Les organisations marxiste-léninistes armées de Turquie ne ressemblent que superficiellement à celles qui opèrent en Europe (Brigades rouges, etc.) Première différence : leur taille. Les OCC turques comptent fréquemment plusieurs milliers de militants - plus de 5000, sans doute, pour Dev. Sol - là où les européennes ne dépassent qu’exceptionnellement la cinquantaine (les Brigades rouges, à leur apogée, ont du compter ± 700 militants); quand il ne s’agit pas d’une poignée d’individus (les cellules communistes combattantes : 4).
Mais la différence essentielle réside dans la nature même de ces mouvements : les OCC européennes sont une agrégation d’individus, d’horizons, d’origines et de milieux divers, venus à la lutte armée pour des raisons strictement idéologiques. Ils ont adhéré un à un au projet communiste combattant, comme ils auraient pris leur carte au RPR ou au Parti socialiste.
En Turquie, au contraire, la rhétorique marxiste-léniniste armée sert uniquement de vitrine et de masque à des réalités ethniques et religieuses sous-jacentes, extraordinairement difficiles à déceler, les diverses parties en cause mettant toutes le même soin à les occulter :
Pendant des siècles, l’empire Ottoman a considéré les Alevi comme les missionnaires du chi’isme au coeur du Califat sunnite, voire comme la 5° colonne de l’empire perse Safavide, chi’ite, et les a durement persécutés.
Des communautés le plus souvent montagnardes, de sédentarisation toute fraîche, tenus historiquement pour des citoyens de seconde classe et possédant une tradition séculaire de résistance à l’Etat; venus par centaines de milliers s’agglutiner dans les banlieues des grandes villes à partir des années 50; possédant une fécondité impressionnante : dès le début des années 60, toute une jeunesse kurde ou Alévie s’enthousiasme pour les idées révolutionnaires; pour le maoïsme notamment, où les jeunes chi’ites retrouvent en bonne part la thématique familière des déshérités à qui l’avenir est promis. Même si l’évocation des origines ethniques ou religieuses des militants révolutionnaire est en Turquie un tabou majeur, on peut estimer que 70 à 80 % des communistes combattants turcs sont Kurdes ou Alevis, ou même -dans une proportion beaucoup plus faible- arméniens.
Et c’est ainsi que les affrontements meurtriers de Kahramanmaras en décembre 1978 -111 morts, la ville ravagée- présentés à l’époque comme opposant des “gauchistes” à des “éléments d’extrême-droite”, mettent en réalité aux prises des Alévi de sensibilité révolutionnaire et des sunnites conservateurs. Mêmes constatations dans l’affaire de Fatsa, une petite ville des rivages de la Mer Noire, au coeur d’une région où les alévi sont nombreux. Dès le début des années 70, Fatsa est un bastion gauchiste et, à la fin de cette décennie, Dev. Yol la qualifie de “zone rouge libérée”, dirigée par un “soviet”.
En juillet 80, l’armée turque encercle la ville et n’arrive à
la reprendre à la milice rouge locale qu’au prix d’une vraie bataille,
à l’arme lourde, qui fait plus de cent morts. Fuyant la ville, les
communistes armés rejoignent les montagnes où ils tiennent
le maquis jusqu’à ce que l’aviation turque les en déloge,
plusieurs mois plus tard.