Les rapports des BR avec le monde extérieur
 
[En Italie, avec d'autres organisations années ? Au-delà, avec des partis ou des syndicats légaux ? Avec des organisations combattantes analogues en Europe ? Quel était voire jugement sur Action directe ? La Fraction année rouge ? D'autres ? Qui teniez-vous en estime, de qui vous méfiezvous, qui méprisiez-vous ? Avez-vous eu connaissance de contacts avec des organisations du Proche-orient (palestiniennes, libanaises, etc.) ? Des officiels du bloc de l'Est ?]
 
En dehors des BR, les Noyaux armés prolétariens, les Unités communistes combattantes, Prima linea, les Prolétaires armes pour le communisme, le Mouvement communiste révolutionnaire et des dizaines d'autres groupuscules pratiquaient la lutte armée en Italie, à l'époque. La plupart apparaissaient et disparaissaient tout aussi brusquement. Il y a eu, à cette époque, une véritable constellation d'organisations armées; sans doute près de 400 ! Nos rapports avec ces groupes étaient soumis à leur acceptation de notre programme politico-militaire. Jamais l'inverse. Nous n'avions rien à faire de leur programme à eux. Et ceux des cadres des autres mouvements armés qui entraient aux BR, ceux des NAP par exemple, le faisaient à la base, comme simples militants d'une colonne. Les divergences avec Prima linea, l'autre organisation armée puissante, comptant des centaines de militants, étaient énormes. Nous maintenions avec eux des contacts minimum: des échanges de notes et rien de plus. Mais je puis témoigner qu'au-delà des organisations armées Proprement dites, il y a eu, dans l'Italie de la fin des années 70, une sorte de révolte armée. Entre 1978 et 1982, il y avait dans notre pays plus de 3000 prisonniers politiques dont 800 des BR et 300 de PL.
 
Nous n'avions aucun contact avec les partis politiques ni même avec les groupes gauchistes légaux; ni, non plus, avec les directions syndicales. La politique, pour nous, c'était la lutte armée. Nous pensions ainsi ouvrir des brèches au sein de l'Etat, entre le PCI et les syndicats et entre ces deux organisations et la classe ouvrière, pour aboutir à une révolution dont nous pensions qu'elle était possible en Italie. Nous étions hostiles à tous les partis, mouvements et syndicats légaux.
 
Pour nous le PCI et le syndicat proche de lui étaient des révisionnistes ayant comme besogne de paralyser les luttes ouvrières et prolétaires. Mais parmi nous, nombreux étaient ceux qui venaient de la jeunesse communiste ou du PCI, ou des syndicats et des comités d'entreprise. Nous gardions nos affiliations à ces structures pour pouvoir, par leur truchement, participer à des luttes ouvrières et parfois-même les diriger. Certains cadres des colonnes de Turin et de Mdan étaient simultanément des responsables syndicaux estimés et respectés de la Fiat ou de l'Alfa-Romeo.
 
En Europe, nous avons eu des contacts occasionnels avec la RAF. Mais, d'après nous, l'Italie constituait le maillon faible de la chaîne des Etats capitalistes-impérialistes et le lieu primordial de notre combat révolutionnaire était l'Italie même. Ce principe fondamental a rendu impossible tout rapport organique avec la RAF, ou Action directe, ou ETA dont les projets étaient fort différents des nôtres. Nos analyses et celles de la W étaient en complète opposition sur la nature de l'URSS et du bloc de l'Est et sur le sens même de la lutte armée en Europe. La RAF se considérait comme la 5' colonne en Europe d'un "Front anti-impérialiste" qui allait du bloc de l'Est aux mouvements révolutionnaires et aux guérillas du tiers-monde. Cela dit, nous avions beaucoup d'estime pour les camarades de la RAF. A titre personnel, je trouvais très courageux de leur part de lutter sur un terrain aussi difficile que l'Allemagne. Et les dures luttes menées, en prison, par Andreas Baader et Ulrike Meinhof, notamment, ont beaucoup marqué ma génération, au début des années 70.
 
Nous n'avons jamais souhaité avoir de rapports avec Action directe. Ils étaient très éloignés de notre ligne politique; nous les considérions comme des sortes d'anarchistes.
 
Simple et clair, notre projet excluait dans cette période tout contact avec des groupes étrangers autres que matériels, ou relevant de la solidarité entre mouvements révolutionnaires. Ainsi, nous avons eu un contact avec une fraction palestinienne, à propos d'une cargaison d'armes, que nous avons transportée jusque dans notre pays et partagée avec trois autres groupes armés italiens. A part cela, nous nous conformions au principe ma6iste "Compter sur ses propres forces", pour les armes comme pour l'argent. Nous faisions de nombreux hold-up, désarmions chaque fois que possible policiers et vigiles lors de ces attaques. Pour l’entraînement, nous utilisions des puits de mines abandonnées, nombreux dans les montagnes italiennes. Contrairement à la légende, jamais aucun militant des BR n'a reçu d'entraînement militaire dans un camp étranger. Nous trouvions -je trouvais personnellement - grotesque l'idée qu'un petit groupe d'individus ayant reçu une formation élitiste, militaire ou autre, si bien entraîné soit-il, puisse faire une révolution en se passant du concours du prolétariat, des masses.
 
Pour nous, les Brigades rouges, l'URSS et le bloc de l'Est étaient "social-impérialistes". Dans ces pays, du fait des deux guerres mondiales, la révolution socialiste originelle avait été dévoyée. A l'origine une expérience de dictature du prolétariat de grande portée historique, l'URSS était devenue la dictature de la bureaucratie du PCUS sur le peuple. Seule demeurait à titre de vestige une configuration socialiste de l'appareil économique et de celui de l'Etat. Entrer en contact, nouer des rapports, recevoir des aides du bloc de l'Est était formellement interdit aux BR; nous estimions en outre que de telles liaisons étaient dangereuses.
 
Cela dit, pendant l'enlèvement du général américain Dozier, un syndicaliste italien, qui travaillait dans un organisme international en Pologne, a proposé à son neveu -qu'il savait proche des BR- un contact à ce propos avec des agents de renseignement de l'Est. Il s'agissait là d'une initiative personnelle de ce syndicaliste et lesdits agents étaient moins intéressés par nous-mêmes que par les confidences que ce général –N°2 du commandement de l'OTAN en Italie - aurait pu nous faire. Le Comité exécutif des BR a refusé cette offre. Et pour éviter tout malentendu subséquent, la proposition et le refus ont été communiqués à toute l'organisation. Je dois dire que si cette collaboration s'était matérialisée, nous aurions été nombreux à rompre sur le champ avec les BR. Pour nous l'enlèvement de Dozier avait un sens précis : elle signifiait que l'Italie devait quitter l'OTAN, étape première et indispensable du processus révolutionnaire. Ce faisant, l'Italie, d'après nous, rendait plus difficile une escalade militaire entre les deux blocs.

 

retour au sommaire | suite