B. Des références communes

1) le culte de la moto

« If Christ comes again, he'll riding a Harley »19

Slogan biker

C'est bien sur le point central, la référence commune qui réunit l'ensemble du groupe. Rien de surprenant à cela car dans les pays développés, la voiture est toujours apparue comme bien plus qu'un moyen de locomotion : c'est une traduction de la personnalité de son propriétaire, de ses goûts,... La moto n'échappe pas à la règle mais le choix de la moto comme moyen de déplacement a une toute autre portée. En effet, il s'agit d'un refus de la norme (la voiture) par l'adoption d'un véhicule peu pratique, dangereux, bruyant et sale. En même temps, il y a une certaine fascination, voire envie, pour la moto car elle représente la liberté, la vie en dehors de toute entrave.20

Cette liberté est confortée par le fait que c'est le motard qui a le contrôle total sur sa machine (sensation renforcée par l'ivresse de la vitesse). A cela s'ajoute un souci « esthétique » (doublé d'une pincée de chauvinisme vis-à-vis des produits made in America) : le biker se doit de rouler en Harley-Davidson (il s'agit d'une obligation dans la plupart des clubs), d'ailleurs souvent améliorée et décorée (on dit « customisée »). Bien que moins maniables que les motos de marque japonaise (malgré une gamme de grosses cylindrées, de 900 à 1.400 cm³, la vitesse de croisière ne dépasse pas les 120 km/h), les Harley-Davidson (HD) sont considérées comme « l'élite » de la route et les « vrais » bikers n'ont que mépris pour ceux qui roulent en « jap' » (appelés « riceburners » et non « bikers »). On peut véritablement parler de « culte » lorsque l'on sait que les prestations de serment se font sur la « Bible » : le manuel d'entretien HD. Tout cela se complète également par la lecture de journaux spécialisés (en France, le magazine « Free-Way »21, « Scanbike » en Scandinavie, "Rider's Mag" au Canada) et l'achat des produits dérivés HD (vêtements, ceinturons, briquets, écussons, bagues, pendentifs voire soutien-gorge estampillés « pièces HD authentiques » !). Il y a une véritable osmose entre le motard et sa machine (comme le cow-boy et son cheval dans l'imaginaire populaire) au point que n'importe qui ne peut monter sur la moto d'un biker. La moto étant sacrée, plus d'une fois les personnes qui ont tenté d'enfourcher une HD sans la permission de son propriétaire ont eu de sérieux problèmes physiques. Une enquête publiée dans le numéro de juin 2000 du magazine Freeway montre que les acheteurs français de H-D sont surtout des hommes d'une quarantaine d'années dont c'est le premier achat de H-D (70% des cas). La majorité gagne entre 8.000 et 16.000 FRF par mois, ce qui nécessite un achat à crédit alors que seuls 23% ont fait des études supérieures.

La firme et les motos Harley-Davidson ont aussi leur propre histoire qui commence en 1903 à Milwaukee (Wisconsin) par la création, dans une cabane servant d'atelier, du « Silent Grey Fellow » par les constructeurs Harley et Davidson. En 1916, Pancho Villa22 est arrêté le long de la frontière mexicaine par des soldats en HD. Elle fut également utilisée pendant les deux Guerres Mondiales pour des missions de reconnaissance. Enfin, au milieu des années 80, la firme est à une semaine de la faillite avant de devenir une valeur boursière sûre au début des années 90. Le rêve américain ! On doit ce sauvetage économique aux consommateurs américains, amoureux de la célèbre marque.

C'est d'ailleurs dans ces années-là que se développent les « Harley-Davidson Owner Groups » (H.O.G.), associations de motards « harleyistes ». Fondés en 1983, les HOG sont au début du 21ème siècle plus de 1.200 comptant plus de 550.000 membres dont 50.000 en Europe. Bien que se démarquant avec insistance des groupes hors-la-loi, on a noté à plusieurs reprises une certaine « porosité » entre les HOG et les gangs, notamment Hells Angels23. Aujourd'hui, 120.000 Harley sont produites chaque année dans le monde dont 2.500 sont vendue annuellement en France24. Le parfait biker connaît également l'histoire technique de la marque : quand a été modifiée telle pièce ? pourquoi ? Exceptionnellement (pour les novices ou les femmes par exemple), les clubs de bikers tolèrent les motos anglaises (Norton ou Triumph) mais la haine des marques japonaises est totale. Lors des grandes réunions de motards (à Sturgis dans le Dakota ou à Daytona Beach en Floride25), des séances de destruction de Honda sont organisées : contre cotisation, il est possible de détruite à coups de massue des motos japonaises. De même, des « largages » de Honda (à partir de grues) sont organisés. Toutefois, le monde des bikers (notamment les clubs les plus riches comme les Hells Angels) s'est laissé gagner par une sorte « d'embourgeoisement » si bien que les motards commencent à délaisser leurs machines pour des voitures plus confortables26. Devant cet abandon de la tradition, certains groupes ont imposé un nombre déterminé de sorties annuelles en moto. Mais la tendance reste tout de même à la sédentarisation qui ferait perdre au biker son image romantique de marginal refusant les normes sociales établies. Si la Harley est bien une pièce de nostalgie, elle n'en constitue pas moins un élément important de l'image du biker27.

2) la Fraternité

« Motards ensemble, motards à jamais »

Slogan biker

Le culte de la moto a besoin d'être partagé. Aussi, le biker doit pouvoir comparer ses goûts, ses connaissances mécaniques, ses expériences de customs (personnalisation de la moto) avec d'autres motards. La moto reste véritablement un vecteur de rencontres et de relations sociales. En fait, comme dans beaucoup d'autres structures criminelles, la bande représente une nouvelle famille pour le biker. Ils font des virées ensemble, des affaires ensemble, des fêtes ensemble,... Cette nouvelle famille lui donne même un nom de baptême sous la forme d'un surnom : « Voodoo » ; « Wild Bill » ; « Big Vinnie » ; « Apache » ; « La Grande Gueule » ; « Godzilla » ;... Les liens de fraternité sont très importants et, ce, à plus d'un titre. Il s'agit d'abord d'une entraide mutuelle dans la vie de tous les jours : aider à réparer les motos, trouver des pièces de rechange, prêter de l'argent. Cette solidarité est également visible lors des coups durs (arrestation ou hospitalisation) : les Hells Angels possèdent ainsi un fonds spécial pour ce genre d' « incidents ». Les membres incarcérés sont également l'objet d'une attention particulière : les HA publient ainsi un mensuel leur étant destiné. "HAMC World BHC Newsletter"28 donne des nouvelles des clubs et des membres incarcérés. L'avantage principal des liens tissés entre les différents membres du club est de présenter un front uni face à l'adversaire (clubs ennemis ou forces de police). D'ailleurs, plusieurs bandes intègrent l'assistance mutuelle et le principe du « tous pour un, un pour tous » dans leur règlement :

« Si un membre est attaqué par un groupe ou un individu, l'ensemble du club doit l'épauler et se battre pour lui au besoin. Si, toutefois, le membre est soûl, agressif et qu'il cherche intentionnellement une querelle, le reste des membres l'éloigneront ou s'en mêleront avant que les choses tournent mal »29

Ainsi, toucher un seul membre, c'est attaquer le club en entier. Cette notion de fraternité est essentielle pour la conduite des affaires illégales et se retrouve souvent dans d'autres organisations criminelles : respect de la parole donnée, omerta (loi du silence, en cas d'arrestation notamment), sens de l'honneur,... Tout cela pour assurer la solidité et la sécurité du groupe et donc, la réussite dans les « affaires », légales ou criminelles. La confiance est en effet un élément majeur dans la réussite de toute opération, surtout si celle-ci concerne une activité criminelle (et notamment le trafic de stupéfiants). Ainsi, les « repentis » et autres indicateurs sont très rares au sein des gangs de motards (au moins chez les « Quatre Grandes »).

3) le Machisme

On s'en doute, le monde des chromes, de l'huile de moteur, des bagarres et des beuveries est loin d'être féminin. Encore qu'il y ait une tendance forte à la féminisation du monde des motards, notamment aux Etats-Unis où des clubs spécifiques de femmes existent désormais (il s'agit là de clubs « honnêtes » et non « un-pourcentistes » 30). Dans la mentalité « biker », la femme a une place réduite dans l'organisation sociale du groupe. Elles sont systématiquement écartées de toutes les grandes décisions qui régissent le club. D'ailleurs, elles sont considérées comme des objets, comme des possessions. Il existe en fait deux statuts possibles pour la femme au sein des groupes de motards :

- les « brebis », « punaises » ou « mamas » qui appartiennent au club dans son ensemble et qui sont donc disponibles sexuellement ;

- les « old ladies » ou « gonzesses » qui sont les petites amies ou les femmes légitimes d'un membre en tant qu'individu. Dans ce cas là, évidemment, la femme est plus respectée.

Parfois, les « brebis » et « old ladies » portent un blouson ou une veste arborant l'inscription « Propriété de... » suivie soit du nom du club (pour les « brebis »), soit du nom ou surnom du membre (pour les « old ladies »). Il est même arrivé qu'un motard ait échangé sa compagne contre des pièces détachées de moto, une dette de jeu ou des stupéfiants31. Souvent, ces femmes, qui entrent dans un monde de quasi-esclavage, ont des difficultés d'adaptation dans la vie courante (certaines sont en fait des adolescentes en fugue « recueillies » par la bande). Elles sont attirées par l'image machiste du motard, par un mode de vie grisant et facile. Curieusement, malgré les brimades, les humiliations et les agressions sexuelles dont elles peuvent faire l'objet, elles sont très attachées à la bande et sont d'une totale loyauté (on pourrait parler de dépendance psychologique au groupe). Pourtant, parfois, des femmes peuvent être à l'origine d'une rupture de la cohésion interne à la bande suite à des rivalités machistes. Comme dans beaucoup d'autres organisations criminelles, elles peuvent avoir un rôle criminel de second plan (courriers pour la drogue, « hommes » de paille, agents de liaison, prostituées ou strip-teaseuses). On les retrouve également dans les activités de renseignement du gang32. Mais le machisme ne se traduit pas simplement par un mode de fonctionnement interne au club, il se porte aussi vers l'extérieur de cette sous-culture. Ainsi, nombre de clubs sont impliqués dans des activités de proxénétisme (et parfois d'un très haut degré d'organisation, notamment divers chapitres Hells Angels au Canada, Suisse ou Pays-Bas) et possèdent plusieurs clubs de strip-tease ou salons de massage. Il faut également rappeler la propension des motards pour les agressions sexuelles voire les viols (y compris les viols commis en réunion).

4) la violence

La violence est véritablement un style de vie pour les motards. Ils se sont fait connaître par leurs muscles (notamment les "incidents" d'Hollister et de Riverside). Puis ils ont assuré divers services d'ordre et sont devenus des tueurs à gages, notamment pour le compte de la Mafia italo-américaine. D'une violence anarchique au début de leur histoire, les H.A. et les autres groupes ont su adapter cette violence pour le contrôle de leurs activités, la discipline interne et l'intimidation des témoins. Divers faits divers montrent cette propension à la violence (parfois tournée vers les forces de l'ordre), qui peut toucher indifféremment hommes, femmes et enfants :

- en 1977, Margo Compton (qui devait témoigner dans une affaire de prostitution à San Francisco), ses deux jumelles de 7 ans et une autre personne sont retrouvées abattues. Les assassins seront arrêtés en 1991 et les témoins bénéficieront du programme de protection des témoins ;

- en 1978, un shériff adjoint de Californie, qui allait témoigner contre les H.A., est la cible d'un attentat à la voiture piégée ;

- la même année, un enquêteur du bureau du procureur décide de quitter la police après l'arrestation de deux tueurs des H.A. Ceux-ci possédaient un plan de son quartier et un important arsenal ;

- en 1975 et 1977, lors d'une guerre pour le contrôle du syndicat des camionneurs à Cleveland, la Mafia locale utilise des H.A. qui font exploser plusieurs voitures piégées ;

- en 1991, une voiture piégée visant un revendeur d'amphétamines explose prématurément à Southampton (Angleterre), blessant un membre des Hells.

Les H.A. utilisent également la corruption de jurés. En 1984, un juré de Melbourne se voit remettre 10.000 $ lors d'un procès pour trafic de drogue d'un H.A.. En 1986, au Québec, c'est 25.000 $ qu'un juré reconnaît avoir reçu pour tenter d'obtenir l'acquittement de motards. En 1987, George Christie, Président du Chapitre de Ventura, est acquitté dans une affaire de meurtre. Deux semaines plus tard, il fête son acquittement en organisant un barbecue : 5 jurés sont présents. Plus récemment, un procureur du Comté d'Orange (Californie), Bryan Kazarian, est arrêté dans le cadre du démantèlement en juin 1999 d'un réseau de trafic de drogue (le fondateur et Président du chapitre local des HA, Rusty Coones, est également arrêté).

 

Page précédente | Sommaire | Page suivante


19 "Si le Christ revenait, il roulerait en harley".

20 Selon un slogan de la firme Harley-Davidson : « Nous ne vendons pas des motos, nous vendons l'expérience unique d'un style de vie ».

21 Voir page 108

22 Hors-la-loi et révolutionnaire mexicain (1878-1923).

23 Il est curieux de noter que l'organisation des H.O.G. se fait sur le même modèle que les H.A. : on parle de chapitres, de Président, de Trésorier. De même, l'agent d'assurance en charge du « Free-Wheels » (voir p.108) est un responsable d'un H.O.G.. En Suisse, un accord entre HOG et HA serait intervenu sur le thême de la sécurité.

24 « L'Armoric Chapter, un club de Harley à Cesson-Sévigné », in « Nous Vous Ille - le magazine du conseil général d'Ille-et-Vilaine » - février/mars/avril 1999.

25 Chacune de ces manifestations est sous l'influence d'un gang : Sturgis est plutôt Hells Angels alors que Daytona est Outlaws.

26 Il s'agit parfois d'une obligation due au climat, comme pour les clubs canadiens ou scandinaves.

27 Dans son autobiographie, le leader Hells Angels Sonny Barger précise : "Personnellement, je n'aime pas les Harley. J'en conduis parce que je suis dans le club et que c'est son image. [...] Toutefois, les motos japonaises n'ont pas une telle personnalité".

28 BHC signifiant "Big House Crew", euphémisme désignant la prison.

29 Extrait du règlement du club des Satan's Angels de Vancouver, cité par Wolf, op.cit.

30 Les autorités ont signalé un gang de femmes en Grande-Bretagne : les « Women in the Wind ».

31 « Les gangs de motards » in Revue Internationale de Police Criminelle, août/septembre 1985.

32 Voir p.34 et suivantes.