Objectif : le monde
 
Au premier rang d'entre eux : les ÉtatsUnis. (cf. "Une zone grise urbaine..." p. 13). Face à une situation à ce point dramatique, l'Europe, bien sûr, fait l'effet d'un paradis. Mais un paradis où les signes inquiétants se multiplient quand même : en 1986, pour les vingt nations européennes adhérentes à Interpol, on relève la saisie de 1,5 tonne de cocaïne; en 1990, on en est à presque 13 tonnes. Au cours du premier trimestre de cette année-là, policiers et douaniers ont saisi autant de cocaïne qu'au cours de la décennie précédente ! Il est clair que les cartels ont décidé de conquérir ce qui sera, d'ici deux ans, le fabuleux marché unifié de 350 millions d'Européens. Déjà, les experts estiment que 40 % de la production latinoaméricaine de cocaïne s'achemine aujourd'hui vers l'Europe, contre 10 % en moyenne il y a trois ans. Et comme 10 % en moyenne des cargaisons sont interceptés, ce sont déjà plus de 130 tonnes de coke qui ont circulé en Europe l'an passé .(1)
 
L'avenir n'est pas plus réjouissant en Asie. Depuis l'an dernier, la Chine, rompant avec une longue tradition de mensonges en la matière -la toxicomanie, "vice bourgeois"-, reconnaît qu'elle a un "grave problème de drogue". Au point qu'elle a créé depuis novembre 1990 une Commission nationale de lutte antinarcotique et que le secrétaire général du PCC, Jiang Zemin, a fait de cette lutte "une affaire de vie ou de mort". Il n'a pu que constater l'ampleur des dégâts : le Triangle d'or du nord de la Thaïlande et de la Birmanie a désormais constitué les provinces du sud de la Chine en une vaste base arrière qu'il inonde d'opium et d'héroïne(2). Ironie du sort -et manifestation probable de la justice immanente-, le principal acteur du trafic régional n'est autre qu'un groupe de dirigeants de l'ex-parti communiste de Birmanie, naguère ardemment maoïste, désormais reconverti dans le narco-business. Selon les aveux piteux du chef de la Sécurité chinoise, Qiao Shi, ces trafiquants sont d'autant plus à l'aise sur le territoire chinois qu'ils y ont noué jadis, à leur grande époque militante, des relations fort utiles...
 
Le Japon lui-même, longtemps épargné par la toxicomanie de masse, constitue un nouveau marché-test pour les cartels de la cocaïne. L'an dernier, 70 kilos de coke - une quantité significative - y ont été saisis à bord de cargos en provenance d'Amérique latine et 22 trafiquants y ont été arrêtés. La police japonaise dispose d'éléments qui lui font craindre une profitable alliance entre cartels colombiens et la mafia locale, les Yakusa.
 
Autres signes de la mondialisation du problème : l'entrée de l'Afrique et de l'Europe de l'Est dans la catégorie des zones de trafic intense.
 
- L'Afrique constitue un rêve pour les trafiquants de tout poil: situation idéale entre producteurs d'Amérique latine et d'Asie d'un côté et consommateurs d'Europe de l'autre; façades maritimes immenses et non surveillées; corruption endémique des gouvernements et des administrations; mégalopoles (Lagos au Nigeria, par exemple) où les Occidentaux - à l'exception des trafiquants, escortés et armes - ne peuvent plus circuler sans risque: un vrai paradis. Sans oublier les "fourmis" acceptant pour quelques dollars de convoyer des stupéfiants où que ce soit sur la planète. Résultat: il y a aujourd'hui, de par le monde, plus de 6 000 Africains - dont 2 000 Nigérians -emprisonnés pour trafic de narcotiques. La fraternité du narco-trafic révèle d'étranges cohabitations : des marabouts - assurés de l'impunité en tant que religieux - y côtoient des anciens des Brigades rouges réfugiés au Kenya, des mafiosi italiens et des truands français. L'Afrique est également précieuse pour les opérations de blanchiment: dans la zone franc notamment, les achats et les reventes de biens immobiliers (hôtels, immeubles, garages) et de commerces importants - secteurs où la diaspora libanaise est très présente - permettent d'alimenter "honnêtement" des comptes en banque en Europe, notamment en Suisse et au Luxembourg.
 
- En mai dernier, s'est tenue à Oslo la première conférence paneuropéenne sur la toxicomanie, en présence - grande première -de la Hongrie, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie. Les délégués de ces pays y ont poussé un cri d'alarme : selon eux, en effet, la consommation locale de narcotiques n'est freinée que par la pénurie de devises fortes; la production locale d'amphétamines bricolées dans des laboratoires improvisés a, en revanche, déjà commencé et "tourne" très fort. Ces délégués ont aussi évoqué une filière dont l'origine se situe au Pakistan et en Afghanistan et débouche en Scandinavie et en Europe occidentale, via les Républiques musulmanes d'U.R.S.S., la Russie puis la Finlande. Et la répression ? Elle est des plus difficiles : comment surveiller les communications et les flux financiers des trafiquants - base élémentaire de la répression - dans des pays où le téléphone et le compte bancaire sont encore des raretés ? En tout cas, les structures du trafic à l'est de l'Europe sont activement préparées par les narco-trafiquants de divers continents. Depuis la Yougoslavie, la Turquie, l'Afrique, de petits ruisseaux financiers viennent alimenter des sociétés d'investissements sous leur contrôle. Placées principalement sur les marchés financiers de Londres et de Milan, ces sociétés-écrans investissent massivement dans les entreprises "soldées" ou bradées en Europe de l'Est. Selon un rapport récent des services de renseignements allemands, les narco-trafiquants ont ainsi acheté "des pans entiers" de l'industrie textile (le l'ex-D.D.R. Objet, également, de leur convoitise, des entreprises (le transport, (le tourisme, des usines chimiques; sans oublier les médias et le show-business.
 
 

(1) Désormais, un important trafic d'héroïne ali-mente les guerres civiles yougoslaves : en octobre 1991, des islamistes du Kosovo ont été arrêtés en Suisse, où ils achetaient des armes avec l'argent de la drogue. Venue de Turquie, l'héroïne arrivait au Kosovo via la Bulgarie. Le réseau rayonnait sur la France, l’Autriche, l'Allemagne, l’Italie et la Tchécoslovaquie.
(2)  Il y aurait plus de 100 000 toxicomanes «ac-crochés» dans la seule province du Yunnan.

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