Extrait de "CONTRE", été 1987, un bulletin français
"proche" de la guérilla italienne.
"Renato CURCIO fut, au début des années 70, un des fondateurs
des BRIGADES ROUGES, dont il sera, durant plus de dix ans, un dirigeant
majeur. Ce qui lui vaut aussi d'être emprisonné depuis de
nombreuses années dans une "prison spéciale".
Au début des années 80, avec la scission dans les B.R.
entre d'une part les B.R./POUR LE PARTI COMMUNISTE COMBATTANT et les B.R./PARTI
GUERILLA, il tentera, dans le cadre des B.R./PG de rompre avec l'ossification
"marxiste-léniniste" et la déviation "militariste" qui ont
caractérisé la parabole politique-militante des B.R. ; son
intérêt se portera sur l'ensemble des phénomènes
métropolitains, sur la recherche d'une compréhension des
mutations majeures au sein de la société du capital, cherchant
à promouvoir une expérience politique de type nouveau et
à développer un nouveau type de guérilla dans la métropole.
Avec la dissolution des B.R./PG il poursuivra son parcours théorique
et politique, avec d'autres camarades détenus dans le cadre du COLLECTIF
CE N'EST QU'UN DEBUT. Ces camarades tirent un bilan(auto-critique sur l'expérience
de la lutte-armée en Italie, remettant en cause le modèle
de l'Organisation communiste combattante, analysant l'échec des
B.R. et cherchant à le dépasser.
En 1985, R. CURCIO a publié un livre surprenant WHKY, croisement
de genres, à la fois roman, poème, pièce de théâtre,
recueil d'essais et d'analyses, parcourus par l'ensemble des ses pré-occupations
de ces dernières années ; la compréhension et la critique
des mécanismes de la domination métropolitaine, au travers
de sujets aussi divers que Marylin MONROE, les graffitis, Clauswitz, les
repentis, la mémoire, le rêve, l'échec des B.R. ou
la schizophrénie sociale…
Renato Curcio :
"Voici, les graffitis, théâtre de la vie. Egratignures,
griffures, lacérations, qui gravent sur les territoires de la mort,
sur les surfaces claires et nettes de la métropole, des signes de
révolte et de libération. Gouttes colorées d'un désir
souterrain qui cherche ses volumes dans l'univers hyper-réel saturé
de vide. Qui déploit un discours de poésie dans la rude culture
de la rue. Qui émerge dans le monde hétéroclite de
l'a-communication totale, avec une voix limpide, vierge, sans histoire.
Qui nomme l'innommable et par cette transgression se porte à la
vie sociale, violant le contexte programmé pour sa négation.
Poésie de multiples poètes, voix sans visage qui regarde
ses interlocuteurs sans en avoir aucun, mais qui parle intensément
à tous ceux qui lui offrent leur regard. Et à chaque nouveau
regard renouvelle les inépuisables scènes du théâtre
de la vie.
"Chacun écrit dans sa propre zone de rencontre : mur, banc,
cabine téléphonique, banquette de métro ; on marque
son propre territoire. De cette façon celui-ci est délimité,
indiquant aux autres la présence d'un groupe, son nom, sa musique
préférée ou son style de vie. Un style de vie qui
a dans la transgression, dans la rupture de la normalité de communication,
son propre signifiant : projet de modification suivant son goût propre,
son esthétique personnelle, quasiment d'aménagement de la
ville où l'on habite, sur un autre mode".
AU SECOURS !
"Pas toujours. Parfois les graffitis sportifs, érotiques, politiques,
rock, nous regardent avec l'oeil poussif d'une solitude féroce.
Ils implorent une quelconque identification, quelle qu'elle soit, une appartenance
quelconque. Hard Rock, Juventus, Punk, peut importe. Il gueulent à
l'autre - ennemi immédiat - CREVE-CREVE-CREVE, et semblent en jouir.
Mais ce sont les angoisses, les peurs, les phantasmes qui prennent ici
la forme de signes et lacèrent les murs. SOS désespérés
de naufragés impotant à la dérive. Pissotières
comme bouteille à qui est confiée une solitude folle, "seuls
les emmerdes me tiennent compagnie / je n'ai pas d'amis / je n'ai jamais
fait l'amour / je n'arrive pas à trouver un cul / je veux quelqu'un
pour m'aimer". Paroles de latrines. Hullulées dans la pénombre
d'un sexe castré. Epanchements délirants qui cherchent un
oeil lubrique. Excréments sémiotiques qui, dans l'odeur des
ghettos, planent sur les excréments des corps. Ecriture de décharge
des mille tensions frustrées. Langage vomit par le besoin. Non par
désir. Le désir parle des signes chaudes d'un peuple invisible
qui se reproduit et se multiplie hors des réseaux canalisés
par les flux déments des rythmes métropolitains. Signes de
création qui brûlent l'indifférence de l'espace froid,
saturé de mots, boueux, pollué, des lieux frigorifiques de
l'acom-……… des lieux frigorifiques où l'a-communication multi-médiatique
génère comme effet délirant des corps qui aboient
seuls dans les rues et sombrent toujours plus dans l'affabulation désespérée
de paroles sans écho. Corps sans visage ni voix, aphasiques, indifférents,
étrangers, aliénés. Débris incapables d'exprimer
d'une façon ou d'une autre leur propre dévastation."