SOUDAN


Nom officiel: République du Soudan
Continent: Afrique
Superficie: 2, 5 M. de km2
Population: (1989) +?4,5M. d'h.
Capitale: Khartoum (agglomération: + 2 M. d'h. et 2 M de réfugiés)
PIB/h.: (1986) $ 625

Régime: militaire
Chef de l'État: général. Omar Hassan el-Bechir
Ligue arabe : oui (1956)
Organisation de la conférence islamique: oui
Liens avec la République islamique d'Iran: chargé d'affaires

% de non-musulmans +/- 40 %
- ventilation: dont animistes: 70%
% de musulmans: +/- 60 %
- vent. /100 sunnites malékites pour la plupart



La branche soudanaise de la société des Frères musulmans (FM) a été créée après la Seconde Guerre mondiale par des étudiants soudanais, disciples des Frères égyptiens de la grande université islamique al-Azhar, du Caire, et par des Frères égyptiens réfugiés au Soudan après les vagues répressives de 1948 et 1954 dans leur pays (voir Egypte, p. 85 et s.). Un intellectuel islamiste soudanais définit ainsi les rapports entre les Frères égyptiens et leurs rejetons dans le monde arabe: "Les mouvements islamiques du monde arabe doivent beaucoup aux Frères musulmans égyptiens. Au fil des ans, ces mouvements ont pris une personnalité, usé de méthodes et adopté des stratégies que leur père spirituel ne reconnaît pas toujours comme siennes, mais ils lui vouent toujours une immense reconnaissance, pour avoir permis leur naissance, d'abord, et bien au-delà. D'un autre côté, le mouvement égyptien père doit considérer cette évolution autonome comme naturelle et rendue nécessaire par des impératifs écrasants. Ainsi, pourrait évoluer une diversité de mouvements islamiques, tous portant - pourquoi pas? - le nom de Frères musulmans, en constant contact et coordonnant leurs activités". (1)

Au Soudan, l'islam des campagnes est, comme souvent en Afrique, celui des grandes confréries souries: la Qadiriyya, implantée au Soudan depuis le XVIe siècle, très décentralisée, ses branches locales jouissent d'une large autonomie; la Khatmiyya, fondée au début du XIXe siècle par Mohamed Osman al-Mirghani disciple du grand martre soufi marocain Ahmad Ibn Idris. Cette confrérie est, elle, très hiérarchisée, centralisée; cette tariqa est la plus politique et la plus influente du pays. Les Frères musulmans ont donc recruté particulièrement en milieu urbain, plutôt jeune et "bourgeois": "Le mouvement est présent dans les couches les plus "modernes" de la population: mouvements étudiants et de jeunesse, syndicats et associations féminines. Il est également bien implanté dans les centres urbains et très influent dans la fonction publique. Pendant la période de réconciliation nationale, des dirigeants du mouvement ont occupé des postes de premier plan: ministres, conseillers d'État, députés, etc. Cela leur a donné une expérience de premier ordre sur la manière de conduire un Etat".

Entre 1953, date de sa légalisation et sa quasi-accession au pouvoir en juin 1989 (voir plus bas), le mouvement islamiste a connu des péripéties diverses: persécutions sévères sous la dictature d'Ibrahim Abboud (1958-1964) et scission (1977). A cette date, l'un des jeunes dirigeants les plus ambitieux des Frères, Hassan Abdallah al-Tourabi, ancien leader de l'organisation étudiante des FM, professeur à la faculté de droit de Khartoum, a rompu avec les chefs traditionnels du mouvement. Tourabi et avec lui une majorité des FM acceptant la proposition de réconciliation nationale du général-président Ja'afar Nimeiri, rejetée comme "diabolique" par les FM fondamentalistes. Tourabi a créé et dirige une organisation politique de masse, le Front national islamique (FNI). A ses côtés subsiste une société des Frères musulmans dirigée par Sadek Abdul Majid, de dimension réduite et d'orientation piétiste, très influencée par l'Arabie Saoudite.

Hassan Tourabi a épousé la sœur du chef de l'important mouvement politico-religieux Ansar al-Sunna, Sadek al-Mahdi, lui-même descendant direct de la plus grande figure islamique soudanaise, Mohamed Ahmed Ibn Abdallah. En 1881, le Nubien Abdallah se proclame Maddi (Rédempteur) lance le jihad contre les Britanniques, s'empare de Khartoum, se rend martre de tout le Soudan à la tête d'un mouvement religieux et nationaliste et meurt du typhus, au sommet de sa gloire, au printemps de 1885. Il faudra aux Britanniques plus d'une décennie pour reprendre Khartoum. Tourabi, lui, a exercé des responsabilités ministérielles de premier plan au sein du gouvernement d'al-Mahdi dans les dernières années de la décennie 80. Dans la tentative politique "à l'occidentale" de ce dernier, le FNI jouait un rôle parlementaire charnière, disposant de 51 députés sur 268.

La révolte des populations du sud du Soudan, animistes ou chrétiennes, devant les tentatives d'application de la loi musulmane, la charia, imposée en 1983 par le président Ja'afar Nimeiri, prend en 1988 la dimension d'une guérilla, puis d'une guerre. Comment résoudre cet épineux problème, qui déchire le pays le plus grand d'Afrique - et l'un des plus pauvres ? Sadek al-Mahdi propose des mesures d'apaisement, inacceptables par les islamistes, dans la mesure où elles impliquent un retrait de la charia. En mars 1989, Hassan Tourabi annonce que le Front est désormais dans l'opposition. Le 30 juin, un coup d'État met fin à l'expérience démocratique. Le général Omar Hassan Ahmed al-Béchir, nouveau dirigeant et chef du Conseil de commandement de la révolution (CCR), avait, avant le putsch, la réputation de diriger la branche militaire du FNI; toute sa famille est d'ailleurs d'obédience FM. Mais Béchir n'est pas un nouveau Nasser: juste le primas inter pares d'un groupe de commandement de 7 ou 8 personnes, dont le colonel Bakri Hassan Saleh, qui dirige le redoutable Comité de sécurité et des opérations; le commandant Ibrahim Chamseddine et Suleyman Mobamed Suleyman, un ex-communiste revenu à l'islam.

Depuis, le COR pratique une politique conforme aux vœux du FNI, notamment en matière de justice et d'éducation. Dans un premier temps, les juges libéraux, les magistrats du sexe féminin, les cadres supérieurs des universités non islamistes ont tous été remerciés. Depuis le printemps de 1990, la purge s'est généralisée et touche 50 000 fonctionnaires (police, sécurité, etc.) et militaires. Ils sont petit à petit remplacés par de jeunes militants du FNI.

L'Egypte (qui aurait même mis la main à la pâte) l'Arabie Saoudite, l'Irak ont accueilli l'annonce de ce putsch avec soulagement: au sein du gouvernement d'al-Mahdi, et dans le FNI même, la séduction iranienne se faisait sentir. Deux semaines avant le coup d'État, le ministre de la Culture d'alors, Suleiman Abou Saleh, était en visite officielle à Téhéran. Reçu par l'ayatollah Ali Khamene'i, il lui déclare; "L'Imam Khomeini est cher à nos cœurs. En fait, c'est lui qui nous a encouragés à lancer notre révolution au Soudan." Or les dirigeants saoudiens, égyptiens et irakiens ne voient que trop bien les conséquences catastrophiques du passage d'un pays arabe du Machrek dans l'orbite de Téhéran...

Les Irakiens, surtout. En janvier 1988, un dirigeant chi'ite irakien, l'hodjatolislam Mehdi al-Hakim, 52 ans, se rend à Khartoum pour y rencontrer des personnalités politiques, en marge du 2e Congrès du FNI. II est le fils du grand ayatollah Mohsen al-Hakim, qui fut dans les années 60 la référence spirituelle suprême ("source d'imitation") de toute la communauté chute; lui-même a été l'un des fondateurs et dirigeants du mouvement al-Da'oua (voir Histoire, p. 235 et vit en exil depuis vingt ans. De retour à son hôtel après un entretien privé avec Tourabi, il est abattu, en plein hall du Hilton de Khartoum, par un individu qui parvient à s'enfuir dans un véhicule, que tous les témoins identifient comme appartenant à l'ambassade d'Irak...

Leur putsch réalisé, les nouveaux dirigeants soudanais, dont les besoins financiers et économiques sont gigantesques, voient bien de quel côté souffle le vent. Le ministre de la Culture déclare-t-il (août 1989) qu'il souhaite l'aide de Téhéran en matière de propagation de l'Islam ? On le fait taire. Peu après, pour redresser la barre, le général Béchir félicite le gouvernement Saoudien pour avoir fait décapiter, en septembre 1989, 16 chi'ites kowertis, reconnus coupables de 3 attentats à la bombe à La Mecque, lors du précédent pèlerinage.

Mais l'apparence et la réalité sont parfois deux choses différentes dans cette partie du monde et, depuis la fin 1989, l'activité au Soudan des amis de Téhéran est beaucoup plus intense. A la grande inquiétude des officiels égyptiens et saoudiens, qui voient le Soudan devenir sous leurs yeux la première république islamique pure et dure du continent africain et s'aperçoivent avec horreur qu'ils ont réchauffé une vipère en leur sein.

Des manifestations révolutionnaires - sismiques (conférences, séminaires, etc.) sont désormais organisées régulièrement à Khartoum, à l'usage d'uléma africains et maghrébins. Et les "frères" voisins ne sont pas oubliés: à partir d'avril 1990, Omar Abdurrahman, émir du Jihad islamique égyptien - l'homme qui a écrit la fatwa ordonnant l'exécution de Sadate- et tout son état-major séjournent régulièrement à Khartoum, aux frais de la junte. L'appareil paramilitaire de sécurité du FNI, les Forces de défense populaire - nouvelle garde prétorienne du régime - fait désormais appel à des Pasdaran iraniens pour l'entraînement idéologique et militaire de ses troupes. Un développement préoccupant quand on constate que Hassan al-Tourabi - idéologue et ambassadeur itinérant du régime - est devenu le mentor pratiquement officiel du FIS algérien et d' an-Nahda en Tunisie. A l'heure actuelle, on peut dire sans risque d'erreur que, de la Palestine au Maghreb, c'est le Soudan qui joue le rôle de plaque tournante de l'activisme islamiste arabe. La preuve: le 8 juillet se tient à La Mecque, à l'occasion du pèlerinage, une réunion de coordination des forces islamiques proches des FM ou issues d'eux. Entourant Tourabi, Abbassi Madani du Front islamique du salut algérien, le Tunisien Ghannouchi, émir d'an-Nahda, des responsables des FM d'Egypte, de Syrie, d'Irak et de la Jama'at du Pakistan ont décidé de renforcer les liens qui les unissent.

Mais les islamistes soudanais n'oublient pas l'Afrique subsaharienne, deux organismes: al-Da'oua, organisation fondée en 1979, et le Centre islamique africain, créé en 1983, ont pour unique fonction l'action missionnaire islamique sur ce continent. Le Centre héberge en permanence, rien qu'au premier niveau de son cursus, 300 jeunes élèves venus de plus de 30 pays africains. Al'Da'oua implante partout où cela lui est possible des ensembles mosquée-école-bibliothèque, destinés à porter la prédication islamique au plus profond du continent africain. Les influences qui jouent sur de tels organismes sont multiples - saoudienne, libyenne, etc.- mais certaines de leurs publications sont de facture très ouvertement révolutionnaires -islamiques, notamment en Ouganda, où des militants du FNI travaillant pour al-Da'oua sont très actif dans la communauté islamique locale, plus particulièrement à travers 1' Association de coopération afro-islamique et la Société afro-islamique.

Fin avril 1990, une tentative de coup d'État, fomentée par des militaires pour la plupart proches du Baas pro-irakien, donc hostiles aux islamistes, a été déjouée par le régime du général Béchir. 28 officiers et généraux putschistes, ou supposés tels, sont fusillés peu après; 5 généraux et des dizaines d'officiers supérieurs, écartés.

A la fin du printemps, une controverse surgit entre courants islamistes: la junte songe à se débarrasser, d'une façon ou d'une autre, du Sud africain, chrétien et animiste, pour faire des trois quarts restants, le Nord, arabe, un Etat islamiste cohérent. Cette idée est rejetée avec force par le courant révolutionnaire islamique, qui ne voit pas pourquoi on ferait cadeau des sources du Nil, entre autres, aux ennemis de l'Islam.

Le 30 juin, date du 1er anniversaire de la "révolution", la junte a organisé une manifestation de masse, pour soutenir la charia - thème favori du FNI.

Le 21 août, suite à l'invasion du Koweït par l'Irak, le FNI a organisé, devant l'ambassade d'Arabie Saoudite à Khartoum, une manifestation pro-Saddam Hussein où ont été brûlés des drapeaux américains et saoudiens.

En septembre, Hassan Tourabi est reçu à Bagdad par des membres du Conseil de commandement de la révolution, à qui il apporte le "soutien des masses islamiques". Peu après, le 1er octobre, Suleyman Mobamed Suleyman se rend à Téhéran àla tête d'une délégation de haut niveau, pour y rencontrer le ministre de la Défense et discuter coopération militaire. Bagdad, Téhéran: le régime soudanais ne fait désormais plus mystère de ses options islamistes radicales.

En octobre, diverses sources proche-orientales signalent que des Frères musulmans libyens, et de nombreux autres islamistes, sont entraînés dans un camp proche de la ville d'Arkawit, dans la province de la Mer Rouge.

(1) Zakaria Bashier, Islamic movement in the Sudan, issues and challenges, 44 p., The Islamic Foundation, oct. 1987

 
 
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