Introduction

Cette présentation de certaines caractéristiques du trafic des êtres humains repose sur différentes études que nous avons menées sur les groupes criminels balkaniques. Les difficultés économiques liées à la fin du communisme, l'instabilité politique et les conflits successifs dans la région ont provoqué à diverses reprises d'importants mouvements de populations, favorisant l'émergence de groupes criminels qui se sont attachés à accompagner et à exploiter ces mouvements. Si nous nous sommes concentrés dans cette perspective sur les Etats issus de l'ancienne Yougoslavie et sur l'aire de peuplement albanais, il s'agit aussi de situer la place de cette activité parmi les autres trafics de la route des Balkans, ce qui implique de prendre en considération d'autres pays comme la Turquie ou la Moldavie. Il importe enfin d'établir, lorsque cela est nécessaire, des distinctions entre les filières dont la finalité est la prostitution et celles relevant de l'immigration clandestine au sens strict. Si les premières sont largement dissimulées par les secondes, elles présentent néanmoins des particularités sensibles.

Notre intérêt pour ce trafic repose sur deux constations. D'abord ce trafic constitue pour certains groupes dans les Balkans la voie d'entrée dans le crime organisé, particulièrement dans les pays les plus pauvres. Ensuite, les routes empruntées le sont aussi par d'autres trafics (stupéfiants, armes, voitures) et parfois les acteurs impliqués sont les mêmes d'une activité à l'autre. Cette proximité est évoquée par Marek Okolski lorsqu'il parle de : « l'exploitation illicite des migrations comme trafic », lequel trafic, selon lui : «... fait intervenir des groupes internationaux engagés dans la criminalité organisée, (il) est étroitement lié à d'autres activités illégales de ces groupes et, surtout, (il) rapporte gros »3.

Les relations entres ces nouvelles filières criminelles et celles du trafic de stupéfiants nous semblent intéressantes. Jonas Widgren, directeur du Centre international pour le développement des politiques migratoires, précise ainsi : « On observe aussi une convergence entre les filières de drogue et les trafiquants d'êtres humains. »4 En effet le trafic de drogues semble se conjuguer à celui des migrants clandestins, mieux que d'autres activités de contrebande. Le trafic de stupéfiants offre le rapport le plus intéressant entre le volume à transporter et les gains engendrés. Un individu peut ainsi aisément convoyer une quantité réduite de drogue et jouer le rôle de mule, en bénéficiant éventuellement de la couverture du groupe de personnes dans lequel il se trouve. Au delà des filières de transport, il importe aussi d'observer les relations pouvant exister entre les prostituées, les lieux de prostitution et la drogue.

En comparaison avec les autres trafics, celui des êtres humains possède une singularité importante. Il comporte une dimension prédatrice marquée, et ses victimes sont l'objet même de l'activité criminelle. Ce point pourrait être important pour les forces de l'ordre, puisqu'il leur ouvre la possibilité d'engager la solidarité des victimes de ces réseaux afin d'obtenir des renseignements. Alors que les filières des migrants clandestins transportaient initialement des personnes des mêmes pays que les trafiquants, elles ont évolué et se sont diversifiées au fil des années, prenant en charge des gens venus de pays beaucoup plus éloignés. Les possibilités de collaboration avec les forces de l'ordre sont donc plus grandes, même s'il faut nuancer cette idée. Car les migrants savent que pour atteindre leur destination finale, ils devront peut-être faire appel une nouvelle fois à ces filières, après une première interpellation et une extradition (un argument employé par les trafiquants pour tenter de s'assurer du silence de leurs clients).


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3 Okolski Marek : « Tendances récentes et grands enjeux des migrations internationales : l'Europe centrale et orientale », dans la Revue internationale des sciences sociales, n°165, septembre 2000, pp.379-392.

4 « Le trafic des hommes, un marché lucratif » dans L'Hebdo repris par le Courrier International n°505 du 6 au 12 juillet 2000.