PAKISTAN


Nom officiel: République islamique du Pakistan
Continent: Asie
Superficie: 804 000 km2
Population: (1989) 110,5 M. d'h.
Capitale: Islamabad ( 300 000 h.)
PIB/h.: (1986) $1 080
Pétrole (production): 2, 3 M. de t.
Pétrole (réserves connues): ??

Régime: république fédérale parlementaire
Chef de l'État: Gholam Ishaq Khan
Chef du gouvernement: Nawaz Sharif
Ligue arabe: non
Organisation de la conférence islamique: oui
Liens avec la République islamique d'Iran: ambassades représentant personnel de l'Imam

% de non-musulmans: +/- 3%
% de musulmans: +/- 97 %
- vent. /100 : - sunnites hanafites: +/- 74 % - chi'ites: +/- 24 % - ismaïliens: +/- 1 M.



Pendant plusieurs décennies, et un peu paradoxalement, la scène islamique de la première république islamique au monde, celle du "pays des purs", le Pakistan, a été des plus paisibles. Paisible, bien entendu au sens que prend ce terme dans le sous-continent indien, où règne de façon séculaire un climat d'agitation, parfois de violence, qui a peu à voir avec les images d'Epinal des brochures touristiques (1)

Cela s'explique par la personnalité des maîtres-penseurs du renouveau musulman dans cette partie du monde: des hommes conservateurs, quiétistes même comme maulana Maududi - dont nous reparlerons - et Mohamed Iqbal. L'influence de guides plus radicaux comme Seyyed Qotb et Rouhollah Khomeini a été, pendant longtemps, extrêmement réduite.

Pays allié de la Chine, en guerre fréquente avec l'Inde, le Pakistan est tout au long des décennies 50 et 80 et pour des raisons évidentes, hostile à l'Union soviétique et proche des Etats-Unis.

L'invasion de l'Afghanistan étant venu encore renforcer le sentiment d'hostilité de la population envers les Soviétiques. Fait significatif, nombre d'islamistes pakistanais sont encore plus favorables aux Etats-Unis que la population dans son ensemble! Sur 75 uléma de diverses écoles musulmanes interrogés en 1975, il y en avait six fois plus pour une alliance avec les Américains que pour une alliance avec l'URSS!

Particularité pakistanaise, également: l'opposition entre l'Islam des pauvres, des déshérités, et les riches, agents locaux de "l'arrogance mondiale", source du militantisme de masse islamiste - en Iran par exemple - ne se traduit pas ici, ou très peu, en termes politiques.

Il y a au Pakistan des sunnites et des chi'ites. Le pays a d'ailleurs été fondé par Mohamed Ali Jinnah, qui était un chi'ite septimain ismaïlien (voir glossaire, p. 269). Comme dans le reste du sous-continent indien, les sunnites se partagent en grandes écoles de pensées (voir p. 117): Ahle Hadith, Barelvi, Deobandi, qu'opposent des attitudes politiques, des conceptions rituelles, des allégeances extérieures et une plus ou moins grande hostilité envers les "frères" chi'ites.

Ceux-ci, selon les sources, représentent entre 10 et 40 % de la population. Sans doute entre 15 et 20%, ce qui suffit à faire d'eux la deuxième communauté duodécimaine au monde, après celle de la Perse. 15 % de +/- 110 millions d'habitants: il y a plus de chi'ites au Pakistan qu'il n'y a d'Irakiens - sunnites, chi'ites ou chrétiens, arabes ou kurdes, dans tout l'Irak!

Comme dans tout le reste de l'oumma musulmane - et plus encore du fait du poids de la communauté chi'ite - le retentissement de la Révolution islamique dans l'Iran voisin est considérable au Pakistan.

Fraîchement installé au pouvoir, le général-président Zia ul-Haq se cherchait un projet, un style: février 1979 à Téhéran aidant, ce sera l'Islam.

Quelles sont, à cette époque, les forces islamiques en présence à Téhéran?

Du côté sunnite, le grand mouvement militant est la Jama'at e-Islami, fondée par le théoricien de la renaissance islamique et grand penseur musulman du monde indien au XXe siècle, maulana Abdul Ala Maududi (1903-1979). Auteur de près d'une centaine d'ouvrages et de brochures, maulana Maududi, après une période de réflexion qui va de 1935 à 1940, crée la Jama'at e-Islami, en août 1941, dans ce qui est encore le Raj indien. Son modèle militant est celui des Frères musulmans arabes. A une exception près: réformiste, partisan de la légalité et des voies constitutionnelles, désapprouvant les violences perpétrées par les islamistes, notamment au Proche-Orient, Maududi ne dotera pas la Jama'at d'une "branche spéciale" militaro-terroriste (voir Egypte, p. 85 et s.). maulana Maududi, en effet, a horreur de la violence. Le triomphe de l'Islam, pour lui, doit passer par des efforts prolongés d'éducation du peuple. Le pouvoir, oui, mais à condition de l'obtenir par des voies honorables.

Comme tout bon islamiste, maulana Maududi rejette le nationalisme ce qui l'amène à s'opposer à la formation du Pakistan. Mais quand le vin est tiré... Maududi vient s'installer dans la nouvelle République islamique, ou sa carrière de guide politique est des plus discontinue: il y est emprisonné en 1948 et 1952 et la Jama'at y connaît, jusqu'à aujourd'hui une succession de phases de légalisation et d'interdiction de fonctionnement.

Chaque fois qu'elle le peut, la Jama'at participe aux élections, mais ses succès électoraux ont toujours été modestes: une dizaine de députés, ou moins, sur une chambre qui en compte environ 500.

Malgré tout, l'influence de la Jama'at - qui a de 5 000 à 10 000 militants mais plus de 1 million de sympathisants - est forte, surtout dans les écoles, l'université et l'armée. Elle dispose de tout un réseau d'organisations de jeunesse, de cinémas, de clubs, à la manière des FM, toujours.

Depuis la mort de maulana Maududi, en septembre 1979 (à Buffalo, aux Etats-Unis, alors qu'il rendait visite à l'un de ses fils), le pouvoir au sein de la Jama'at est exercé par un président qui est, depuis 1984, Qazi Hussein Ahmad; le vice président est le professeur Khursid Ahmad Khan.

Zia ul-Haq s'est beaucoup appuyé sur la Jama'at durant sa dictature (1977-1988); elle a pu fonctionner sans encombre sous la loi martiale, malgré l'interdiction théorique de tous les partis politiques.

Financée en partie par l'Arabie Saoudite, la Jama'at est également active en Afghanistan et, par le biais des Jama'at-sœurs, en Inde et au Bangladesh. En Europe, la Jama'at contrôle la Fondation islamique, créée en 1973 à Leicester, en Grande-Bretagne. Cette Fondation dispose de filiales aux Etats-Unis et au Canada et entretient des liens étroits avec la direction supranationale des Frères musulmans, elle aussi établie en Europe.

Côté chi'ite, les tentatives d'organiser la communauté remontent au début des années 50. En 1953 s'est réunie une première Convention pour la sauvegarde des droits des chi'ites. En 1964 a eu lieu un grand rassemblement de tous les uléma chi'ites au Pakistan. Hostiles dès les premiers jours à la dictature de Zia ul-Haq, violemment opposés à sa tentative d'imposer la charia sunnite comme loi, les chi'ites fondent en mars 1979, sous l'impulsion du mufti Ja'afar Hussein, le Mouvement pour l'application de la jurisprudence ja'afarie" (sigle de la transcription anglaise en langue urdu: TNFJ), qui agit dès lors comme un groupe de pression, se rapproche naturellement très vite des Frères de Téhéran et fait publiquement allégeance à l'imam Khomeini. Motif supplémentaire de méfiance envers Zia ul-Haq: l'Imam le considère purement et simplement comme un agent américain...

A la mort du président Ja'afar Hussein, le mouvement connaît une (petite) scission. il y a désormais, depuis février 1984, un TNFJ majoritaire, présidé d'abord par l'hojatolislam Arif Husseini et une TNFJ minoritaire dirigée par un autre alim chi'ite, Hamid Ali Moussavi.

Après l'assassinat d'Arif Husseini (voir p. 59) le président du TNFJ majoritaire est l'hojatolislam Seyyed Sajid Ali Naqvi.

En juillet 1987, à l'occasion d'un meeting de masse qui a réuni plus de 100 000 personnes à Lahore, le TNFJ majoritaire s'est transformé en un parti politique à part entière et a noué, en 1989, avec deux petits partis pakistanais plutôt classés à gauche une alliance électorale qui n'a pas encore eu l'occasion de faire ses preuves dans une vraie campagne.

Le TNFJ contrôle un important mouvement de jeunesse, l'Organisation des étudiants imamites (ISO), dont la propagande est très révolutionnaire islamique.

Mais sous des apparences fort révolutionnaires, le TNFJ est un mouvement plutôt conservateur et assez sectairement chi'ite. La doctrine panislamiste de Téhéran - tous unis, il n'y a qu'un Islam, celui du Coran - y est défendue du bout des lèvres. Le rôle unitaire, au Pakistan, est dévolu à des mouvements plus radicaux, agissant à côté - ou en marge - du mouvement chi'ite de la masse.

Parmi ceux-ci, le Hizb e-Jihad, créé en septembre 1988, avec comme modèle La Révolution islamique d'Iran (The Muslim, 6/9/88); il est dirigé par Agha Morteza Pooya et maulana Ali Ghadanfar Kararvi. Le Hizb e-Jihad organise régulièrement des séminaires où sunnites et chi'ites approfondissent des thèmes révolutionnaires islamiques.` En juillet 1989, par exemple à Rawalpindi sur les jihad de Palestine, d'Afghanistan et du Kashmir.

Autre mouvement de même nature: le Tehrik Akhuwat e-Islami (Mouvement d'Entraide islamique), qui organise chaque année des Conférences sur l'unité de l'Islam dans plusieurs grandes villes du Pakistan.

L'affaire des Versets sataniques, enfin, a vu apparaître une nouvelle organisation où activistes sunnites et chi'ites se sont retrouvés, le Tehrik Tahafuz e-Namoos e-Risalat (Mouvement pour la défense de l'honneur du Prophète) qui a organisé à cette occasion de nombreuses manifestations, toujours houleuses, parfois sanglantes.

Mais le Pakistan est devenu, depuis les dernières années de la dictature de Zia, une terre d'affrontements de tout ordre.

· Entre islamistes et "croisés", d'abord. Au cours de l'année 1985, les bureaux de Pan-Am à Karachi sont détruits par une explosion, ainsi que 5 établissements français, à Karachi et à Lahore.

· Entre islamistes et "athées", ensuite. En septembre 1986, le vice-consul d'Irak à Karachi est assassiné. Revendication: le Mouvement islamique al-Rafidayn (La Mésopotamie). L'Irak, de son côté, ne se prive pas de riposter: en octobre 1989 encore, un réfugié islamiste irakien, Salam Adil Khazir est assassiné à Rawalpindi.

· Entre islamistes et "hypocrites", enfin. En août 1987, les Fils de l'oumma du HizbAllah du Pakistan attaquent à l'arme automatique des réfugiés iraniens proches des Moujahidin du peuple :3 morts, 40 blessés. Mais tout cela n'est que plaisanterie en comparaison des affrontements inter pakistanais.

· Affrontements ethniques (voir p. 59 et s.). Entre mai et août 1 990, une dizaine d'attentats à la bombe organisés par des communautés rivales -indigènes de la province du Sind contre émigrés musulmans venus d'Inde - font, de Hyderabad à Karachi, du Sind au Penjab, 90 morts et plus de 300 blessés, tandis qu'à Hyderabad toujours, fin mai, des émeutes font près de 120 morts.

· Affrontements sectaires entre sunnites et chi'ites, (racontés en détail p. 59 et s.). En 1990, les choses ne s'arrangent pas sur ce terrain là, bien au contraire. En avril, au Penjab, les mosquées de sectes rivales, les boutiques de commerçants connus pour leur prosélytisme brûlent ou sont pillées. Tandis que à Sialkot, maulana Sajjad Hussein Khan, 67 ans, alim chi'ite très populaire, est assassiné par deux inconnus qui s'enfuient en moto et ne seront naturellement pas plus arrêtés que les meurtriers d'autres religieux sunnites et chi'ites avant eux.

Restent les affrontements politiques qui ont toujours au Pakistan, une coloration religieuse. Le 6 août 1990, Gholam Ishaq Khan, président de la République, démet Benazir Bhutto de ses fonctions pour "incompétence et corruption" et décrète l'état d'urgence. La première femme chef de gouvernement d'un Etat islamique a occupé son poste dix neuf mois. Depuis, son successeur, Gholam Mustafa Jatoï, l'un des dirigeants du mouvement d'opposition l'Alliance démocratique islamique a expédié les affaires courantes en attendant les élections générales du 24 octobre 1990, au cours desquelles Benazir Bhutto est mise en déroute par l'Alliance démocratique islamique.

Et pendant que le pays titube, à deux doigts de l'anarchie et de la guerre civile, le courant révolutionnaire islamique, lentement, patiemment, marque des points.

Dès septembre 1988, la radicalisation du TNFJ, sensible depuis l'assassinat d'Arif Husseini (voir p. 59), se concrétise par une grande manifestation où, à la tribune, figurent, à côté de dignitaires venus de Téhéran, le cheikh libanais Selim al-Lababidi, bras droit de Saïd Cha'aban, l'émir du mouvement Tawhid (voir p.147) et deux membres du majlis du HizbAllah du Liban, les cheikhs Zouheïr Kanj et Mohamed Ali Moqdad (voir p. 147).

Il existe au Pakistan, un Comité national des Conférences du Pèlerinage (voir Iran, p.131 et s.) qui, chaque année, organise des séminaires dans les grandes villes, Lahore, Rawalpindi, Quetta, Islamabad en mai 1990, par exemple.

En janvier 1989, des cérémonies pour le 1er anniversaire de l'assassinat de Mahdi al-Hakim (voir Soudan p. 187) ont été organisées à Rawalpindi, Karachi, Lahore, Quetta. Le père de Mahdi, le grand ayatollah Mohsen al-Hakim, a longtemps été la "source d'imitation" des chi'ites pakistanais.

En mai 1989, des manifestations pour le Jour de Jérusalem (voir Iran, p.131et s.) ont été organisées à Rawalpindi, Islamabad, Peshawar, Multan, Lahore et Parachinar.

En juin 1989, les cérémonies du deuil de l'Imam Khomeini ont été massivement suivies - et pas uniquement par des chi'ites - dans tout le Pakistan et notamment Peshawar, Islamabad, Quetta, Rawalpindi, Lahore, Parachinar, Khushah, Gilgit.

En février 1990, une grande conférence de solidarité Iran-Pakistan s'est tenue à Rawalpindi.

En mars 1990 a eu lieu au Lahore International Hotel une importante conférence sur la Révolution islamique d'Iran.

En avril, dans la ville de Wah, l'Organisation des étudiants imamites a organisé un séminaire pour le 11e anniversaire de l'exécution du grand ayatollah irakien Mohamed-Bakr al-Sadr (voir Irak, p. 128). Les motions finales ont appelé au soutien des moujahidin du Kashmir, du Liban, de Palestine et d'Afghanistan.

En avril toujours, le Jour de Jérusalem a été célébré dans toutes les grandes villes du Pakistan.

En mai 1990, à Lahore, s'est tenu un grand séminaire sur les Lieux saints de La Mecque et Médine, unissant des uléma sunnites et chi'ites qui ont vivement condamné les Saoudiens.

En juin 1990, enfin, des cérémonies pour le 1er anniversaire de la mort de l'Imam Khomeini ont été organisées à Islamabad, Lahore, Rawalpindi, Karachi, Multan, Peshawar, etc.

On connaît bien l'effet cumulatif des ces réunions de propagande politico-religieuse: on en a vu les résultats au Liban, en Iran notamment. Elles se tiennent, au Pakistan, sur un rythme qui s'accélère sans cesse depuis trois ans, et devant un publics chaque année plus large. Des constatations qui ne sont pas forcément de bon augure.

(1) Voir l'article de Michel Pochoy, dans le vol. Il de Contestations en pays islamiques, CHEAM, Paris 1987.
 

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