URSS

Mars 1921: en Asie centrale, au Caucase, comme sur toute l'étendue de la jeune Union soviétique, l'avenir s'annonce radieux. Cette année-là, en effet, Joseph Staline déclare au congrès du Parti: "La formation des républiques soviétiques en Azerbaïdjan, en Arménie a abouti aux mêmes résultats (la "résolution de la question nationale"), supprimant les conflits nationaux et faisant disparaître la haine "séculaire" entre les masses travailleuses turques et arméniennes, arméniennes et azarbaïdjanaises. "

Six mois auparavant, à Bakou, lors du Congrès des peuples de l'Orient du Komintern, Grigori Zinoviev, président du comité exécutif de la 3e Internationale, avait appelé à "la guerre populaire, sainte et juste, contre les pillards et les oppresseurs". Mais, malgré l'ambiguïté voulue - guerre populaire, mais sainte - là comme ailleurs - là plus encore que partout ailleurs - le "nouvel homme soviétique" est resté une abstraction; il a obstinément refusé de s'incarner, malgré la fermeture quasi totale de ces 26 279 mosquées et 24 000 écoles coraniques (madaris) existant dès 1912. Et toute l'histoire de l'islam soviétique depuis octobre 1917 n'a été qu'une alternance de phases de résistance ouverte ou souterraine, de vagues répressives féroces ou de brimades au quotidien.

Pour les autorités de Moscou, y compris jusqu'au retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan, l'islam était "féodal", "réactionnaire", arriéré": un obscurantisme, un tissu de superstitions. Mais, malgré cette incompréhension totale et la volonté de domination du pouvoir communiste, la vie des populations musulmanes était plutôt moins misérable que celles du reste de l'Union.

Les choses changent à la fin des années 70: la Révolution islamique diIran, là aussi, fait sentir ses effets. Si les autorités soviétiques affectent la décontraction, l'inquiétude règne en réalité et des officiels de Moscou s'en ouvrent à l'allié indien, pays historiquement très sensible à la menace que représente l'Islam militant. Dès 1979, les émissions islamistes de radio et de télévision transmises en langue azérie depuis Tabriz, en Azerbaïdjan iranien, sont brouillées sur le territoire de l'URSS.

La guerre d'Afghanistan aidant, cela n'empêche pas la propagande islamiste - brochures, corans, cassettes audio et vidéo - de se déverser, année après année, sur les républiques musulmanes soviétiques. Jusqu'au jour où, en mars 1987, une voiture piégée explose dans le centre de la ville d'Achkhabad, capitale du Turkménistan. La nouvelle filtre malgré une censure sévère: il y a eu des morts. Et voilà le gouvernement de l'URSS confronté à un péril que les Occidentaux connaissent bien: la libanisation. Dans le cas présent, celle d'une partie du territoire de l'Union - sur laquelle vivent en outre plus de 11 millions de russes; 10 dans les 5 républiques d'Asie centrale, 1 au Caucase. Un péril d'autant plus grand qu'au cours de la décennie 1980 la situation économique des républiques musulmanes devient mauvaise, puis franchement désastreuse: alors que la moyenne du chômage pour toute l'Union soviétique est de 10,4% en 1984, elle est cette année-là de 18,8% au Tadjikistan; de 22,8% en Ouzbékistan; de 27,6% en Azerbaïdjan.

Deux ans plus tard tombe un chiffre encore plus terrible, celui de la mortalité infantile. De 19,3/ooo dans la république soviétique de Russie pour l'année 1986 - chiffre déjà élevé - elle bondit à 30,5 (pour 1 000, toujours) en Azerbaïdjan, 38,2 en Kirghizie, 46,2 en Ouzbékistan, 58,2 au Tadjikistan. La même année, la proportion de la population "au-dessous du niveau minimal de subsistance" - dans la misère noire, en termes clairs - est de 5 à 8% dans les républiques soviétiques d'Europe; de 33% en Azerbaïdjan et de 59% au Tadjikistan.

Depuis, au-delà même des émeutes (voir tableau, plus bas) divers signes montrent que la tension continue de monter, à bas bruit, dans les républiques musulmanes, au rythme de la renaissance de l'islam:

· La répression se fait toujours sentir; en 1989 encore, d'après des associations humanitaires, il y avait 25 prisonniers politiques musulmans, détenus en URSS en raison de leur activisme religieux. Une attitude d'autant plus mal supportée par les musulmans qu'en 1986 encore Gorbatchev continuait à qualifier l'Islam d'instrument créé pour opprimer les travailleurs et les peuples de l'Orient et passait un décret interdisant aux membres du PC de se rendre à la mosquée. Peu après - contraste qui n'a échappé à personne - il se répandait en amabilités devant l'Église orthodoxe de Russie, allant même jusqu'à présider certaines des cérémonies de son millénaire.

· Il y avait, en 1985,837 cas d'insoumission dans l'armée soviétique. Il y en eu plus de 6 000 en 1989, une majorité au Caucase.

· En juin 1990 s'est créé, au Kazakhstan (dans la ville d'Astrakhan) et au Dagkestan, un Parti de la renaissance de l'Islam, qui demande pour débuter la liberté d'édition, de déplacement dans l'Oumma et de pèlerinage.

LE PUZZLE ISLAMIQUE EN URSS

 
Nom Dénomination Ethnie Population Capitale Religion ou Secte Enclavé dans
ABKHAZIE République autonome 

8 600 km2

Caucasiens +/- 550 000 h. Sukhumi 

+/- 120 000 h

40% sunnites 

hanafites 

+/- 50% chré 

tiens ortho 

doxes

RSS de Géorgie
ADJARIE République autonome 

3 000 km2

Géorgiens 

musulmans

+/- 400 000 h. Batumi 

+/- 140 000 h.

Sunnites hanafites RSS de Géorgie
ADYGES Région autonome 

7 600 km2

Caucasiens +/- 440 000 h. Maikop 

+/- 150 000h.

Sunnites hanafites RSFS de Géorgie
BACHKIRIE République autonome 

143 60U km2

Turcs +/- 4 M. h. Oufa 

1 M. h.

Sunnites hanafites RSFS de Géorgie
DAGHESTAN République autonome 

50 300 km2

Caucasiens +/- 1,8 M. h. Makhatchkala 

+/- 320 000 h.

sunnites RSFS de Russie
GORNO BADAKHCHAN (Pamir) Région autonome 

63 700 km2

Persophones 

non-Tadjiks 

et Kirghiz

+/- 160 000 h. Khorog 

+/- 15.000 .

ismaéliens RSS du Tadjikistan
KABARDINOBALKARIE République autonome 

12 500 km2

Caucasiens 

Turcs

+/- 750 000 h. Naltchik 

+/- 240 000 h.

sunnites hana-  

fites

RSFS de Russie
KARAKALPAKIE 

 

République autonome 

165 600 km2

Turcs +/- 1,3 M. h. Nukus 

+/- 170 000 h.

sunnites hana-  

fites

Ouzbékistan
KARATCHALVOTCHERKESSIE Territoire autonome 

14 100 km2

Turcs 

Caucasiens

+/- 420 000 h. Tcherkessk 

+/- 115 000 h.

sunnites hanafites RSFS de Russie
NAKHITCHEVAN République autonome 

5 500 km2

Turcs +/- 300 000 h. Nakhitchevan 

+/- 40 000 h.

70% chi'ites 

30% sunnites

RSS d'Arménie
OSSETES/NORD République autonome 

800 km2

Caucasiens +/- 640 000 h. Ordjonikidze 

+/- 300 000 h.

50% Sunnites 

hanafites 

50% chrétiens 

orthodoxes

RSFS de Russie
OSSETES/SUD Région autonome 

3 900 km2

Caucasiens +/- 100 000 h. Tskhinvali 

+/- 35 000 h.

50% sunnites 

hanafites 

50% chrétiens 

orthodoxes

RSS de Géorgie
TATARIE 

 

République autonome 

68 000 km2

Turcs +/- 3,7 M. h. Kazan 

+/- 1 M. h.

sunnites hanafites RSFS de Russie
TCHETHENESINGOUCHES 

 

République autonome 

19 300 km2

Caucasiens +/- 1,3 M. h. Grozny 

+/- 400 000 h.

Sunnites hanafites RSFS de Russie
 
 

URSS: L'ISLAM OFFICIEL

L'Union soviétique abrite la 6e population musulmane au monde, après l'Indonésie, le Pakistan, l'Inde, le Bangladesh et la Turquie. Malgré cela, elle ne fait pas partie de l'Organisation de la conférence islamique.

D'après ses propres statistiques, l'Union soviétique comptait, en 1979, 44 millions de musulmans; 55, en 1987; 57,7 millions, d'après le recensement de 1989, soit 20% des 285 millions de Soviétiques. Des projections sérieuses permettent de prévoir plus de 70 millions de musulmans, peut-être 80 millions, dans l'URSS de l'an 2 000.

Ces peuples musulmans se répartissent de la façon suivante:

· Origine turque: Ouzbeks, Kazakhs, Azéris, Tatars, Turkmènes, Kirghiz: 86% du total des musulmans soviétiques, soit +/- 50 millions.
· Non-Turcs: (Tadjiks, Tchétchènes, Ossètes, etc.) : 14% du total, soit +/- 8 millions.

Ces musulmans dépendent de 5 grandes directions spirituelles:

· Bureau de l'Asie centrale (Ouzbékistan, Tadjikistan) siège à Tachkent, Ouzbékistan, créé en 1943. Son mufti est Mohamed Sadegh Ibn Mohamed Youssouf (sunnite), également député du Congrès du peuple de l'URSS. La version russifiée de son nom est Mamayusupov.
· Bureau du Kazakhstan, siège à Alma-Ata (sunnite).
· Bureau du Nord-Caucase, siège à Makhachkala, Daghestan (sunnite).
· Bureau d'Europe et de Sibérie, siège à Oufa, Bachkirie, créé en 1943 (sunnite).
· Bureau de Transcaucasie, siège à Bakou, Azerbaïdjan, créé en 1943. Son imam est le cheikh ul-Islam Allahshukur Pachazadeh (chi'ite).

Au total, en 1989, ces bureaux avaient la haute main sur 1 900 uléma (officiels), 1 400 mosquées (légales) et deux madrasa (légales également) comptant 140 étudiants, d'où sortent chaque année une vingtaine d'uléma.

En 1988, 30 musulmans vivant en Union soviétique ont été autorisés à participer au pèlerinage de La Mecque, dont 17 futurs uléma bulgares, étudiants à la madrasa de Tachkent. En 1988 également, les muezzins de plusieurs républiques musulmanes, notamment l'Azerbaïdjan, ont été autorisés à appeler publiquement à la prière depuis le minaret de leur mosquée. En 1990, 1 525 soviétiques ont pu participer au Hajj. A Samarkand, à l'été de 1990, il y a désormais 24 mosquées ouvertes et 1 madrasa en exercice. Entre janvier et juillet 1990, 27 mosquées ont été ouvertes au Kazakhstan.

LES TARIQAS SOUFIES

En mai 1987, la Literatournaïa Gazeta remarque que "des groupes militants clandestins souris se sont répandus dans les 5 républiques d'Asie centrale, dans certaines parties du Caucase, dans les républiques autonomes de Bachkirie et de Tatarie et jusqu'en Russie même".

Les autorités soviétiques éprouvent de longue date une véritable phobie envers les souris. il faut dire que les capacités de ces derniers pour la clandestinité ont de quoi alarmer le KGB, même new-look: la plupart des chaînes d'initiations souries (silsilah), se sont perpétrées sans interruption depuis 1917, malgré les vagues répressives les plus féroces.

De toutes les Tariqas implantées en Union soviétiques, la plus importante est sans doute la Naqshbandiyya. Fondée vers 1350, elle porte le nom d'un saint homme, Mohamed Ibn Mohamed Baha'uddin Naqshband (1317-1389), dont le tombeau, fort vénéré, se trouve dans les faubourgs de Boukhara, en Ouzbékistan. Dès le XVe siècle, la tariqa Naqshbandie est implantée en Turquie; au XVIe, en Inde. Au XIXe siècle, elle est le moteur de la résistance à l'occupation du Caucase et de l'Asie centrale par la Russie impériale. Elle s'est répandue dans toute les républiques musulmanes soviétiques, jusqu'en Russie et en Sibérie, du fait - ironie du sort - de la déportation de peuples musulmans entiers par Staline en 1944.

La seconde tariqa par ordre d'importance est, semble-t-il, la Qadiriyya. Historiquement la première grande confrérie soufie, elle est fondée à Bagdad vers 1 150 par l'un des plus grands saints de l'Islam, Abdelqader al-Gilani (mort en 1 166). Elle est très implantée au Daghestan et dans les populations sunnites d'Azerbaïdjan. Il existe encore d'autres Tariqas, notamment la khalwatiyya (Turkménistan) et la Yasawiya (Ouzbékistan, Kirghizie, Kazakhstan).

LES VOISINS ISLAMIQUES A PROBLEMES

L'Afghanistan

En décembre 1979, les soldats de l'armée soviétique partant "libérer leurs frères afghans du joug de la CIA" étaient pour la plupart turkmènes, tadjiks ou ouzbeks. Volonté délibérée de l'état-major soviétique ? Non, ces régiments étaient en garnison dans les districts militaires les plus proches de l'Afghanistan et ont été utilisés suivant la doctrine soviétique en vigueur. Mais le choc de la réalité l'URSS ne libérait personne, elle envahissait un pays musulman - a été tel que ces unités ont été rapidement remplacées, certaines dès le premier trimestre de 1980. Le mal était fait. Au fur et à mesure qu'ils repartaient d'Afghanistan, les soldats musulmans soviétiques emportaient des corans, des cassettes, des brochures de propagande islamique. Revenus au pays, ils ouvraient les yeux de leurs parents, de leurs amis: la lutte était engagée entre l'Islam et les forces de l'infidélité; on allait bien voir qui allait gagner.

Et, en 1987, l'impensable se produit: dans la région de Kulob et de Qurghonteppa, au Tadjikistan, des unités de la résistance afghane franchissent la "frontière" et portent - symboliquement - la guerre sur le sol de l'URSS: 2 attaques en mars et avril contre des bâtiments officiels. En février 1989, quand le dernier blindé refranchit sans gloire la frontière soviétique, la cause est entendue: le communisme n'est pas invincible et des musulmans, armés de leur seule foi, peuvent le repousser, le vaincre. Depuis, le flot de propagande islamique en provenance d'Afghanistan n'a fait que croître en URSS. En janvier 1990, au moment de la répression du soulèvement de Bakou, tous les partis de la résistance afghane condamnent, depuis Peshawar, l'intervention des troupes soviétiques. Ils apportent leur soutien total à "leurs frères azéris, martyrs innocents de la lutte de libération des musulmans". Juste retour des choses. Car, au début de leur jihad, de nombreux chefs de la résistance afghane, des Tadjiks comme Ahmad Shah Massoud, ont pris comme modèle les Basmatchis, ces guérilleros musulmans qui, en URSS même, ont mené une résistance aussi désespérée qu'acharnée contre le pouvoir soviétiques, jusqu'au milieu des années 30.

La République islamique d'Iran

Depuis 1979,1'1ran islamique a manifesté un intérêt constant pour l'Islam soviétique et diffuse chaque jour par voie radiophonique des programmes politico-religieux, plusieurs heures d'affilée, dans la plupart des langues des peuples du Caucase et de l'Asie centrale. Les deux émetteurs principaux sont à Tabriz, en Azerbaïdjan iranien, et dans la ville de Gorgan, proche de la mer Caspienne et de la frontière turkmène. Le contenu de ces émissions est fort peu diplomatique et les appels à la formation d'Etats islamiques sur les terres musulmanes soviétiques n'y sont pas rares. La propagande radio est complétée par des émissions télévisées et par l'envoi clandestin de cassettes audio et vidéo. Cette contrebande politico-religieuse prend des proportions telles qu'en 1986 l'administration des douanes a été retirée au ministère du Commerce extérieur et mise sous la responsabilité directe du Conseil des ministres de l'URSS.

La visite à Moscou d'Ali Akbar Hachemi Rafsandjani en juin 1989 n'a rien changé à la fréquence ni à la virulence de ces émissions. Le président iranien a d'ailleurs donné l'exemple de la fermeté dans les principes. Les guérilleros d'Afghanistan ? " Les moujahidin sont de réels héros qui défendent l'Islam, a-t-il déclaré en plein Moscou, et nous avons avec eux une compréhension mutuelle. Peu après, dans l'étape azérie de son périple, le président Rafsandjani a invité, depuis la grande mosquée de Bakou, les Azéris à venir en pèlerinage dans la ville sainte de Mechhed, en Perse, et promis d'aider les mosquées et madrasas azéries.

Depuis ce voyage, les Iraniens ont multiplié les contacts avec les musulmans soviétiques - surtout les Tadjiks, qui sont d'origine perse mais sunnites, et les Azéris, qui sont pour la plupart chi'ites quoique turcs.

En septembre 1989, le cheikh ul-Islam Pachezadeh, imam d'Azerbaïdjan, est venu à Téhéran s'incliner sur la tombe de l'Imam Khomeini et a déclaré qu'en un an, 30 mosquées avaient été restaurées et rendues au culte dans son pays.

En janvier 1990, l'ayatollah Ahmad Jannati, directeur de l'Organisation pour la propagation de l'islam, annonce l'envoi de "missionnaires", ainsi que de corans et d'ouvrages de l'Imam Khomeini, traduits en azéri, en Union soviétique. Projets confirmés un mois plus tard par l'hojatolislam seyyed Mehdi Jaramani, directeur de l'Organisation iranienne des pèlerinages et biens religieux.

Au moment de l'intervention de l'armée soviétique à Bakou, fin janvier 1990, le contraste est frappant entre les réactions du monde arabe et celles de l'Iran. Aucun dirigeant arabe ne réagit officiellement. Les médias arabes officieux se taisent. Ceux qui évoquent l'affaire reprennent les dépêches de l'agence Tass ou parlent d'un "conflit interne à l'URSS". Pourtant saisie par les moujahidin afgbans, l'Organisation de la conférence islamique, sous forte influence saoudienne, garde un silence prudent.

Le gouvernement iranien, lui, proteste en termes modérés mais laisse donner -fait donner ? - l'orchestre international. Fin janvier, le redouté Ail Akbar Mohtachemi lance un avertissement non déguisé aux Soviétiques: "L'Islam révolutionnaire et les forces de résistance du HizbAllah global guettent les ennemis de l'Islam et des musulmans." Dans la foulée, les mouvements islamistes, du Pakistan au Liban, donnent de la voix, dont le HizbAllah du Liban et le Mouvement d'unification islamique (Tawhid), sunnite, du Nord-Liban.

Un mois plus tard, l'imam de Bakou, le cheikh ul-Islam Pachazadeh, déclare à la télévision locale: "Notre religion, l'Islam, est indissociable de la politique et n'a aucun sens quand elle en est privée" ce qui est très exactement la ligne révolutionnaire-islamique.

En avril, à l'occasion des fêtes de l'Aïd ul-Fitr, les échanges entre Azéri soviétiques - y compris ceux de l'enclave du Nakhitchevan - et Iraniens sont admis et, dès ce moment, des milliers de musulmans soviétiques demandent des visas pour l'Iran, afin de participer, début juin, aux cérémonies du 1er anniversaire du décès de l'Adam Khomeini. Cérémonies pendant lesquelles trois jours de deuil sont décrétés au Caucase et en Transcaucasie. Venus à Téhéran pour l'occasion, trois uléma soviétiques, le mufti Turdjan du Tadjikistan, le mufti Abdulghafar de Tachkent et un mufti turkmène, tous trois sunnites, déclarent: "Les musulmans soviétiques ont toujours été aux côtés de la Révolution islamique et ont suivi fidèlement les enseignements de l'Imam Khomeini." Au même moment, des Tadjiks d'URSS participent pour la première fois à l'un de ces séminaires internationaux (voir Iran, p. 131 et s.) à orientation révolutionnaire islamique.

En juillet 1990, le cheikh ul-Islam Pachazadeh se rend en pèlerinage à Mechhad, sanctuaire de l'Imam Reza. Avec lui, 100 camions de produit divers, aide des Azéris soviétiques à leurs frères iraniens, après le tremblement de terre qui, en juin, a fait plus de 40 000 morts en Iran. En juillet toujours, L'importants accords de coopération économique sont signés entre la province iranienne du Khorasan et 4 républiques soviétiques: I'Azerbaïdjan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan. Désormais, trois points de passage - Sarakhs, Badgiran et Loftabad - sont ouverts en permanence à la frontière entre l'Iran et cette dernière république.
 

LES EMEUTES DANS LES TERRITOIRES MUSULMANS DE L'URSS 1985 - 1990
 
 
RSS DATE CIRCONSTANCES ET EVENEMENTS
RSS du Tadjikistan janvier 1985 Manifestations xénophobes visant les "étrangers" non-musulmans. Nombreux blessés.
RSS du Kazakhstan  décembre 1986 Moscou décide de nommer Guennadi Kolbine, un Russe, premier secrétaire du parti local à la place du Kazakh Dinmoukhamed Kouna~ev: deux jours d'émeute à Alma-Ata. Les officiels mettent en cause les tariqas souries et font état de 2 morts et de 200 blessés. 44 morts, selon des témoins autorisés.
RSS d'Azerbaïdjan. nov - déc. 1988 Manifestations antiarméniennes et antisoviétiques (agitation endémique depuis février): des centaines de milliers d'Azéris, dans les rues de Bakou, en décembre. Drapeaux aux couleurs de l'islam et portraits de liImam Khomeini. Au total, fév - dec. 1988: plus de 600 morts
RSS de Géorgie (fi Abkhazie) avril 1989 Manifestations sévèrement réprimées, à Tbilissi, de musulmans abkhazes voulant faire sécession de la RSS de Géorgie. Une nuit d'émeutes, 20 morts.
RSS du Turkménistan mai  Emeutes à Achhabad : pillage de nombreux magasins et coopératives
RSS d'Ouzbékistan  juin1989 Emeutes sanglantes dans la vallée de Fergana, un haut lieu de la résistance armée islamique au bolchevisme jusqu'au début des années 30, par des groupes de guérilla des tariqas Naqshbandies. Des Ouzbeks sunnites, islamistes, traquent pendant dix jours des Mechkets, nominalement musulmans chi'ites, mais sécularisés, jouissant d'un statut économique favorisé et ressentis localement comme "collabos" des Russes. Refusant, qui plus est, de parler ouzbek et majoritairement russophones. Brandissant le drapeau vert de l'Islam, des Ouzbeks incendient près de 800 maisons. En moins de deux semaines, plus de 100 morts, 1 000 blessés. 15 000 Mechkets évacués. Le 13 juin, Gorbatchev déclare: "Le fondamentalisme [islamique] montre ses dents."
RSS du Kazakhstan juin 1989 Emeutes au sud-ouest du Kazakhstan, dans la région de Novy-Ouzen. 3 morts, 57 blessés.
RSS de Kirghizie juillet 1989 A la frontière entre la Kirghizie et le Tadjikistan, émeutes portant sur des problèmes d'attribution de terres et d'irrigation.
RSS d'Abkhazie juillet 1989 Emeutes soutenues par une population qui veut faire sécession de la RSS de Géorgie. De nombreux postes de police sont attaqués par des jeunes qui cherchent des armes. 21 morts, dont 2 policiers tués par des armes à feu. Dans un village proche de Sukhumi, la capitale, des policiers trouvent 170 kg d'explosifs et 550 détonateurs.
RSS d'Azerbaïdjan.  déc 89 - jan. 90 Entre le 20 décembre et le 4 janvier, dans la région autonome du Nakhitchevan, à la frontière iranienne, des Azéris manifestent pour l'unité des musulmans, abattent les poteaux, les barbelés et les miradors de la frontière, en une scène aussi émouvante pour les musulmans que la chute du mur de Berlin pour les Européens. Janvier: émeutes en Azerbaïdjan, notamment à Bakou. Des Azéris par centaines de milliers traquent les Arméniens et réclament l'instauration d'une république islamique. La répression soviétique fait 60 morts. Depuis février 1987, les affrontements Azéris-Arméniens ont fait plus de 130 morts.
RSS du Tadjikistan  février 1990 Des émeutes éclatent à Douchanbe: des bruits circulent selon lesquels les appartements que des Tadjiks attendaient depuis plus de cinq ans avaient été attribués à des réfugiés (chrétiens) arméniens d'Azerbaïdjan. Deux semaines d'émeutes et de lynchages d'européens, 50 morts et plus de 200 blessés. Les bâtiments du comité central attaqués par des manifestants disposant d'armes à feu. Les manifestations démarrent dans les mosquées, à la fin de la prière. 
RSS d'Azerbaïdjan  mars1990 Plus de 1 million d'Azéris manifestent dans les rues de Bakou pour le 40e jour des massacres de janvier. 300 morts, selon les islamistes.
RSS d'Ouzbékistan  mars1990 Emeutes dans la ville de Parkent, non loin de Tachkent. Des immeubles officiels sont incendiés et pillés. 4 morts, selon Moscou; 30, selon les islamistes.
RSS de Kirghizie juin 1990 Affrontements sanglants dans la région de la ville sainte d'Och, en territoire kirghiz, mais à population fortement ouzbek. Prétexte: l'allocation injuste par la bureaucratie locale de terrains à bâtir. Des deux côtés - kirghiz et ouzbek -on fait usage d'armes à feu. Comme avec les Meshkets, les Ouzbeks, musulmans durs et bien encadrés, s'attaquent à des peuples alliés de Moscou, pratiquant un Islam de circonstance: en l'occurrence, les Kirghiz, superficiellement islamisés, au XVe siècle. Il y aurait eu près de 800 morts, selon Moscou.
RSS de Kirghizie juillet 1990 Nouveaux affrontements dans la région d'Och: 4 morts, 100 blessés, 160 arrestations.
 

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