HISTOIRE ET ACTUALITE DU TERRORISME SERBE

Belgrade, mai 1911 : des partisans de la “grande Serbie” fondent une société secrète, “L’Union ou la Mort”, rapidement connue sous le nom de “Main Noire” (Tcherna Ruka, en serbe). Brodée en fils d’argent sur sa bannière noire, toute la morbide panoplie du comploteur : crâne et ossements, poignard, bombe et bouteille de poison... Les conspirateurs jurent de libérer les Slovènes, les Croates et les Bosniaques, tous slaves du sud encore assujettis à l’empire Austro-hongrois, pour les fédérer ensuite sous l’égide de la Serbie. En majorité militaires, les affidés de la Main Noire sont organisés par cellules de trois; on les trouve en Serbie, bien sûr, dans tous les Balkans, ainsi que dans les Empires Austro-hongrois et Ottoman; en 1914, leur nombre est évalué à - 2 000 activistes.
La direction communique avec ses cellules par de petites annonces codées placées dans le grand quotidien de Belgrade, “Trgovinski Glasnik”.

En théorie, la Main Noire est aux ordres d’un directoire de six membres comprenant des ministres et des généraux, mais la personnalité du colonel Dragoutine Dimitriévitch, nom de code “Apis”, écrase toutes les autres. Spectaculaire colosse chauve et moustachu, “Apis” occupe le poste, idéal pour comploter, de directeur du bureau du renseignement de l’état-major général serbe; c’est depuis Belgrade et le Ministère de la guerre qu’il dirige les opérations de la Main Noire. Non sans prudence : plus modéré, le ministre de la guerre de l’époque considère “Apis” comme un exalté et le tient à l’oeil. Cela n’empêche pas la Main Noire d’ourdir en 1913 l'assassinat du roi Georges Ier de Grèce, “oppresseur des minorités slaves”. Bien avant la fondation de la Main Noire, “Apis” a participé en 1903 au meurtre du roi Alexandre Obrenovitch et de son épouse Draga. Ces “collabos des Autrichiens” sont abattus dans leur palais de Belgrade et leurs corps, jetés par les fenêtres...

Au printemps de 1914, la Main Noire apprend que l’Archiduc François-Ferdinand, prince-héritier de l’Empire Austro-hongrois, doit se rendre à Sarajevo en compagnie de son épouse morganatique, la princesse de Hohenberg et ce le 28 juin, jour de la Saint-Vitus !(1)   L’affront est trop grave; François-Ferdinand doit mourir. L’opération est confiée à trois jeunes adhérents d’un groupe révolutionnaire pan-serbe, “Mlada Bosna” (Jeune Bosnie), bien implanté chez les étudiants serbes de l’Herzégovine. Les trois revolvers et les munitions des terroristes proviennent des arsenaux de l’armée serbe; ils ont été introduits en Bosnie-Herzégovine par la Main Noire, qui s’est aussi chargée de l’entraînement de Gavrilo Princip et de ses deux camarades(2). Le 28 juin donc, François-Ferdinand est assassiné avec son épouse. 35 jours plus tard, conséquence directe du double meurtre, la Première Guerre mondiale éclate.

Cet attentat sera le dernier “exploit” de la Main Noire, que le prince-régent Alexandre Karageorgévitch(3)   commence à trouver encombrante. En décembre 1916, alors que l’armée serbe, repliée, combat en Macédoine, les principaux dirigeants et cadres de la Main Noire, dont “Apis”, sont arrêtés. Convaincus de “tractations avec l’ennemi” et de “tentative d’assassinat du prince-régent” lors d’un procès expéditif, “Apis” et deux autres dirigeants de la société secrète sont passés par les armes à Salonique le 26 juin 1917. 200 officiers de la Main Noire sont envoyés dans un bagne de Tunisie. Alexandre Ier suscite par la suite une “Main Blanche” qui lui est toute dévouée. En 1953, à la demande de Tito, la cour suprême de Serbie casse le jugement de 1917 : “Apis” et ses compagnons de la Main Noire sont réhabilités.
A l’automne de 1991, les relations se gâtent brutalement entre la Serbie et une Allemagne considérée à Belgrade comme un “IVème Reich” inconditionnellement pro-croate. En novembre, la police fédérale, le BKA, publie une note d’alerte selon laquelle deux irréguliers Serbes, des “Tchetniks”, se seraient infiltrés en Allemagne pour tenter d’y assassiner des personnalités pro-croates comme Hans-Dietrich Genscher, alors ministre des Affaires étrangères, Otto Lambsdorff, président du parti libéral et Otto de Habsbourg. Cette note ajoute que des attentats sont désormais possibles contre des bâtiments diplomatiques allemands et autrichiens. Mais à ce jour, aucun élément concret n’a permis de vérifier le sérieux de cet avertissement.
A partir du mois d'août 1992, des personnalités serbes menacent de plus en plus ouvertement les puissances occidentales de recours au terrorisme nucléaire. Le 8 août, Aleksa Buha “ministre des Affaires étrangères de la République serbe de Bosnie-Herzégovine” menace d'en-voyer des “commandos suicides” contre les centrales nucléaires européennes, aux cas où les occidentaux interviendraient en Bosnie-Herzégovine. Le 12 août un journaliste serbe signe une tribune libre dans le Quotidien de Paris, où l'on peut lire : “En cas d'une guerre totale livrée aux Serbes, non seulement des fusées et des kamikazes pourraient atteindre la Hongrie, l'Autriche, l'Allemagne, principales coupables de la tragédie yougoslave mais encore tout, absolument tout (y - compris des usines chimiques et des centrales nucléaires dont au moins deux, Krsko en Slovénie et Kozlodaj en Bulgarie se trouvent dans la région) pourrait être touché par le conflit. Verrait-on alors s'allumer, par accident, plusieurs Tchernobyl sur le continent, frappant du sceau de la malédiction nucléaire l'avenir de la planète ?”. Le 27 août, le président de la République serbe de Bosnie, Radovan Karadzitch, brode encore sur le même thème : “Il est possible que les patriotes serbes attaquent par exemple les centrales nucléaires en Europe occidentale... Je lance un avertissement : si les Serbes font l'objet de pressions, la situation deviendra incontrôlable...”

(1) Voir p..41 l’immense importance symbolique de cette date pour les Serbes.
(2) Princip meurt de tuberculose, en avril 1918, dans une prison austro-hongroise.
(3) Né en 1888, prince régent de 1914 à 1921, Alexandre règne jusqu’à son assassinat par l’Oustacha et l’ORIM en 1934.

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