MAROC


Nom officiel : Royaume du Maroc
Continent: Afrique
Superficie: 447 000 km2 (sans le Sahara occidental)
Population: (1989) +/- 25,6 M. d'h.
Capitale: Rabat (1, 3 M. d'h.)
PIB/h.: (1986) $1225

Régime: monarchie, en général constitutionnelle
Chef de l'État: roi, Hassan II
Chef du gouvernement: Azzeddine Laraki
Ligue arabe: oui (1958)
Organisation de la conférence islamique: oui
Liens avec la République islamique d'Iran: . non

% de non-musulmans: 1%
% de musulmans: 99 %
-vent /100 sunnites malékites



Le mouvement islamiste marocain, c'est le moins que l'on puisse dire, n'a pas la vie facile. Face à toutes les velléités de politisation de l'Islam, Hassan II a en effet montré depuis le début de son règne une fermeté extrême et a joué avec habileté toutes les cartes de son jeu. Descendant du Prophète, Commandeur des croyants: Hassan II s'est bien gardé de se priver de ces prestigieuses références et dès l'indépendance (1956),1'Islam est devenu l'instance de légitimation n°1 du pouvoir. Un islam d'État qui a réduit à bien peu de chose l'espace disponible pour un islamisme de contestation. Au-delà - et jusqu'à une date récente - Hassan II a su éviter les pièges où sont tombés nombre de chefs d'État du Maghreb et senti venir les menaces les plus sérieuses. Jamais au Maroc la laïcisation de la société - pourtant bien réelle - n'a-t-elle été imposée d'en-haut et n'a donc pas joué le rôle de repoussoir qui a été le sien en Tunisie et en Algérie: le code du statut personnel, par exemple, promulgué dès 1957, y est strictement conforme aux préceptes islamiques. Au-delà, chacune des initiatives audacieuses du roi (colloque sur le contrôle des naissances, accueil du chah d'Iran, contacts avec la communauté juive puis avec Israël) a été contrebalancée par des manifestations très visibles et solennelles d'adhésion à l'Islam. Dès la Révolution islamique d'Iran, en 1979, et les premiers frémissements islamistes dans son pays, Hassan II a réagi très vite sur l'échiquier aussi bien intérieur qu'international.

En mai 1979 s'est créé un Comité international al-Qods" dont l'objet est d'œuvrer à la libération de Jérusalem, second Lieu saint de l'Islam après l'ensemble La Mecque-Médine. Depuis, le roi déploie autour de ce comité, qu'il préside, une grande activité, multipliant des initiatives diplomatiques qui sont largement rapportées et commentées dans les médias marocains. Sur la scène intérieure, le roi a suscité, au printemps de 1980, la création d'un Haut Conseil des uléma. Ce bouclier spirituel du régime publie dès le mois d'août suivant une fatwa exposant que les théories de lilmam Khomeini sont contraires à la foi musulmane. Ce Haut Conseil dispose de relais provinciaux qui assistent les représentants de l'État dans leurs rapports avec la population et légitiment à leur niveau l'action officielle.

Entouré de toutes les garanties que lui prodigue l'Islam savant, celui des uléma, Hassan II n'en néglige pas pour autant l'islam du petit peuple, celui des confréries et du culte des saints, si puissant au Maroc. Lors de la cérémonie de circoncision de son deuxième fils, le prince Moulay Rachid, Hassan II a visité les tombeaux des saints de Marrakech et accordé à chacune des confréries locales de généreuses gratifications.
Tout cela rend le roi difficile à mettre en cause et les islamistes marocains ne disposent pas d'un bouc émissaire aussi commode que le défunt chah d'Iran à blâmer pour tous les malheurs qui accablent le pauvre peuple. En octobre 1988, au Caire, Rachid Ghannouchi, émir du MTI, a même été contraint de déclarer que le roi du Maroc était le seul dirigeant "juste" [légitime] du Maghreb...

Ainsi, confrontés à une occupation systématique du champ religieux - et à une répression parfois féroce, comme on va le voir - les islamistes sont encore loin de jouer un rôle politique au Maroc, malgré la dégradation de la situation économique ces dernières années.

Si l'on ajoute que la guerre du Sahara a longtemps provoqué autour du trône une dynamique d'union et que la défense des déshérités est contestée aux islamistes par une gauche laïque militante moins discréditée que dans le reste du Maghreb, on voit qu'effectivement l'opposition islamiste marocaine est dans une situation peu enviable.

La preuve: au début des années 1980, on recense au Maroc une vingtaine d'associations politico-religieuses. Certaines sont locales, d'autres ont une vocation nationale, mais ne rayonnent en général que sur une ou deux grandes villes; plus l'omniprésent Parti de la libération islamique (voir Palestine, p. 170 et s.). Symptôme de sa faiblesse, cet émiettement du mouvement islamiste est simultanément signe de l'efficacité en la matière du pouvoir marocain.

Le Parti de la libération islamique (PLI)

La wilaya marocaine du PLI n'est pas mieux connue que les autres: le secret qui entoure ses structures et ses effectifs est aussi opaque. On sait seulement que le PLI a joué un rôle important dans le déclenchement de ces "émeutes de la faim" qui ont secoué les grandes villes marocaines entre la fin de 1983 et les premières semaines de 1984. Au-delà, le PLI-Wilaya du Maroc diffuse une propagande assez marquée par les thèses de la révolution islamique d'Iran. Il a pratiqué, en tout cas jusqu'au milieu de la décennie 80, ce qu'il appelle des "opérations de purification": des menaces de violences physiques (vitriol, rasoir) contre des jeunes filles non voilées ou des jeunes gens portant des blue-jeans.

L'Association de la jeunesse islamique (AJI) et ses séquelles

La Jama'a ach-Chabiba al-Islamiyya est apparue en 1973 à Casablanca, à Rabat et à Tanger, sous l'impulsion d'un ancien militant d'extrême gauche, l'inspecteur de l'enseignement secondaire Abdelkarim Mouti, et d'un instituteur, Kamal Ibrahim. Comme dans d'autres pays du Maghreb, la Tunisie par exemple et son Association pour la sauvegarde du Coran (voir p.. 201 et s.), I'AJI est àl'origine une initiative officielle qui a mal tourné; ce qui est au départ volonté de réaction aux différentes modalités de l'occidentalisation de la jeunessegauchisme, mouvement hippie, etc. - devient un appel à celle-ci pour qu'elle recherche dans l'Islam les solutions à ses interrogations, à ses angoisses, et s'achève par une critique radicale du régime.

L'AJI connaît vite un certain succès auprès des Iycéens et des étudiants, mais ne sort vraiment de l'anonymat qu'en décembre 1975, à l'occasion d'une affaire de meurtre assez confuse, où beaucoup voient la main de services parallèles du pouvoir marocain. Ce mois-là, Omar Benjelloun, un dirigeant de l'Union socialiste des forces populaires - un succédané marocain du parti communiste - et directeur du journal Al-Mouharir, est poignardé à mort. La police arrête un petit groupe islamiste commandé par un étudiant en droit, Abdulaziz Enumani, en réalité le bras armé de l'AJI selon l'accusation qui prononce la dissolution de cette dernière et condamne ses dirigeants à de lourdes peines. Enumani, auteur présumé du meurtre, est condamné à la détention à perpétuité; le fait qu'il soit toujours en liberté, selon des sources sûres, n'a fait que renforcer les soupçons de manipulation dont nous avons fait état plus haut.

Abdelkarim Mouti, dirigeant n°1 de l'AJI réussit à s'enfuir du Maroc. Réfugié en Arabie Saoudite, il est impliqué en novembre 1979 dans l'attaque de la Grande Mosquée de La Mecque par un groupe de fondamentalistes saoudiens, mais aussi marocains et tunisiens. Depuis, Abdelkarim Mouti vit en exil, principalement en Libye, et publie des ouvrages de sensibilité révolutionnaire islamique.

Apeurés par le climat de répression - qui s'abat durement sur les milieux islamistes marocains - et de violence, nombre d'adhérents de l'AJI renoncent alors à militer. Certains, partis rejoindre l'émigration en Belgique, publient au début de la décennie 80 le bulletin Al-Moujahid" d'autres enfin, restés au Maroc, choisissent la voie légale et créent au début de 1982 l'association islamique (Jama'a Islamiyya), tolérée par les autorités. Son président, Abdulillah Benkirane, publie le bulletin, Al-Islah dont la modération ravit, dit-on, le pouvoir marocain. Autre groupe issu de l'AJI: I'AJI-Commission révolutionnaire. Ce dernier groupe constitue à son tour un "Club de réflexion islamique consacré au travail théorique: adapter l'islam à la vie moderne. Ce club est proche du mouvement Justice et Bienfaisance dont nous parlerons plus bas.

Restent les éléments durs de l'AJI. Incapables d'unité après le départ de Mouti, ils constituent plusieurs groupuscules rivaux: Avant-garde estudiantine islamique, Jihad du Maroc, Mouvement des moujahidin du Maroc. Implanté en Belgique - et strictement clandestin au Maroc - ce dernier groupe appelle au renversement du "chah marocain" et à l'instauration d'une république islamique à l'iranienne. Les moujahidin invitent leurs cadres à accomplir ce qu'ils appellent des "missions éducatives" en Iran et publient à partir de février 1984 le bulletin As-Sisaya (les Cellules), à la thématique révolutionnaire islamique proche d'une autre publication clandestine, Ach-Chahada (Le Témoignage, Le Martyre) dont le n°1 date de juin 1981.

Cette effervescence islamique déclenche une prompte riposte du pouvoir marocain. Mars 1982: suite à des manifestations publiques interdites, la police arrête près de huit cent islamistes. Janvier 1984: suite aux émeutes de la faim, 71 islamistes sont jugés à Casablanca, pour incitation à la grève, diffusion de propagande khomeiniste et appartenance à l'AJI, laquelle a disparu, rappelons-le, au tout début des années 80... 13 inculpés sont condamnés à mort en août 1985, dont 7 par contumace (parmi ces derniers, Abdelkarim Mouti). Un mois plus tard, à Casablanca, la cour d'appel condamne à mort 14 militants de l'ex-AJI, accusés d'avoir cherché à renverser le régime avec l'appui de l'Algérie, et non plus de l'Iran comme auparavant. En octobre 1985, 30 islamistes, la plupart du Mouvement des moujahidin du Maroc, sont jugés à Marrakech, certains par défaut, pour atteinte à la sûreté de l'État. Plusieurs condamnations à perpétuité sont prononcées.

Justice et Bienfaisance (J et B)

En 1974, Abdessalam Yacine, un inspecteur général de l'éducation primaire, adresse à Hassan II une lettre ouverte de 104 pages intitulée L'Islam ou le cataclysme, adjurant le monarque d'en revenir à l'islam. Cela vaut à Yacine près de trois ans d'asile psychiatrique, puis de résidence surveillée et d'être contraint à la retraite anticipée en 1977. En 1983, Yacine sollicite en vain l'autorisation de créer un parti politico-religieux al-Jama'a as-Siasya (l'Association politique). Arrêté en décembre de cette même année, il est condamné en mai 1984 à deux ans de prison pour "écrits injurieux et blasphématoires". Les diverses tentatives de son groupe de publier des journaux sont immédiatement contrées: deux hebdomadaires, Al-Subh (L'Aurore) et A-Khitab (Le Discours) sont interdits l'un en novembre 1983, l'autre en janvier 1984. Al-Jama'a (La Communauté) enfin, est interdit en juillet 1985 après publication d'une dizaine de numéros. Aucun de ces périodiques ne dépasse d'ailleurs une diffusion de 3.000 à 4.000 exemplaires.

Sorti de prison en 1986, Yacine anime dès l'année suivante Al-Adl va'l-Ihsan (Justice et Bienfaisance), mouvement qui se veut unitaire, non violent et très soucieux de justice sociale: un souci réaliste, compte tenu de la situation économique du Maroc. Fin 1987, Yacine publie en France un ouvrage de critique du marxisme-léninisme.

Pendant les années 1987-1989, le pouvoir marocain fait preuve d'une certaine tolérance envers J et B: certes le mouvement n'est pas légalisé et sa revue reste interdite, mais Yacine dispose d'un minimum de liberté d'action. Inconnu au départ, J et B finit par disposer d'une certaine audience dans les milieux de l'enseignement. Une influence que la prudence et la grande discrétion des membres de J et B - même si leur mouvement n'est pas formellement clandestin - ne permettent pas de mesurer vraiment.

Mais la clémence du pouvoir ne va pas durer: dès la rentrée de 1989, alarmé par la montée du courant islamiste en Algérie (voir FIS, p. 48 et s.), le roi Hassan II agit pour éviter toute "contagion régionale" (voir le détail de la répression, plus bas, dans la chronologie 1989-1990).

Ce d'autant plus qu'un dérapage malencontreux - le seul sérieux qu'il ait commis en la matière - vient réduire la marge de manœuvre du monarque. En décembre 1989, interviewé par la télévision française au plus fort de l'affaire du "voile islamique", Hassan II affirme que les jeunes musulmanes marocaines n'ont pas à porter le hijab en France et souligne que ses propres filles jouent au tennis et nagent dans des tenues sportives occidentales. Cette déclaration est très mal reçue au Maroc où aucun religieux - pas même l'un des uléma proches de la cour - ne voudra soutenir le roi sur ce point. Mais malgré cela, le mouvement islamiste marocain, en partie récupéré par un pouvoir habile, divisé, traqué par un système répressif qui ne lui fait aucun cadeau, est encore loin de représenter une force d'alternance crédible.

CHRONOLOGIE

1989 : Octobre: arrestation à Fez d'un militant de J et B. Mounir Regragui. J et B est très actif à l'université de Fez.

Novembre: vague d'arrestations de membres de J et B dans tout le pays: Casablanca, Tétouan, Taroudant :24 interpellés rien que dans cette dernière ville, dont 6 professeurs et instituteurs. Motif: menaces pour la sécurité de l'État et réunions non autorisées.

Décembre: 17 islamistes écopent de peines de prison allant d'un mois à un an ferme.

Le 30, cheikh Abdessalam Yacine, 62 ans, est mis en résidence surveillée.

1990

Janvier: dissolution de J et B. le 10; trois jours plus tard, arrestation des 6 membres du conseil de direction de l'association, dont les véhicules sont confisqués. Parallèlement, des dizaines de militants sont placés en détention préventive, dont plusieurs membres de la famille d'Abdessalam Yacine; parmi ceux-ci, le gendre de cheikh Abdallah Chibani. Yacine est informé que son organisation doit cesser toute activité politique. Au cours des mois de janvier et février, plusieurs procès de cadres et de militants de J et B ont lieu au Maroc, à Salé, Kenitra, Casablanca, Agadir. S'il y a des acquittements ( un tiers des inculpés), les condamnations à des peines oscillant entre six mois à deux ans de prison sont fréquentes, ainsi que les amendes comprises entre 6 000 et 18 000 francs (FF, de fortes sommes au Maroc.

Mars: les 6 membres du conseil de direction de J et B sont condamnés à deux ans de prison ferme et 7 000 francs d'amende pour "participation à une organisation illégale; collectes de fonds non autorisées; manifestations susceptibles de troubler l'ordre public".

Mai: manifestation de plus de 2 000 militants de J et B devant la cour d'appel de Rabat, à l'occasion d'un procès; la plus importante jamais organisée à Rabat depuis 1984. Beaucoup de jeunes hommes portant la barbe; ils sont évacués de force par la police qui en arrête 300.

Juillet: dans un entretien avec un magazine marocain, Le Libéral Abbassi Madani, dirigeant du FIS algérien, déclare: "Le Maroc est un pays frère; ce qui est bon pour nous est bon pour lui. [...] La société maghrébine est dans son ensemble une société musulmane sunnite...Une seule religion, un seul rite et une seule langue [...]. Mais Madani ajoute que, pour l'instant, "on ne peut songer à un Etat islamique englobant tout le Maghreb".

Août: suite à un prêche enflammé qu'il y a prononcé devant plus de 1 000 personnes, Abdessalam Yacine est interdit de présence dans sa mosquée, Sidi Saïd, à Salé, non loin de Rabat.
 

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