Introduction

La plupart des organisations criminelles transnationales (O.C.T.) sont issues d'un long processus historique1 ou sont le fruit d'une tradition de violence2). Mais il existe un type d'O.C.T. (reconnue comme telle par la plupart des services de répression à travers le monde) bien plus récente puisqu'elle a pris naissance il y a un peu plus de 50 ans. En si peu de temps, cette nouvelle forme de société criminelle structurée s'est développée et enrichie de manière importante au point d'être classée comme problème numéro 1 au Canada et de susciter une certaine inquiétude au sein d'Interpol ! A l'inverse de la plupart des mafias, qui recherchent somme toute une certaine discrétion (même si la « visibilité » du capo, du chef, est nécessaire pour contrôler le territoire), cette O.C.T. de création récente se montre, s'affiche, s'exhibe largement3.

Ces organisations criminelles prennent le plus souvent la forme légale d'associations et de clubs d'amoureux de la moto (le plus souvent d'ailleurs des Harley-Davidson). Les services de police nord-américains les appellent les « O.M.G. » (« Outlaw Motorcycle Gangs »), traduit par « Gangs de Motards Criminalisés » par la gendarmerie canadienne4. Nous utiliserons ici le terme plus simple de « gangs de motards » et « bikers » les membres de ces bandes.

Même si notre travail a pour objet d'étudier de manière générale les gangs de motards, l'intérêt principal portera toutefois sur le plus important et le plus emblématique des « O.M.G. » : les Hells Angels5. Il nous semble en effet important de nous intéresser plus particulièrement à ce groupe pour deux raisons principales :

- c'est le premier gang de motards au monde par le nombre de ses membres (± 3.000 initiés dans près de 180 « chapitres ») et son implantation internationale (plus de 20 pays sur 4 continents) ;
- c'est un modèle pour l'ensemble des autres clubs de motards : ceux-ci cherchent à les imiter voire à les rejoindre.

Il paraît important et intéressant d'étudier ce « nouveau » phénomène criminel, encore méconnu, loin de tous les clichés véhiculés par le monde des motards, largement utilisés par le cinéma et la télévision. Experts en matière de communication, les gangs de motards veulent se donner une image romantique alors même qu'ils sont impliqués dans toutes les sortes d'activités criminelles (meurtres, viols, vols en tout genre, faux, escroqueries, trafic de drogue et d'armes, proxénétisme, racket, fraudes diverses, blanchiment, clonage de téléphones portables, intimidations, corruption,...) et qu'ils collaborent avec diverses autres composantes du crime organisé. En février 1997, le Ministre de la Justice américain, l'Attorney General Janet Reno, a qualifié les Hells Angels d'un des quinze plus importants cartels de la drogue aux Etats-Unis. Le classement de plusieurs gangs de motards (en premier lieu, bien sur, les Hells Angels) en tant qu'organisation criminelle 6 se justifie aisément par plusieurs de leurs traits :

- implication dans une multitude d'activités criminelles et ce, au niveau international ;
- usage de violence, intimidation et corruption pour arriver à leurs fins (contre les services policiers et judiciaires et contre les gangs rivaux) ;
- structure hiérarchisée avec spécialisation et discipline internes ;
- initiation des nouveaux membres ;
- recyclage d'argent sale.

Après avoir étudié les origines, l'organisation et la "sous-culture" des gangs de motards (Première Partie), nous verrons l'implantation internationale de ces groupes ainsi que leurs activités criminelles (Deuxième Partie). Un chapitre sera également consacré à la situation en France.

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1 Les Triades chinoises se sont créées en réponse à l'invasion mandchoue au XVIIème siècle ; la Cosa Nostra sicilienne trouve ses sources lors de l'invasion française de l'île au XIVème siècle ; l'origine des Yakuzas japonais se perd à l'époque des samouraïs ;... Voir « Mafias du monde » de T. Cretin - collection « Criminalité Internationale » PUF 1997.

2 L'exemple type reste sans doute les Cartels colombiens dont le pays n'a connu la paix qu'à de courtes périodes dans son histoire : 18 guerres civiles en 100 ans.

3 Une particularité que l'on retrouve toutefois chez les Boryokudans (autre nom des organisations criminelles japonaises, les « yakuzas » étant les membres de ces structures) même s'ils font preuve de plus de discrétion depuis la loi anti-gang de 1992.

4 La presse canadienne les appelle également les « Rockers », c'est aussi ce nom qui est utilisé dans un programme spécifique d'Interpol : « projet Rockers ».

5 Même si des documents de plusieurs services de police et des articles de presse utilisent l'expression "Hell's Angels", l'apostrophe a été abandonnée il y a plusieurs années (Hells Angels).

6 Sur la définition des organisations criminelles, voir Cretin, op. cit.