisée, mais la défense stratégique commune. C'est bien là reconnaître à ces trafics un rôle proprement stratégique, c'est à dire touchant à la survie même des États et des sociétés dont ils sont l'expression, tant par les capitaux qu'ils génèrent que par les savoir-faire qu'ils exigent et qui sont si terriblement efficaces que les groupes terroristes les utilisent en effet pour d'autres trafics84.

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80 Document 5157/02 STUP 3 du conseil de l'Union Européenne, séance du 21 janvier 2002.

81 Source : ministère de l'intérieur.

82 C'est à dire qu'elle va bien au delà de la simple défense militaire. Selon l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 : « La défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression la sécurité et l'intégrité du territoire ainsi que la vie de la population ». La doctrine considère que l'agression ne saurait se résumer à l'agression conduite par une puissance étrangère, mais que toute menace, fût-ce intérieure, même d'origine criminelle ou terroriste, relève du champ de la défense.

83 Groupe OTAN/terrorisme, 28 janvier 2002.

84 Voir à ce sujet : Jean-Michel DUCROS, La grande criminalité organisée, une menace stratégique mésestimée, in « Les Cahiers de Mars » revue des anciens auditeurs du collège interarmées de défense (CID), n°172 (mars 2002). Certains éléments de cet article reprennent des analyses présentées ici.