III - La synthèse Turco-Islamique
 

Depuis le Xème siècle, la Turquie protège, dirige, vivifie le monde musulman. Pour son propre bien l’Oumma musulmane doit accepter la suprématie de la nation turque musulmane, symbolisée par le califat d’Istanbul. Pour jouer au mieux ce rôle de forteresse et de bouclier de l’islam, la Turquie, elle, doit retourner aux sources de l’ethnicité turque, renforcer les liens avec les peuples-frères d’Asie centrale. Telle est la synthèse turco-islamique (STI), Turk-Islam Sentezi, doctrine identitaire nationale-religieuse - peut-être demain, si l’on n’y prend garde, l’idéologie dominante en Turquie.

La synthèse turco-islamique prône :
 

. L’instauration, du moins dans un premier temps, d’un régime autoritaire en Turquie, dont la mission serait d’abord de purger le pays des “courants de pensée néfastes” qui s’y sont enracinés,

. A terme, le regroupement des Etats turcs dans une communauté analogue à la Ligue Arabe; 270 millions de turcs unis sous la houlette du “grand Frère” d’Ankara pesant plus lourd sur la scène internationale, qu’aujourd’hui, où ils sont dispersés et soumis à des influences extérieures néfastes.

. Une politique d’hostilité résolue envers l’Arménie, qualifiée d’ “Israël chrétien”,

A l’origine de la synthèse turco-islamique, le “Foyer des Intellectuels”, association fondée en 1970, par réaction au “mai 68 turc”. Ayant pour projet de réunir sous un même toit islamistes et touranistes, ce foyer réunit une centaine d’universitaires, de hauts fonctionnaires et d’hommes politiques. Influent surtout après le coup d’Etat militaire de septembre 1980, il s’attache à dessiner les grandes lignes de ce qui serait une idéologie inspirée de la “culture nationale”. Dans un rapport de 1986, un général retraité proche de la STI écrit “La culture turque et la culture islamique constituent les sources de notre culture nationale. Elles ont atteint une synthèse accomplie chez les Seldjoukides d’Anatolie et plus particulièrement chez les Ottomans... Le Kémalisme a été un mouvement d’orientation de cette culture ...”.
Parenthèse : faire de Kémal Atatürk, qui qualifiait l’islam de “théologie absurde d’un bédouin immoral” et de “cadavre putréfié qui empoisonne nos vies”, le grand ancêtre de la synthèse turco-islamique relève quand même de la prise d’otage...

La STI exerce une influence sur certains secteurs de l’institution militaire turque - encore que la “culture nationale” y soit jugée acceptable pour la société, mais pas pour l’armée, impitoyablement purgée de tout élément islamiste. Cette influence s’exerce aussi sur des partis comme le Parti nationaliste du travail(1)  (plus touranien qu’islamiste) et le Parti de la prospérité(2)   (plus islamiste que touranien).

Dans la société civile turque, la STI a dans son orbite plusieurs fondations culturelles importantes : Fondation littéraire turque, Fondation turque-islamique, Fondation pour la recherche sur le Turkestan; des associations d’hommes d’affaires influentes, ainsi que le quotidien “Turkiye”, 4ème du pays par son tirage (± 340 000 exemplaires/jour).

(1) Le chef du PNT - dont le slogan est : “notre guide, le Coran; notre but, la Touranie; notre chef, Turkes” est le colonel Alparslan Turkes. En 1995, le parti a 19 députés (sur 450) à l’assemblée nationale turque
(2) Fin septembre 1995, un sondage donnait au Refah Partisi 21, 6% des intentions de vote à de futures élections législatives (23,5% chez les 18-21 ans; 21,2% chez les diplômés des Universités). Devant les autres grands partis turcs, Parti de la mère-patrie, 18,51%; Parti de la juste voie, 15,54%; Parti de la gauche démocratique, 13,46%.
 

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