B. Une activité légale importante

1) l'organisation de concerts, salons,...

Les H.A. ont mis en place de sociétés dont l'objet social est le « service annexe au spectacle ». En clair, elles organisent des manifestations, souvent liées au monde de la moto, du tatouage, du rock ou de la country music (cette dernière activité semble infiltrée aux Etats-Unis par les H.A.). La principale société de cette galaxie est la SARL « Red and White » (les couleurs des H.A.) qui est implantée à Orléans et à Clermont-Ferrand (Rue de l'Ange). Créée en 1987 et déclarée au Registre du Commerce et des Sociétés en 1990, « Red and White » est une émanation directe des Hells, le gérant et les associés étant des dirigeants des chapitres orléanais ou parisiens de l'organisation. La société emploie des « techniciens de plateau » qui s'occupent de l'aspect technique des concerts, notamment pour le compte d'une autre société amie, « Rock'n Road » (spécialisée dans l'événementiel). Mais la principale activité de « Red and White » reste sans doute l'organisation, en collaboration avec le M.C. Hells Angels, du « Free-Wheels » (voir plus bas) et des rencontres de tatouage (notamment la Convention Internationale de Tatouage qui s'est tenue à Paris en 1994). L'autre pôle commercial des H.A. est le réseau de SARL « Arachnée », basées à Clermont-Ferrand : Arachnée Concerts, Arachnée Productions, Arachnée Organisation,... Toutes ces sociétés ont comme gérant une même personne connue pour être un proche des Hells Angels. Il est également le gérant d'une société de « conseil pour les affaires et la gestion » qui possède la S.C.I. « Transit » dont le siège est à l'adresse d'Arachnée Concerts. Toutes ces sociétés organisent des manifestations sportives ou culturelles. Ainsi, ils organisent des conventions de tatouage alors que, selon les services spécialisés, les salons de tatouage parisiens sont soit rackettés, soit appartiennent (souvent en sous-main) aux H.A. et sont utilisés à des fins de recyclage de l'argent criminel. Il en va de même pour les Bandidos et les tatoueurs marseillais.

2) le service d'ordre

Les manifestations bikers, qui draînent un public relativement important et pas toujours discipliné, nécessite la présence d'un service d'ordre (d'autant plus utile que l'alcool est souvent présent...). Les H.A. sont donc logiquement présents sur ce créneau où leur réputation et leurs muscles leur vaut un respect inné. Ils ont ainsi assuré le service d'ordre de nombreux concerts dès le début des années 80. C'est d'ailleurs pour avoir refusé leur aide lors d'un de ses concerts que Johnny Hallyday a été menacé à cette époque.231 Coup d'éclat au printemps 1990 quand les Hells participent à la sécurité de l'opération « Champ de Blé sur les Champs-Elysées », organisée par la Confédération Nationale des Jeunes Agriculteurs ; plus récemment, on les a signalés lors du concert de Jean-Michel Jarre aux Pyramides le 31 décembre 2000 ou dans l'encadrement de l'association "Stop la Violence !" lors de sa marche à Paris en 1999, en faveur de la sécurité dans les "quartiers chauds". On les a vu également assurer le service d'ordre de partis de droite et d'extrême-droite, notamment à Paris et en région parisienne. Des H.A. auraient aussi joué les supplétifs du « Département Protection et Sécurité », le service d'ordre du Front National, ce qui est plausible au vu des relations entre le gang et l'extrême-droite (notamment « Batskin »). Il ne s'agirait toutefois que d'engagements personnels n'impliquant pas les H.A. en tant qu'organisation. Les H.A. français ont par la suite créé une société de sécurité privée, « Prestige Sécurité » (installée dans le Puy-de-Dôme), dont la principale activité reste, comme les autres sociétés de la mouvance Hells, sa participation au « Free-Wheels ». Les Outlaws nantais se sont eux-aussi intéressés au marché de la sécurité privée mais leur activité dans ce domaine s'est réduit sous l'influence du grand-banditisme local. Néannmoins, on retrouve certains membres du gang dans des sociétés de gardiennage-sécurité, ou comme « stewards » lors des matchs de football au stade de La Baujoire. Ils auraient également assuré le service d'ordre de certaines soirées rave, position idéale pour écouler des stupéfiants.

3) l'organisation du "Free-Wheels"

Le « Free-Wheels » est incontestablement la plus importante concentration européenne de « bikers » et la principale activité publique des Hells Angels et de leurs sociétés ou associations affiliées232. Après une première tentative d'implantation dans la région de Nice en 1988, le « Free-Wheels » s'est fixé dès 1989 dans le village auvergnat de Cunlhat (1.500 habitants). Situé dans un parc naturel, à 45 mn de Clermont-Ferrand, Cunlhat devient chaque année, autour du 15 août, la « Capitale européenne du deux roues ». La fréquentation est en augmentation constante : de 4.200 motards et 13.000 visiteurs en 1988, les dernières éditions ont rassemblé près de 25.000 motards et 80.000 visiteurs. Conçu au début comme un évènement confidentiel permettant vraisemblablement de blanchir de l'argent illicite, le « Free-Wheels » est devenu au fil des années une véritable affaire, très rentable (recettes globales estimées en 1996 : 8 millions de FRF). La promotion de la fête se fait par achat d'espaces dans la presse spécialisée en France, Grande-Bretagne, Suède, Allemagne, Pays-Bas, Italie,... et par des affiches 4 x 3 dans les 20 premières villes de France. L'accès au site est payant et ce fait exclusivement en espèce : 40 FRF par véhicule et par jour pour l'accès au village ; 250 FRF le « pass » pour les 4 jours de fête en 1997. Le site (en tout près de 50 hectares) comprenait en 1996 plus de 150 stands (articles de cuir, vêtements, bijoux, pièces détachées, tatoueurs, perceurs, concessionnaires motos233,...) ; une quinzaine de bars et d'espaces de restauration ; des animations (saut à l'élastique, spectacle pyrotechnique, ballade en hélicoptère, cirque de rue,...). Le clou de la fête reste les animations liées à la moto (courses de lenteur, de vitesse ; cascades ; trial acrobatique...) mais également les concerts rocks, les strip-teases et l'élection de « Miss Free-Wheels ». Une activité devenue aujourd'hui vitale pour la région : un audit a estimé les retombées de la concentration à 25 millions de FRF pour la région et 5 millions rien que pour le village de Cunlhat. De telles répercussions sur l'économie locale expliquent sans nul doute la subvention de 20.000 FRF accordée par le Conseil Général du Puy-de-Dôme234. La plupart des sociétés liées à l'organisation est présente sur le site et profite de la manne financière de la fête. Toutefois, le grand nombre de visiteurs et l'importance de l'argent (souvent en numéraire) inquiètent les services fiscaux. Ainsi dans les comptes 1996 de l'association « Cunharley » (façade des H.A. qui regroupe les divers partenaires participant à l'organisation du Free-Wheels), on peut relever dans les dépenses une somme de 40.000 FRF destinée au paiement anticipé des Hells Angels. Une étude plus complète des comptes de cette association permet de mieux comprendre l'emprise économique qu'elle possède sur cette région du Livradois-Forez : dons aux sapeurs-pompiers, à la maison de retraite ; achats dans les divers commerces locaux ;... Ceci explique sans doute le peu de critiques qui s'élèvent au niveau local.

Le principal partenaire de cette manifestation est le « Hells Angels Motorcycle Club ». Ce sont les grands noms du club en France qui tiennent les rênes de l'organisation du « Free-Wheels » : ainsi, le responsable de la billetterie n'est autre que le Président du chapitre d'Orléans. Mais depuis 1999, le chapitre de Gagny est toujours plus présent à la tête de l'organisation de l'événement. C'est en fait toute la fine fleur européenne de l'organisation criminelle qui se retrouve au mois d'août à Cunlhat, pour s'amuser mais sans doute également pour y parler affaires. Pour celà, ils disposent d'une « zone interdite » au coeur du site, zone gardée par des motards prospects ou hangarounds. On peut estimer l'importance du service d'ordre (confié à la société amie « Prestige Sécurité ») à près de 150 personnes, membres de gangs vassaux. Ces derniers tiennent également des stands et buvettes, alors que les H.A. ont leurs propres stands de produits dérivés dont une partie des recettes ira au « Fond de Défense ». Sont représentés : les chapitres français bien sûr mais aussi anglais, suisses, danois, suédois, finlandais, espagnols, belges, autrichiens, américains et, en grand nombre (dû à leur position de chapitre-mère en Europe), néerlandais. Les H.A. sont véritablement les rois de la fête, se comportent en pays conquis et font d'ailleurs partie intégrante du spectacle. Néanmoins, les photos "indiscrètes" sont interdites (des photographes se sont faits agresser et leurs pellicules ont été exposées au soleil).

Le 14 août 1999 une visite à Cunlhat et permettait de constater la présence des groupes suivants. Les chapitres Hells présents (non-exhaustif, il s'agit de constatations visuelles sur quelques heures) : Ohio, Californie, Massachussetts, Belgique, Angleterre, Danemark, Suisse, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Norvège, Liechenstein, Autriche et les clubs prospects d'Italie et de République Tchèque. Le filtrage des voitures était effectué par un gang de l'Allier ; la vente des billets se faisait par les Diableros du Lot-et-Garonne ; la surveillance de la « zone interdite » incombait aux « No Limits » des Flandres.

Les autres couleurs représentées : Runs MC (pays inconnu) ; Ghost-Riders (Allemagne) ; Stukkagruppe (Belgique) ; Gremiums (Allemagne) ; The Brothers MC (Belgique) ; Winds Brothers (Oise) ; Squadron (pays inconnu) ; CLRA (Lorient) ; Liberty (Alsace) ; Bronx (Beaune) ; Outsiders (Val-de-Marne) ; Devils Advocates (Luxembourg) ; Les Loups Bar (Puteaux) ; MC Faro (Portugal) ; Thunderbirds (Lorraine) ; Shawnees (Belgique) ; Yankton (Beauvais) ; Incubus (Angleterre) ; Blacks Souls (Allemagne) ;...  

4) les sociétés « amies »

L'organisation du Free-Wheels se fait avec l'aide de sociétés amies, autres que celles déjà décrites plus haut, plus directement contrôlées par les H.A. ou des hommes de paille. Le principal partenaire du « Hells Angels Motorcycle Club » et de la SARL « Red and White » dans des manifestations comme le Free-Wheels ou la Convention Internationale de Tatouage est la revue mensuelle « FreeWay ». Cette publication, dont la rédaction est également sise à Clermont-Ferrand et qui tire à 40.000 exemplaires, est consacrée à la moto « customisée » (c'est à dire personnalisée) : description des nouveaux modèles, nombreuses photos de « customs », reportage sur les grandes réunions de bikers (Free-Wheels en France, bike-show du Kent en Angleterre, Sturgis dans le Dakota du Sud,...), ... En tant que premier partenaire presse du « Free-Wheels », le magazine n'hésite pas à publier des numéros spéciaux sur cet évènement. Tout acquis à la cause Hells, le magazine publie des petites annonces de clubs pour leurs manifestations. Ainsi, on a pu relever des annonces pour les fêtes des Hells Angels (en France, en Angleterre, en Allemagne) ou de sous-groupes (français : Mescaleros, Wakan Tanka, Noir Mat MC, Outsiders, Liberty MC, Bad Winners, Bronx MC... ; belges : Gremlins,... ; portugais : MC Faro)235. Curieusement, en juillet puis en décembre 1999, des annonces pour une fête chez les Bandidos du Luxembourg ont été publiées dans le magazine236. S'agit-il d'une volonté d'illustrer la paix des braves entre les deux organisations ? Ou, plus prosaïquement, d'encaisser le prix de l'annonce ? Le « FreeWay » est ainsi le fer de lance de la stratégie médiatique des Hells Angels237.

Plus curieux sont les liens tissés entre l'organisation du « Free-Wheels » et l'  « Association Pour la Promotion des Arts Industrieux » (APPAI)238. Cette collaboration se retrouve au niveau de la location, durant la fête, des hélicoptères servant aux baptêmes aériens, aux prises de vues pour les journalistes,... Fondée en 1986 à Nancy, l'APPAI est actuellement basée à Teilhède (Puy-de-Dôme) et son objet social est « la promotion, la création et l'aide à la création de structures de vie à caractère traditionnel et artisanal ou semi-industriel, en France, en Europe et dans le Monde ». Plus clairement, l'APPAI, connue également sous le nom de « Groupe Solazaref », est un mouvement sectaire qualifié d'alchimiste. Ce mouvement comprendrait près de 500 membres (surtout des français et des belges plus quelques italiens, portugais et canadiens) dont 50 vivraient à Teilhède, en communauté. Les adeptes de ce mouvement proviennent de milieux aisés (ingénieurs, architectes, médecins,...), beaucoup sont des francs-maçons en rupture de ban. Vivant officiellement de la vente de poteries et de fromages, la communauté considère comme ses « ennemis » : les francs-maçons239, les musulmans, les communistes, les journalistes et les acropolistes240. Proches du Front National (colleurs d'affiches, service d'ordre, scrutateurs dans les élections,...), ils se réfèrent à Monseigneur Lefebvre mais, plus largement, au royalisme, aux principes de la Chevalerie, aux Celtes et aux druides, à la Vierge Marie, à la quête du Graal, à l'alchimie... Beaucoup d'entre eux sont des amoureux de la moto, notamment des Harley-Davidson. C'est sans doute cette concordance de facteurs (proximité géographique, amour de la moto, extrémisme de droite) qui les a rapproché des Hells. Il est enfin inquiétant de voir une telle association liée aux Hells Angels, dont plusieurs membres ont trempé dans des affaires de trafic d'armes241.

231 Johnny Hallyday a ensuite créé son propre groupe de « bikers », les « Desperados ». Ceux-ci sont en fait des amoureux de la moto évoluant dans ou à l'abord des milieux du show-business (Hermine de Clermont-Tonnerre en a fait partie, tout en étant proche des Hells Angels). Cependant, les « Bandidos » auraient tissé des relations amicales avec ce groupe. Toujours le souci de l'image... D'ailleurs, les « Desperados » sont considérés comme des ennemis par les H.A. comme l'a prouvé l'affichage inversé de leurs couleurs dans les toilettes du FTW, le bar du gang à Paris. Les sociétés proches des Hells Angels ont toutefois été signalées lors de l'organisation du concert du chanteur à Las Vegas en 1996. Lors de sa tournée au Québec en 1970, Hallyday s'était déjà affiché avec les gangs "Midnight Riders" et "Popeyes" (devenus par la suite le premier chapitre Hells Angels au Canada). Une fusillade entre gangs rivaux avait éclaté à la fin d'un de ses concerts.

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232 Les Bandidos ont, eux-aussi, lancé un « bike-show » pour concurrencer le « Free-Wheels » des H.A.. Leur « Iron Power Show » s'est tenu de 1991 à 1994 sur le circuit du Castellet. En août 2000, s'est tenu un "Rock'n Bike Show" à Rumilly (Haute-Savoie), réunissant des représentants de divers chapitres Bandidos européens et même des australiens.

233 Alors que les premières années voyaient se dérouler des activités de destruction de motos japonaises, des stands de concessionnaires Honda ont par la suite vu le jour, rentabilité oblige.

234 Cette rentabilité explique sans doute la présence d'élus et de représentants du Préfet lors des inaugurations de la fête.

235 La revue accueille également de larges pages de publicité pour la boutique tenue à Paris par le Président du Chapitre de Gagny.

236 En novembre 2000, un reportage sur une fête des "Bandidos France" prend deux pages dans FreeWay.

237 Il existe en Scandinavie un magazine du même type (« Scan-bike »), lui aussi lié aux H.A..

238 Voir notamment l'article de Denis Robert dans Libération du 26 août 1988 et « La France aux cent sectes » de Jean-Pierre Van Geirt

239 Plusieurs membres de la secte ont été exclus du Grand Orient de France à Nancy pour avoir détourné plusieurs de leurs frères vers Solazaref et pour avoir voulu déstabiliser la loge.

240 La Nouvelle Acropole est une autre secte d'extrême-droite fondée en 1957.

241 La secte est surveillée par la Gendarmerie Nationale et la D.S.T.