Autre problème
grave: la corruption.
Dans les Etats jouxtant les "zones grises", les narco-trafiquants jouent
massivement, en effet, sur la volonté d'enrichissement rapide des
administrations et des gouvernements. Le cas du Mexique, seule voie d'accès
terrestre aux Etats-Unis et, à ce titre, précieuse pour les
trafiquants, est éclairant. Dans ce pays, les diverses instances
de renseignement et de répression civiles et militaires, Direction
fédérale de la Sécurité, Police judiciaire
fédérale, Division d'enquête pour la prévention
de la délinquance, ministère de la Défense, même,
- ont toutes été convaincues, dans un passe récent,
de corruption. Des hauts dirigeants de ces services touchaient des pots-de-vin
(des généraux fermant les yeux sur les plantations de marijuana
ont, en 1984, reçu dix millions de dollars du cartel de Guadalajara)
et assuraient, en outre, la protection des "narcos"; ils participaient
même au capital et aux investissements des sociétés
illégales assurant la production et l'exportation de la drogue !
Un "Etat socialiste" comme Cuba n'a pas été épargné
par ce processus de corruption généralisé : le 13
juillet 1989, le général de division Arnaldo Ochoa était
fusillé avec trois autres officiers cubains pour "trafic de drogue".
Une opération destinée à couvrir toute une série
d'opérations triangulaires entre le régime cubain, le cartel
de Medellin et les guérillas révolutionnaires d'Amérique
du Sud, dans lesquelles l'aviation militaire, les gardes-frontières
et les services de l'immigration de Cuba étaient "mouillés".
Stade final de situations de ce type : des contre-pouvoirs clandestins,
de type terroriste ou mafieux, largement implantés dans les administrations
et le pouvoir politique.
Conséquence : les pays subissant l'importation massive de stupéfiants
sur leur territoire connaissent d'énormes difficultés pour
recueillir des renseignements sur les trafics issus des "zones grises"
et à y organiser la riposte. Car on sait fort peu de choses sur
ce qui se passe sur ces nouvelles terres inconnues, même dans des
domaines cruciaux comme celui de la production de drogue. En Bolivie, par
exemple, second producteur de coca d'Amérique latine, l'estimation
des surfaces plantées varie, selon les sources américaines
et boliviennes, entre 40 et 100 000 hectares; pour la totalité de
la "zone grise" latino-américaine, l'estimation des cultures de
coca va de 155 à 315 000 hectares; la récolte des feuilles
de coca oscille entre 260 et 530 000 tonnes. Combien de cocaïne exporte
la Colombie ? Entre 750 et 1700 tonnes par an. Combien en importent les
Etats-Unis ? Entre 450 et 1200 tonnes. Bref : on ne sait virtuellement
rien avec certitude. Sauf ceci: selon Le "Monde diplomatique" (octobre
1991), dans la région de San-Martin, l'une des principales zones
productrices de coca du Pérou, les aires de cultures alternatives
(mais, riz, cacao) ont diminué de 93 % entre 88 (101000 hectares)
et 90 (6 730 hectares).
Agir, dans ces conditions ? C'est devoir, le plus souvent, frapper
à l'aveuglette en s'appuyant sur des autorités locales largement
corrompues. A la décharge de celles-ci, d'ailleurs, la sinistre
"équation des deux métaux" que leur soumettent les trafiquants
: plata o plomo, "de l'argent ou du plomb"... Résultat: en octobre
1991, dans la province pakistanaise du Baloutchistan, non loin de la frontière
afghane, en pleine "zone grise" d'Asie centrale, une cargaison de 3,3 tonnes
d'héroïne pure et de 39 tonnes de haschisch est saisie par
l'armée des frontières après une bataille de deux
jours à l'arme lourde. Une précédente affaire, en
novembre 1990, impliquait un puissant clan régional: la totalité
de la brigade des stupéfiants de Quetta, la capitale provinciale,
s'était alors empressée de prendre un trimestre de congé
spécial... Le même mois, au Pérou, l'administration
américaine chargée de la lutte contre la drogue, la D.E.A.,
effectue un raid de grande envergure contre un fief des barons de la cocaïne
: échec. Les "stups" américains apprendront peu après
qu'avant le raid, les narco-trafiquants ont eu une instructive réunion
de travail avec des officiers supérieurs de l'armée péruvienne,
généreusement rétribués pour leur "protection"...
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