A. Le mythe fondateur : Hollister

1) La naissance du « un-pourcentisme »

Le 4 juillet est une date respectée chez les bikers qui organisent, ce jour-là, une sortie, une randonnée (un « run ») obligatoire pour tous les membres. Il ne s'agit pas de célébrer la Fête Nationale américaine mais de commémorer l'événement symbole qui marqua l'entrée de leur « confrérie » dans l'Histoire, ou au moins dans les faits-divers. Ce jour-là, en 1947, la ville de Hollister (au sud de San Francisco, Californie), le club local de moto et l'association des vétérans organisent, justement pour la Fête Nationale, un concours de motos avec différentes épreuves. Près de 4.000 passionnés se donnent alors rendez-vous dans cette petite ville. Quelques 500 motards provoquent de nombreux débordements (courses en pleine rue, violations quasi-systématiques du code de la route, jets de bouteilles, beuveries,...) donnant lieu à quelques arrestations par les 7 policiers locaux, trop peu nombreux. Une délégation de motards se rend au poste de police pour exiger la libération de leurs « frères » : le refus des policiers sera le signal des émeutes. Celles-ci durent jusqu'au 6 juillet où un détachement de 32 hommes de la Garde Nationale venu en renfort met fin aux exactions (il faudra toutefois quelques tirs de gaz lacrymogène). Il y a en tout 50 blessés et une centaine d'arrestations7. Aujourd'hui, certains motards minimisent la gravité des incidents et parlent de surenchères médiatiques.

Néanmoins, deux mois plus tard, 6.000 motards se rendent pour le « Labor Day » à Riverside (toujours en Californie) pour une course organisée par l'American Motorcycle Association (AMA) et la police de la route. Nouveaux incidents mais cette fois-ci, on relève une victime : une passagère de 18 ans tuée dans un accident de moto. Un an plus tard, le 4 juillet 1948, toujours à Riverside, une nouvelle course de moto provoque de nouveaux incidents et une nouvelle victime 8. Ces deux événements donnent une publicité nationale aux bandes de motards et leur attirent les foudres de l'A.M.A. qui affirme, par la voix de son Président, que 99% des adeptes de la moto sont des gens honnêtes. Immédiatement, par défi, les membres des gangs de motards adoptent le sigle « 1% » et se définir, selon un néologisme canadien, « un-pourcentistes »9. C'est l'acte de naissance officiel des gangs de motards criminalisés ou, au moins, de leur image de marque10.

2) Une origine militaire

L'apparition des gangs de motards date, aux États-Unis, des années suivant immédiatement la Seconde Guerre Mondiale11. De nombreux anciens combattants des guerres d'Europe et d'Asie (souvent des anciens aviateurs) souhaitent retrouver l'esprit d'aventure, de liberté et de camaraderie qu'ils ont connu durant le conflit. Ils s'organisent alors en diverses bandes, les motos de légende (les Harley-Davidson et les Indians) symbolisant alors cette recherche de liberté. Ils ont "échangé leurs ailes contre des roues"12. Les démobilisations d'armée et les fins de conflits provoquent souvent une hausse de la criminalité, surtout sous forme de grand-banditisme.13 Les premières bandes, parfois plus ou moins informelles, se nomment Booze Fighters, Market Street Commandoes, Galloping Gooses, MOFOS, POBOB (Pissed Off Bastards Of Bloomington),... et se font surtout remarquer par leur tendance à l'abus d'alcool, aux bagarres et aux débordements vis à vis des femmes (allant jusqu'aux agressions sexuelles).

Les bandes vont prendre leur essor après Hollister et c'est le 17 mars 1948 qu'Otto Friedli14 fera naître le premier club « Hells Angels » à San Bernardino sur la base des POBOB15. La Californie est en effet un refuge pour un certain nombre de marginaux attirés par le soleil, la mer ou les vastes étendues désertiques (idéales pour les « chevauchées fantastiques » en moto). Le choix même du nom est issu de l'histoire militaire : le 1er film de Howard Hugues, en 1927, s'intitule « Hells Angels » et porte sur l'aviation militaire durant la Première Guerre Mondiale. Ce nom sera ensuite repris sur les carlingues par les célèbres mercenaires américains des « Tigres Volants » du Général Chennault durant la guerre contre les communistes chinois puis contre les troupes japonaises. En Europe, des escadrilles de bombardiers reprendront également le titre du film de Hugues. Plus tard, la 188ème Division aéroportée porte ce nom durant la Guerre de Corée. Depuis cette « pré-histoire » du mouvement, les bandes de motards ont toujours eu ce rapport à la chose militaire. D'abord par leur organisation et leur recrutement 16. Mais aussi par leur composition même : leur leader, « Sonny » Barger, estime en 1964 que 90% des Hells Angels sont des anciens combattants ; aujourd'hui encore des membres ou anciens membres des Navy Seals17 se retrouvent dans des chapitres de Californie ou de Virginie. Soutenant la Guerre au Vietnam, « Sonny » Barger envoie, le 19 novembre 1965, un télégramme au Président Johnson lui proposant d'organiser des commandos formés à la guérilla et chargés de désorganiser le mouvement Viêt-minh derrière leurs lignes. Johnson n'a jamais répondu jamais au télégramme du Président légendaire des Hells Angels18. De nos jours, il existe des clubs de motards, les « Veterans MC » et les « Vietnams Vets », composés de membres (anciens ou actifs) des Forces Spéciales ou des Marines dont beaucoup ont fait la Guerre du Vietnam. Ces clubs sont considérés comme proches des Hells Angels par le F.B.I..

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7 « Les Rebels - Une fraternité de motards hors-la-loi » de D. R. Wolf - Editions Balzac 1995 (Canada).

8 «  Hells Angels » d'Y. Lavigne - Lyle Stuart 1990.

9 Dans les années 90, les services de répression US parlent de 0,2% de criminels parmi les motards.

10 Les organisations honnêtes de motards anglais ont décidé de combattre cette image négative en favorisant divers produits frappés du sigle « 99% ».

11 Toutefois, dans les années 30, divers petits groupes de marginaux commencèrent déjà à utiliser la Harley.

12 en anglais : « exchanging their wings for wheels ».

13 On remarquera ainsi les « Grandes Compagnies » au Moyen-Age et, plus près de nous, les activités de la pègre à la Libération (avec des grands noms du banditisme issus soit de la Résistance, soit de la Collaboration).

14 Aujourd'hui totalement oublié dans l'histoire biker.

15 Le siège des POBOB se situait à Fontana, dans le comté californien de San Bernardino.

16 Voir page 27 et suivantes.

17 Forces spéciales de la Marine américaine.

18 Dans le monde du crime organisé, le patriotisme des H.A. (qui peut paraître curieux) n'est pas une exception. Durant la Seconde Guerre Mondiale, certains truands américains, qui avaient fait fortune sous la Prohibition, n'hésitèrent pas à s'enroler. Meyer Lansky, célèbre gangster new-yorkais, s'inscrivit sur les registres d'engagement mais il avait atteint la limite d'âge. Moe Dalitz, autre célèbre bootlegger (trafiquant d'alcool) de Cleveland, commença 2ème classe et finit capitaine. D'autres enfin, rejetés aux U.S.A., s'enrolèrent au Canada... On peut également citer l'aide apportée aux Alliés par le célèbre gangster new-yorkais Lucky Luciano lors de la lutte contre les saboteurs nazis sur le port de New-York et du débarquement en Sicile en 1943. Voir « Le Parrain des Parrains » de Robert Lacey.