ANNEXE 4 : LES BRIGADES ROUGES A L'USINE :
La Colonne "Walter Alasia" et l'Alfa-Roméo à Milan 1975-1981
Extrait de "Alfa-Roméo 1980-1983
L'autre tactique patronale et la résistance ouvrière"
supplément de "Classes dangereuses" - janvier 1984.

 I - La culture de l'ouvriérisme stalinien lombard
La continuité relative de l'hégémonie des métallos sur la composition technique de la classe ouvrirère centrale milanaise donne naturellement un poids particulier à leurs organisations syndicales locales. La FLM est la plus importante organisation tant régionale que sectorielle. Les décisions de la FIOM milanaise sont indicatives poru tous les métallos de la CGIL, celles de la FIM milanaise sont importantes pour tous les métallos de la CISL, etc…
C'est de Milan que viennent les grand leaders de la CISL (Pierre Carniti, secr. nat. de la CISL, a été secrétaire de la FLM milanaise). Les leaders communistes de la FIOM préfèrent, eux, rester en Lombardie plutôt que d'aller dans les instances nationales. Ils ont un rôle typique de médiateurs. On a souvent parlé de leur empreinte "stallinienne", ce qui est en grande partie une légende, même si nombre d'entre eux ont suivi une formation politique en URSS, ce qui reste aujourd'hui un signe de loyauté. Les organisations milanaises du PCI et la Chambre du Travail (= Bourse du Travail NDT) gardent néanmons la réuptation d'être des fiefs secrets du pro-soviétisme, tout comme les organisations de Brescia et Sergamo. Cette affaire a connu un regain lorsqu'à la mi-82 une opposition interne au PCI s'est manifestée. Son porte-parole est Armando Cossutta, membre de la direction nationale et ex-secrétaire général pour la Lombardie. Longtemps responsable du parti pour les "organismes locaux" ("enti locali"), c'est-à-dire pour la politique du parti dans les conseils municipaux et régionaux, il avait une position politique forte, puisque responsable du niveau politique auquel le parti remplit sa fonction de pouvoir et de gouernement. On peut dire qu'il coordonnait et contrôlait l'exercice concret du povoir par le PCI. Seuls les responsables de l'organisation et de la fraction parlementaire ont peut-être joué un rôle plus important que lui. Outre Berlinguer, les autres hommes forts du Parti sont ajourd'hui Chiaromonte, Natta et Natolitano. Cossutta faisait partie du groupe dirigeant mais il est aujourd'hui contraint à l'opposition et ne retrouvera vraisemblablement plus de positions-clé.
Mais la question du courant pro-soviétique dans le PCI ne peut être réduite à une lutte interne de pouvoir entre "eurocommunistes" et "pro-soviétiques". Il ne s'agit pas non plus d'une "restalinisation" du parti. Tout au plus peut-on parler de l'existence de résidus, dans la classe ouvrière milanaise, d'un "ouvriérisme stalinien", d'une culture qui s'épanouit beaucoup mieux en temps de crise qu'en période de croissance économique. Une culture adaptée aux phases de contre-offensive capitaliste, une culture de la résistance entêtée, de l'union compacte de la classe ouvrière comme dernier recours por défendre la démocratie. C'est une culture de la défensive, du "tenir-bon". Quoiqu'il en soit cette culture a joué, dans la récente vague de luttes, joué un rôle déterminant dans la composition politique, et pas seulement à MIlan. La question de svoir dans quelle mesure cette culture a été le terreau de la lutte armée ou au contraire de sa trahison est et reste sans réponse. Il n'en reste pas mons que tous les cadres et militants du mouvement qui ont vécu à MIlan dans les vingt dernières années et on lutté avec la classe ouvrière milanaise, ont été plus ou moins marqués par cette culture. Comme signalé plus haut, les organisations milanaises des syndicats sont les plus improtantes numériquement. Lorsque la FIM de Milan refuse donc de signer un accord aussi important que celui d'Alfa Roméo, cela est déjà le signe d'un début de cassure dans l'organisation, qui peut avoir de graves conséquences. D'autant plus que la FIM a soutenu la plainte déposée par les ouvriers d'Alfa auprès d'un juge.

II - La réorganisation des B.R. à Milan et chez Alfa-Roméo
Les organisations de lutte armée étaient présentes depuis longtemps chez Alfa Roméo. Leurs documents principaux furent distribués dans l'entreprise, une longue série d'actions y fut entreprise, en partie aussi à l'intérieur (par exemple des attaques de contrôleurs et de membres de la haute hiérarchie), qui étaient liées à la situation spécifique de l'entreprise. Bref l'entreprise n'était pas seulement un lieu de propagande pendant et après les actions, mais aussi un lieu d'action. Alors que dans toute l'Italie les structures et la diffusion des organisations avaient fondu ou changé, à la suite de la grande vague de répression de 1979-1980, leur implantation chez Alfa-Roméo ne semblait pas avoir été ébranlée. Dans le premier semestre de 1980, on trouva dans de nombreux secteurs d'AR, y compris dans le local du conseil d'usine, du matériel de propagande concernant aussi des actions faites en dehors de l'aire milanaise. Les B.R. se mouvaient sans difficultés dans l'entreprise, spécialement dans l'usine d'Arese. Elles n'étaient pas la seule organisation active chez AR, mais elles semblaient être la seule à n'avoir pas été touchée par la répression.
La colonne milanaise portait encore ne nom de Walter Alasia, un jeune militant issu d'une famille ouvrière et communiste abattu par la police en 1976, alors que lui-même avait tué un commissaire de police et un autre fonctionnaire venus l'arrêter dans son appartement (1). La colonne s'était implantée dans les années suivantes non seulement dans des usines, mais aussi dans des hôpitaux et d'autres entreprises du secteur tertiaire. En mars 1981, leur structure était encore presque intacte. La colonne semble avoir développé une critique dure contre la direction des B.R. à partir de la mi-1980 et avoir cherché une autre voie. On en sait encore très peur, et ce peu vient des "repentis", mais les arrestations opérées en 1981 et 1982 (à la fin de 1982, la colonne était presque entièrement anéantie) ont montré qu'elle était une organisation strictement ouvrière : 80 % de ses membres étaient de jeunes ouvriers d'usine. Un de ses dirigeants était, comme plusieurs autres membres de la colonne, délégué d'usine chez Alfa Roméo.
C'était la première fois que le recrutement par les B.R. avait pénétré à c epont l'échelon inférieur du syndicat. Les syndicats n'étaient pas les seuls à s'étonner de ce qu'un réseau aussi étendu eût pu se constituer dans lapériode de crise (1980). La majorité des brigadistes vivaient légalement, ce qui implique que leur logistique était relativement bien organisée. La colonne était composée selon le "modèle ouvriériste", fortement inspiré de la phase historique de création des B.R.. Ceci n'est d'ailleurs qu'un reflet de la situation milanaise, où les "tendances ouvriéristes" étaient et sont bien enracinées dans la classe ouvrière. Par "tendances ouvriéristes" nous entendons ici :

a ) l'importance accordée à la composition sociale de l'organisation,
b) le lien avec la problématique de la production,
c) l'utilisation de sorganisations syndicales existantes, dans la mesure, elles recouvrent une partie de l'autonomie ouvrière,
d) la concordance des actions militaires avec des actions de masse des travailleurs (grèves et autres) c'est-à-dire aussi un lien avec la culture ouvrière moyenne.

De même que l'anéantissement des organisations illégales a pris plus de temps à MIlan, la stratégie d'anéantissement de la classe ouvrière ne pouvait, elle non plus, s'y déployer sans failles. (…)

III - Intervention des B.R. - document sur le plan stratégique
En juin 1981, les B.R. enlèvent le directeur général de l'organisation du travail du groupe Alfa ROméo. Elles détiennent trois autres otages en même temps. Pour la première fois l'organisation réussit à organiser simultanément quatre enlèvements. Il s'agit de l'ingénieur Tagliercio, cadre supérieure du Complexe Pétrochimique de Porto Marghera, près de Venise, d'un membre important de la démocratie-chrétienne de Naples, le conseiller municipal Cirillo et de Roberto Peci, frère du renégat des B.R. Patrizio Peci. Deuxième choc pour le système : deux mos plus tôt la "solution finale" paraissait si proche ! Après l'enlèvement le conseil d'usine, dans une prise deposition, déclare notamment : "Ce grave acte criminel est une tentative des B.R. de s'immiscer dans les débats syndicaux à l'intérieur de l'entreprise. Dans les derniers mois il y a eu d'innombrables tracts, documents et affiches, dans lesquels les terroristes déclaraient la guerre à l'accord du 4 mars. Ce n'est pas un hasard si les tracts trouvés ces derniers jours identifient clairement comme cibles de leurs attaques les hommes de l'entreprise et du syndicat qui veulent réaliser l'accord sur les "groupes de production". L'enlèvement a lieu à un moment où des horaires réduits sont pratiqués et où les négociations se poursuivent sur la suite à donner aux projets de mise en Cassa Integrazione.
Le jour de l'enlèvement le syndicat avait appelé à une assemblée, à laquelle 10.000 travailleurs auraient participé.
Mais comme c'est souvent le cas dans les usines italiennes, il n'était pas clair s'il s'agissait là d'une manifestation de protestation contre le terrorisme ou d'une poursuite de la lutte contre la direction. Les 12 et 19 juin, la protestation continue par des grèves "contre le terrorisme et la Cassa Integrazione".
Pendant l'enlèvement les B.R. avaient distribué un document qui constitue l'une des analyses les meilleures et les plus détaillées de la restructuration chez Alfa-Roméo. Elles analysent en profondeur comment l'organisation du travail, après l'instauration des "groupes deproduction", sera faite dans chaque secteur. Le choc dans l'opinion est encore plus grand. Dans le document, sont en effet révélés des faits et des situations qui ne peuvent être connus que des cercles syndicaux ou de la haute hiérarchie. Vu la manière dont il est rédigé et la date à laquelle il est diffués, le document ne peut s'être appuyé sur l'interrogatoire de l'otage et il est évident qu'il a été écrit avant l'enlèvement. L'impltation des B.R. dans tous les secteurs de la production de voitures et du syndicat ressortent clairement : de même il apparaît que les B.R. ont des informateurs dans la direction. De plus le document est fortement marqué par la culture ouvriériste. Même dans leur meilleure période chez Fiat, les B.R. n'avaient jamais démontré une onnaissance aussi exacte de la situation interne d'une entreprise et de la politique patronale.
Après une introduction sur le "plan stratégique" d'Alfa-Roméo et une analyse du développement technologique prévu ("nous ne sommes pas contre la technologie"), les B.R. consacrent leur analyse aux "groupes de production". Le débat tourne autour de la question de savoir si la réorganisation du travail est un premier pas pour dépasser la monotonie, vers l'humanisation, vers une meilleure qualification et une ascension salariale plus rapide ou bien si c'est un moyen d'intensifier le travail. La question n'est pas simplement expédiée comme "leurre du capital" mais considérée sous l'angle des possibilités de résistance qui s'offrent dans et non contre la nouvelle situation. Et c'est sur ce plan même que va s'organiser la résistance ouvrière dans le deuxième semestre de 1981.
L'otage est libéré avant l'état alors que le conseil d'usine organise en juillet une action de masse contre le terrorisme, au cours de laquelle il laisse tomber les accents hystériques des mois précédents au profit d'une réflexion plus intense et d'un débat sur le problème B.R.. Dans un papier de préparation du meeting le conseil écrit : "Le C.U., réuni le 8.7.81 à propos de la nouvelle phase du terrorisme dans l'usine et dans le pays, a engagé une discussion et une réflexion avec les travailleurs sur ce thème… Le terrorisme s'est réorganisé, afin depoursuivre ses buts dans le cadre de la situation sociale e tinterne à l'entreprise et rejoindre ainsi un consensus de masse. L'objectif se déplace du coeur de l'état sur la désagrégation de la société par le moyen d'une structure élargie, qui aspire à devenir une alternative au syndicat sur le territoire et dans les entreprises". La prese, elle, adopte un ton hystérique. La question de savoir dans quelle mesure le syndicat et le mouvement des délégués ont encouragé le terrorisme et couvert le terrorisme, avait été déjà epxloitée lors de la campagne d'octobre 1980 à l'occasion de la lutte de Fiat pour attaquer le syndicat en tant que tel. Cette fois-ci la presse défend la thèse selon laquelle les B.R. sont dans le syndicat et du syndicat, bref son émanation. Il ne s'agit plus là d'une simple opération visant à criminaliser les mouvements sociaux et particulièrement ouvriers, ce qui est monnaie courante : le nouveau pas franchi par la presse consiste à présenter le syndicat comme le complice principal du terrorisme tant qu'il s'en tien aux revendications des années 70. (…)
(…)
Le 30 octobre est arrêté le chef présumé de la colonne "Walter Alasia". Il a 25 ans, travaillait chez Alfa-Roméo depuis 1977, était délégué depuis 1979 et membre de la commission exécutive du Conseil d'Usine (C.U.) (l'organe de décision le plus élevé du C.U. qui mène la politique contractuelle).
Il était passé à la clandestinité en octobre 1980. La presse triomphe : les B.R. sont dans le syndicat, elles en recrutent les cadres moyens d'usine. (…)

(1) : Il était originaire de Sesto San Giovanni, noyau dur de la "banlieue rouge" milanaise et travaillait comme ouvrier à l'usine métallurgique "Magneti Marelli".
(retour au texte)

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