Les liens avec le trafic de drogues

Le trafic des êtres humains est certes devenu une source de profits nouveaux pour des groupes criminels qui se sont spécialisés dans cette activité, mais il est aussi l'une des multiples facettes de réseaux criminels diversifiés qui participent à bien d'autres trafics, celui des drogues notamment.

Ainsi, la place occupée par différents pays sur les routes du trafic d'êtres humains est révélatrice des autres trafics illégaux qui s'y sont développés, car les réseaux criminels choisissent de façon très ciblée les pays les plus pauvres, où souvent la corruption est plus aisée, pour y installer des points d'ancrage pour l'ensemble de leurs activités. Sans revenir sur des cas bien connus, on peut relever par exemple que la Moldavie, outre son statut de « réservoir de marchandise humaine » pour de nombreuses filières criminelles, est aussi désormais un maillon faible sur les routes de l'héroïne au départ d'Istanbul, et donc un lieu de passage de choix pour les trafiquants turcs qui veulent éviter la route traditionnelle des Balkans, en empruntant un axe plus oriental, par des pays comme la Roumanie, la Moldavie, l'Ukraine, la Pologne ou Slovaquie.

Dans le cadre de ces trafics qui empruntent les mêmes routes, il semble aussi exister des spécificités propres aux réseaux criminels albanais où plusieurs produits sont convoyés simultanément par les mêmes filières, en particulier sur la route Adriatique reliant les ports d'Albanie à l'Italie. Lorsque les candidats au voyage sont du même pays que leurs transporteurs et que leur contrôle est relativement facile (par des pressions sur la famille), il arrive que les trafiquants chargent les migrants illégaux de livrer en fin de parcours un ou des paquets contenant des quantités modestes de stupéfiants. Cette pratique permet à la fois au trafiquant de réduire les risques pris en effectuant deux opérations (le passage d'un migrant clandestin et l'acheminement de la drogue) en un seul voyage, et le cas échéant, au candidat au départ de s'acquitter du prix élevé du voyage par un paiement « en nature », première étape avant une éventuelle intégration dans un réseaux criminels dans le pays de destination.

Plus généralement, on constate que les scafi qui font la liaison entre la côte albanaise et le sud de l'Italie transportent souvent à la fois quelques dizaines de migrants clandestins (une trentaine à une quarantaine de personnes) et une cargaison assez importante (quelques centaines de kilogrammes) de drogues, principalement de la marijuana, déchargée à un endroit différent de celui où les migrants ont été débarqués. La présence d'hommes à bord du bateau des trafiquants leur permet, en cas de poursuite avec les autorités italiennes, de jeter à l'eau certains de leurs passagers afin de détourner l'attention les autorités pour pouvoir débarquer leurs marchandises, surtout la drogue.

Quant à l'exploitation de la prostitution, c'est dans les pays de destination des femmes que les liens avec le trafic de drogues sont particulièrement étroits. Les prostituées peuvent être forcées par leurs souteneurs à consommer certains produits afin de les maintenir sous leur emprise totale. Mais le point le plus important est que l'exploitation de la prostitution dans certains espaces permet progressivement aux réseaux de s'ancrer efficacement sur place, d'y bénéficier d'un environnement plus sûr afin de se livrer à la vente de stupéfiants. Les prostituées peuvent le cas échéant servir de vigie lorsqu'elles sont dans la rue. Elles participent ainsi à un certain contrôle du territoire sur lequel d'autres activités criminelles sont plus facilement réalisables. Parfois elles remplissent elles-mêmes le rôle de vendeuses au détail, ce qui favorise la fidélisation de certains clients et l'instauration d'une autre forme de complicité avec lui. Ce dernier dispose ainsi de deux « services » dans le cadre d'un seul déplacement.

Le contrôle de la prostitution par un réseau criminel peut également se révéler fort utile afin d'effectuer des pressions sur les clients ayant recours à ces « services », dans le but d'extorquer de l'argent ou un service quelconque, notamment sur un plan administratif.

Le cas des réseaux originaires d'Albanie venus s'installés en Italie dans la première partie des années 1990 a montré qu'à partir d'une position acquise progressivement sur le marché de la prostitution locale, les trafiquants albanais sont parvenus à s'imposer ensuite sur d'autres secteurs, en premier lieu dans l'approvisionnement et la distribution de drogues (marijuana, héroïne puis cocaïne).


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