1°) Non-assistance à militaire en danger

Je vous avertirai donc d'abord des misères et dangers de l'angélisme - comme voici un peu plus de deux siècles, le marquis de Sade exposa en grands détails les infortunes de la vertu.

Car la violence, telle qu'elle s'exerce entre les hommes, entre groupes ou entre les nations n'est pas une fatalité météorologique, comme la grêle ou la tempête. La violence n'est ni neutre, ni innocente. La violence n'est jamais le fait de fantômes, de zombies ou d'ectoplasmes, mais d'individus de chair et de sang. Quand il y a violence inter-humaine, cela signifie qu'il y a des individus violents, et qu'il y a des raisons de tout type pour que ceux-ci adoptent un comportement brutal, cruel, homicide, exterminateur, voire génocidaire.

« La violence » comme terme neutre est en réalité une formule médiatique, relevant de ce que les sociologues nomment « stratégie d'évitement ». Quand un journal dit « la violence a encore frappé la collège X », ou « la violence règne dans la cité Y », c'est qu'elle veut absolument éviter de désigner les auteurs de la violence - au pire, elle dit « les jeunes » - éviter d'exposer les infractions commises et leur finalité.


Bref, quand la presse parle abstraitement de « violence » c'est pour éviter de dire crûment que des malfaiteurs, souvent issus de l'immigration, ont agressé une octogénaire à la sortie de la poste pour lui voler vingt Euros.


Dire « violence » permet d'éviter de parler de ce qui fâche. C'est une échappatoire commode devant le réel, une neutralisation du danger. Parler abstraitement de violence est un repli volontaire au royaume des abstractions prudentes.


Une telle pratique porte un nom : celui de « politiquement correct ».


Or - et voici où mon intervention peut vous être utile - il me faut vous lancer ici un avertissement salutaire : la bienséance et le « politiquement correct » sont un insidieux poison, inodore et sans saveur - indécelable en tout cas sans un conscient effort de volonté. Ce poison intellectuel est comparable au monoxyde de carbone que dégage un poêle mal réglé. Tous deux engourdissent, rendent d'abord somnolent ; ils provoquent ensuite (comme d'ailleurs certains médicaments) une perte de vigilance ; puis déconnectent les défenses naturelles ; enfin, ils tuent - dans le cas qui nous intéresse, ils mettent en position d'être tué, par incapacité de pré-voir, de détecter à temps.


Et les principales victimes du « politiquement correct », c'est vous, les militaires. Car le « politiquement correct » et l'angélisme sont pour vous terriblement dangereux :


·D'abord, ils vous interdisent de nommer et de désigner l'ennemi ; c'est le premier point que je voudrais développer ici.

Dans la société de l'information, les médias, les communiquants et le personnel politique vivent dans l'illusion folle que les mots sont leur propriété. Ils croient pouvoir plaquer impunément des mots sur des choses ; ou jouer avec ces mots, les tordre en tout sens ; ou les édulcorer selon leurs intérêts, lubies ou phobies ; ou enfin vouer les mots qu'ils détestent, qu'ils craignent, à l'« enfer », les étouffer dans le silence.

Massive et habituelle, cette manipulation des mots est dangereuse. Bienséance, « politiquement correct », besoins propagandistes, termes indéfinis et concepts flottants, proscrivent en fait tout diagnostic efficace et, par cet effet de boomerang qu'est l'intoxication circulaire, trompent ceux-là même qui, à l'origine, falsifient, édulcorent, camouflent, pour abuser ou endormir les autres.


Prenons une analogie médicale : ne pas nommer correctement une maladie condamne le patient à dépérir ; ne pas nommer correctement une menace condamne à perdre celui qui est attaqué.


Tout cela atteste du formidable pouvoir de nommer. Ne pas pouvoir nommer c'est en effet se rendre incapable de poser un diagnostic. Une citation sur ce point :


« Le nom fait faire connaissance. Qui a un nom est connu au loin. Nommer c'est dire, c'est à dire montrer [...] Nommer dévoile, libère de l'abritement ». « Les noms sont des mots qui exhibent. Ils présentent à la représentation ce qui est déjà. Par la vertu de l'exhibition, les noms attestent leur souveraineté magistrale sur les choses » (les deux citations, MH, Introduction à la métaphysique).


·Ensuite et plus grave encore, le « politiquement correct » et l'angélisme établissent une égalité factice entre votre violence à vous - légale, mesurée, encadrée, justifiée - celle dont vous détenez le monopole, et la violence illicite et criminelle, celle des seigneurs de la guerre, des bandes armées, des guérillas dégénérées, des mafias, des groupes terroristes.


Accepter de parler simplement de « violence », c'est admettre que toutes les violences se valent. C'est adopter la formule moralisante « contre toutes les violences, d'où qu'elles viennent ». C'est oublier le fait que dans l'Etat de droit, au dessus du moralisme et même de la morale, il y a la loi. C'est oublier que d'un point de vue légal, toutes les violences ne se valent pas.
Tout cela vous paralyse, vous, militaires, vous met en danger, vous interdit in fine d'accomplir vos missions - car bien entendu, le mieux, le plus vite, le plus précisément le fauteur de violence illicite est nommé et désigné ; le plus tôt et le plus chirurgicalement ce fauteur de violence est neutralisé et mis hors d'état de nuire, le mieux cela vaut - et c'est justement cela que le « politiquement correct » et l'angélisme vous interdisent de faire.

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