ATTENTATS, ENQUETES, PROCES

1 - La Banque de l’Agriculture, piazza Fontana à Milan

Le 12 décembre 1969, une bombe de forte puissance explose dans la succursale de la piazza Fontana de la Banca dell’Agricoltura, à Milan : 17 morts, 88 blessés. L’enquête s’oriente d’abord vers les milieux anarchistes : Pietro Valpreda et Guiseppe Pinelli, deux militants libertaires, sont bient»t arrêtés et inculpés. Durant un interrogatoire, Pinelli “se jette par la fenêtre” de la préfecture de police et meurt.

Ce premier attentat grave dans l’Italie post-mussolinienne va permettre à certains magistrats, relayés par la presse de lancer une hypothèse qui connaît rapidement un considérable succès public : celle d’une “Stratégie de la tension” à l’oeuvre dans le pays. Selon cette hypothèse, au moment même où la gauche, parti communiste en tête, est en forte progression en Italie, il s’agirait, grâce à des attentats-massacre jamais revendiqués, de créer un climat de violence et de peur. Résultat : l’instauration d’un gouvernement de la droite dure, doté d’un programme de type “loi et ordre”; ou même un coup d’Etat militaire.

De fait, le juge Vittorio Occorsio abandonne peu à peu la piste anarchiste dans l’affaire de la Banque de l’Agriculture et dès 1970 oriente ouvertement son enquête vers les milieux néo-fascistes. Le 10 juillet 1976, ce juge qui s’était spécialisé dans le terrorisme néo-fasciste, est assassiné par Pier-Luigi Concutelli, un militant d’Ordine Nuovo, ce qui donne a posteriori un certain poids à cette théorie.

Le premier procès se déroule en février 1979 au tribunal de Catanzaro. Dans le box des inculpés, trois néo-fasciste :

Ils sont condamnés en première instance à la prison à perpétuité, pour le massacre.

En mars 1981, procès en appel, toujours à Catanzaro. Freda, Giannettini et Ventura sont acquittés, en ce qui concerne l’attentat, pour “manque de preuves”. Freda et Ventura sont cependant condamnés à 15 ans de prison pour “association subversive”. L’anarchiste Pietro Valpreda est également acquitté pour “insuffisance de preuves”. Le tout après 12 ans d’enquête et 92 heures de délibération.

En 1984, nouveau procès en appel, cette fois au tribunal de Bari : Freda, Giannettini et Ventura bénéficient d’un non-lieu.

En juin 1986, Stefano Delle Chiaie et l’un de ses complices sont à leur tour inculpés de “responsabilité directe” dans l’attentat de la piazza Fontana par le parquet de Catanzaro.

En 1987, nouveau procès à Bari et re-acquittement de Freda, Giannettini et Ventura.

En février 1989, la cour d’appel de Palerme acquitte, “faute de preuve” Delle Chiaie et son complice.

On en est, cette année-là, à 9 procès émaillant 20 ans d’enquête. Sans qu’on perçoive l’ombre d’une réponse concrète aux trois simples questions suivantes : qui a ordonné le massacre ? Qui l’a réalisé ? Et pourquoi ?

2 - La manifestation syndicale de la piazza della Loggia à Brescia

Le 28 mai 1974, une bombe cachée dans une poubelle explose sur la piazza della Loggia à Brescia, au moment où s’y déroule une manifestation syndicale : 9 morts, 100 blessés.

En première instance, trois militants néo-fascistes, Cesare Ferri, Giorgio Catini et Alessandro Stephanoff sont condamnés à de lourdes peines de prison pour leur participation à l’attentat. En mars 1989, au bout de sept procès et de quinze ans d’enquête, la cour d’assise de Milan après celle de Brescia, acquitte une ènième fois, lors d’un -dernier ?- procès en appel, Ferri, Catini et Stephanoff, précisant que “leur culpabilité est exclue dans l’exécution de l’attentat”.

Là encore, qui a commandité et réalisé l’attentat, et pourquoi ? Mystère.

3 - Les attentats ferroviaires

Entre 1974 et 1984, il y a douze tentatives d’attentats à l’explosif sur un tronçon ferroviaire de ±100 kilomètres, traversant les Appennins entre les villes d’Arezzo et de Bologne, sur la voie Florence-Bologne. Les trois tentatives réussies, des massacres de passagers innocents dans des trains ou des gares, ont fait 115 morts et plus de 300 blessés.

A) Le train “Italicus” Rome-Munich

Le 4 août 1974 une bombe explose à bord du train “Italicus” qui relie Rome à Munich. Le train passe à ce moment par San Benedetto - Val di Sambro, dans la banlieue de Bologne : 12 morts, 44 blessés.

L’enquête et l’instruction sur l’attentat de l’Italicus durent 7 ans. Le procès commence en novembre 1981. Sont jugés les néo-fascistes toscans Mario Tutti, Luciano Franci, Piero Malentacchi et Florentino Castiglion. Ils auraient agi, en liaison avec la loge maçonnique subversive “P.2”, (voir complots, P...) dans le cadre de la “stratégie de la tension”.

Le procès dure jusqu’au 20 juillet 1983; plus de 700 témoins sont entendus. Résultat : beaucoup de construction hypothétiques et bien peu de preuves. Non-lieu général. L’affaire est re-jugée et le 4 avril 1991, la cour d’assise de Bologne acquitte encore une fois, en appel Tutti et Franci.

B) La gare de Bologne

Le 2 août 1980, jour de grands départs, des milliers de vacanciers se pressent dans la gare de Bologne, lorsqu’à 10h 25 du matin, une bombe de forte puissance explose dans la salle d’attente des 2° classe. Un engin de 25 kilos, à la composition chimique assez sophistiquée (nitroglycérine, nitrate d’ammonium, sulfate de Baryum, dynamite, T.4) qui produit un carnage : 85 morts (beaucoup d’italiens, quelques allemands, un japonais, une française) et 200 blessés. L’Italie, horrifiée exige de l’Etat et de la Justice une réponse foudroyante. Et effectivement, 28 militants et cadres des Noyaux armés révolutionnaires (NAR, voir p...) -dont Paolo Signorelli (voir portrait, p...)- sont arrêtés et inculpés en un temps record : 27 jours après l’attentat.

La justice va-t-elle passer? Non : car, comme à l’habitude, l’enquête et l’instruction s’enlisent. Premier procès en 1984 : tous les inculpés sont relaxés. Le Conseil
supérieur de la magistrature prend alors la décision -rare- de changer l’équipe de magistrats chargés de l’instruction. L’affaire redémarre à zéro.

Le 14 juin 1986, 19 militants et cadres néo-fascistes (des NAR, principalement) sont inculpés. Le procès commence à Bologne le 19 janvier 1987, au gymnase de la prison de la ville. 20 accusés, un dossier d’instruction de 150 000 pages. Au centre de l’acte d’accusation, la loge maçonnique subversive P.2, centre de pouvoir occulte accusé d’avoir voulu ressusciter la “stratégie de la tension”. (voir “complots”, p...). Extrait de l’acte d’accusation : “Un pouvoir invisible, lié à la criminalité organisée, au terrorisme, à certains milieux politico-militaires, à certains secteurs des services secrets et à des franges de la Maçonnerie, qui a eu une incroyable
capacité de contr»le sur les institutions, jusqu’à devenir un Etat dans l’Etat”.

Au banc des accusés, 20 inculpés : des terroristes néo-fascistes, des mafieux napolitains ou siciliens, d’anciens responsables des SR militaires. Selon l’acte d’accusation, ils ont été couverts par le Grand-maître vénérable de la Loge P.2, Licio Gelli, en fuite, le Général Pietro Musumeci, du SISMI (SR militaire), Francesco Pazienza, Grand-maître adjoint de la P.2. Leur inspirateur dans le mouvement néo-fasciste était Paolo Signorelli (voir “portraits”, p...). Massimiliano Facchini, était l’artificier et les exécutants, deux militants connus des NAR : Valerio Fioravanti, un acteur connu du cinéma publicitaire, et Francesca Mambro, sa compagne; 22 et 20 ans au moment du massacre.

L’accusation repose essentiellement sur les dires de deux néo-fascistes repentis, Aldo Tisei et Paolo Leandri. Ces déclarations mises à part, beaucoup d’indices, peu de preuves. Tous les inculpés, sans exception, nient avoir été mêlés à l’affaire.

En juillet 1988 après 17 mois de procès, 205 audiences et 18 jours de délibération, Massimiliano Facchini (pour avoir préparé la bombe); Sergio Picciafuoco, Valerio Fioravanti et Francesca Mambro (organisateurs matériels du massacre) sont condamnés à la détention criminelle à perpétuité. Paolo Signorelli est condamné à 12 ans de prison (constitution de bande armée); le Général Musumeci et son adjoint le colonel Belmonte, tous trois de la Loge P.2 sont condamnés à 10 ans de prison “pour avoir brouillé les pistes” et Licio Gelli (en fuite) à 5 ans pour le même motif. Stefano Delle Chiaie est acquitté.

Après ce jugement en première instance, vient, en juillet 1990, le procès en appel. Après deux semaines de délibération, la cour d’appel de Bologne acquitte Facchini, Picciafuoco, Pazienza, Gelli, Fioravanti et Mambro pour “insuffisance de preuves”. Les deux derniers cités sont par ailleurs condamnés à 13 et 12 ans de détention pour “participation à bande armée”. Le Général Musumeci et le Colonel Giuseppe Belmonte, son adjoint, voient leur peine ramenée à 3 ans de prison pour un simple “faux témoignage”.

C) Le train 904 Naples-Milan

Le 23 décembre 1984, une bombe explose à bord du rapide 904 Naples-Milan, alors qu’il s’est engagé sous le tunnel de l’Appennino, long de 18 kilomètres.
L’attentat se produit presqu’au même endroit que celui qui a frappé l’”Italicus” dix ans auparavant, non loin de San Benedetto-Val di Sambro : 15 morts, 120 blessés.

En octobre 1985, l’enquête permet d’arrêter un ancien député du MSI, Massimo Abbatangelo. En avril de la même année, Giuseppe Misso, chef local de la Camorra dans le quartier de la Sanita, à Naples, avait déjà été arrêté dans le cadre de la même affaire. Les débris d’explosifs et de détonateurs retrouvés dans les débris du train étaient d’un type déjà employé auparavant par la Mafia et la Camorra. Misso aurait été chargé de l’attentat par un important “Capo” de la Mafia, Pippo Calo, qui remplit les fonctions de trésorier de l’organisation. Motif : A l’époque, la Mafia est durement touchée par les révélations d’un repenti de haut vol, Tommaso Buscetta, qui ont entraîné 500 arrestations. L’attentat, en détournant l’attention du public -donc de la police et de la justice- sur le terrorisme, permettait à la Mafia de souffler et de reconstituer son organisation. C’est le neveu de Giuseppe Misso, un jeune homme du nom de Carmine Lombardi, qui a déposé la bombe dans le train avant de descendre à l’arrêt de Florence. Le 5 mars 1985, Lombardi est assassiné sur l’ordre de Misso, qui est pourtant à la fois son oncle et son parrain. En juillet 1987, Pippo Calo et sept autres mafiosi sont inculpés pour l’attentat, en compagnie de Friedrich Schaudin, un allemand, préparateur de la bombe. Un premier procès voit Pippo Calo et un autre mafioso condamné à perpétuité pour l’attentat, mais le 5 mars 1991, la cour d’appel de Florence prononce un non-lieu contre les deux mafiosi.

Le 29 mars 1991, la cour d’assises de Florence condamne Massimo Abbatangelo à la réclusion criminelle à perpétuité pour attentat, terrorisme, port et détention d’explosifs. Le condamné devra également verser aux victimes 24 millions de francs de dommages et intérêts. Selon le procureur, Abbatangelo aurait remis les explosifs utilisés pour l’attentat à l’un de ses amis, militant néo-fasciste qui, à son tour, aurait sous-traité l’opération à des mafiosi siciliens. Pourquoi ? Mystère. Mais il s’agit là d’un jugement en première instance. Attendons donc sereinement les acquittements en appel...
 
 

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