Pas de solution miracle
Un tableau global dans l'ensemble peu réjouissant. Surtout si
l'on constate le peu d'efficacité des opérations militaires
style "coup de poing" sur les zones qui servent au trafic de stupéfiants
et au blanchiment des profits. En décembre 1989, l'opération
"Just Cause" avait pour but explicite de mettre hors d'état de nuire
Noriega, tyranneau local censé être le parrain de la drogue
numéro un du Panama. Résultat décevant : la coedine
continue à couler à flots dans ce pays, davantage, selon
nombre d'observateurs, que du temps de Noriega(1), Le système bancaire
panaméen, toujours aussi opaque, autorise comme par le passé
de juteuses opérations de blanchiment. En septembre 1991 encore,
six dirigeants de la "Bank of Credit and Commerce International" (B.C.C.1.)
dont le président en exercice, Swaleh Naqvi, ont été
inculpés par une cour américaine en compagnie de Garardo
Moncada, un des dirigeants du cartel de Medellin, pour des opérations
de blanchiment portant sur plus de trente millions de dollars entre 1983
et 1989. Ces inculpations marquaient la fin d'une longue et complexe opération
d'infiltration et de surveillance conduite par les douanes américaines
appuyées par le F.B.I., la D.E.A., le fisc, etc., pendant plus de
trois ans aux Etats-Unis, en France, en Grande-Bretagne, en Suisse, au
Luxembourg, en Uruguay, aux Bahamas et, bien entendu, à Panama.
Dans ce pays, les petits aéroports privés servant au trafic
se comptent par dizaines et une noria incessante de bateaux relie la Colombie
à une côte panaméenne faite tout exprès pour
les contrebandiers : longue de plus de 2 000 kilomètres, elle est
bordée par la jungle, festonnée de criques et proche dune
poussière de 1500 îles et îlots.
La géographie s'ajoutant à tout ce qui a été
évoqué ci-dessus, il va falloir décidément
abandonner l'idée que l'affaire peut se résoudre d'un coup
de baguette magique - ou grâce à une opération coup
de poing - et réaliser qu'elle constitue une menace nouvelle, complexe
et immense, (lui n'est pas à la veille d'être maîtrisée.
Car la prise de conscience s'amorce a peine. Elle sera douloureuse
: penser globalement le zones grises impose une profonde remise en question
intellectuelle. Du haut en bas des appareils de renseignement et de répression,
il va falloir abandonner le confort de ses habitudes mentales, le terrain
solide de concepts stratégiques bien balisés et tenter de
penser l'inconnu, l'anomique.
Premier dogme à être déboulonné, : celui
qui veut que les "droit commun" - gangsters, trafiquants - relèvent
(le catégories différentes des "politiques" - guérilleros,
terroristes. Où ranger, en effet, un combattant du Sentier lumineux
montant la garde devant une cargaison de coedine, dans une vallée
de la cordillère andine ? Conséquence : des frontières
tracées et respectées à grand-peine entre missions
et territoires affectés à divers services seront, au minimum,
malmenées.
Ce péril nouveau, nombre d'officiels occidentaux le minimisent
ou même en nient purement et simplement la réalité.
Là encore, le phénomène est classique : en 19811982,
les mêmes - ou leurs prédécesseurs -prenaient Action
directe pour une simple équipe de "gangsters sociaux" et rejetaient
le concept d'organisation communiste combattante à motivation idéologique
primordiale. Il a fallu le meurtre de l'ingénieur-général
Audran pour que leurs yeux se dessillent. En 1985-1986, ce fut un identique
rejet de la dimension culturelle et communautaire des terrorismes proche-orientaux.
Les enquêtes, puis les procès qui suivirent les attentats
de septembre 1986 à Paris, permirent pourtant de constater que ces
dimensions étaient essentielles.
Aujourd'hui une nouvelle bataille commence donc pour révéler
- au sens chimique -les "zones grises". A ce stade précoce de la
bataille, exposer le concept, le faire connaître, est essentiel.
Même si c'est encore insuffisant pour rendre compte de l'ampleur,
de la complexité du phénomène. Et de son aggravation:
ces derniers mois, la surveillance aérienne du sud de la Colombie
a permis de détecter que dans les provinces de Huila, Cauca et Narino,
plus de deux mille hectares de terre étaient désormais plantés
de pavot. Lapolice colombienne n'a pu que confirmer : les cartels de Cab
et de Medellin sont en train de s'immiscer dans le marché de l'hér6ine,
plus rentable encore que celui de la cocaïne, et, à l'automne
de 1991, on signale l'arrivée sur le marché américain
des premières livraisons d'héroïne raffinée colombienne.
(1) Selon un témoin clé du procès Noriega,
entre 1981 et 1984, plus de 2 milliards de dollars ont été
blanchis à Panama. Plusieurs courriers arrivaient par jour par avion,
à Panama, en provenance des Etats-Unis, porteurs de 500 000 à
800 000 dollars chacun. A partir de 1982, en plus, des avions d'affaires
amenaient chacun, toutes les semaines, de 10 à 15 millions de dollars
en billets de banque. Selon Interpol, c'est 100 milliards de dollars pro-venant
du trafic des narcotiques, qui seraient «blanchis» chaque année.
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