LIBYE


Nom officiel: Jamahiriyah libyenne arabe socialiste
Continent: Afrique
Superficie: 1, 76 M. de km2
Population: (1989) 4M. d'h.
Capitale: Tripoli (+1/- ,2 M. d'h.)
PIB/h.: (1986) $ 5 620
Pétrole (production): (1988) 50 M. de t. (1, 7% de la prod. mond.)
Pétrole (réserves connues): 3. 5 milliards de t.

Vecteurs et engins de destruction massive:
. vecteurs: Scad B (Urss), 300 km, 1t. de c.u.
. engins: chimiques: peut-être. Nucléaires: non, mais programme en cours.

Régime: présidentiel, militaire
Chef de l'État: colonel Muammara-Kadhafi
Ligue arabe : oui (1953)
Organisation de la conférence islamique: oui
Liens avec la République islamique d'Iran : ambassades

% de non-musulmans: 3 %
- ventilation: Eglises chrétiennes diverses
% de musulmans: 97 %
- vent. /100: - sunnites malékites pour la plupart



Les rapports entre le colonel Kadhafi et l'Islam organisé n'ont jamais été vraiment bons. Au tout début de leur carrière politique, les " jeunes officiers" auteurs du coup d'État du 1 or septembre 1969 sont des nationalistes arabes, des nassériens bon teint. Et, s'il provient lui-même d'une tribu favorable à la Sénoussia - une confrérie dont nous reparlerons -Moammar Kadhafi est à l'époque, au mieux, indifférent à l'Islam.

Mais, dès 1970 une agitation se manifeste en Libye, poussée en sous-main par des ordres ou confréries musulmans et Kadhafi comprend vite les termes de l'alternative: puisque combattre l'Islam est impossible, reste le choix de l'ignorer et alors de laisser le champ libre à sa tendance militante ou de l'utiliser, de l'absorber, d'en faire le socle de son projet global. Dès 1972, Kadhafi muselle les Sénoussis en Cyrénaïque: des comités populaires neutralisent d'abord, remplacent ensuite, les élites traditionnelles.

Mais c'est loin de suffire: en 1973, la "Révolution culturelle libyenne" - dont le Petit Livre est vert - est lancée par Kadhafi. Son objectif: purifier moralement la société libyenne grâce à une macédoine idéologique à base d'unité islamique, de nationalisme arabe et de socialisme - également islamique - le tout pratiqué sur le mode de la démocratie directe. Le drapeau national prend la couleur verte de l'islam et le pouvoir libyen subventionne largement un mouvement missionnaire fondé en 1972, al-Da'oua al-Islamiyya, très actif en Afrique et dans le Tiers-monde.

L'Islam - façon Kadhafi- est désormais bien au centre de la problématique révolutionnaire libyenne, qui va parfois beaucoup plus loin dans l'exaltation symbolique ou culturelle de l'Islam que ne l'exigent les mouvements islamistes les plus radicaux. Un islamisme d'État étant encore le meilleur barrage contre un islamisme de contestation.

Peu après le lancement de sa "Révolution culturelle", Kadhafi fait donc arrêter plus de 400 activistes musulmans, pour la plupart militants à l'Ikhwan ou au Parti de la libération islamique (PLI). Plusieurs sont exécutés en public pour l'exemple.

Malgré cette répression, la recette - l'Islam, oui, les islamistes, pas question - fonctionne pendant plusieurs années et d'autant mieux que les colossales ressources pétrolières libyennes préviennent en même temps la constitution de ces couches déshéritées où les islamistes recrutent partout et toujours leur masse de manœuvres.

En 1977, la Jamahiriya - ('Etat des masses) est instaurée, suivie l'année d'après par une "Révolution islamique" conçue pour être la clé de voûte de l'édifice idéologique Kadhafiste. Cette "Révolution" a pour principal objet l'éradication du milieu des uléma, où naît immanquablement l'agitation islamique ,et qui lui fournit tous ses cadres. Ceux-ci se rendent vite compte que chacune des "innovations" de Kadhafi est pour eux un coup mortel. En effet, les biens religieux sont nationalisés et un dogme révisé est diffusé officiellement, selon lequel le Coran constitue à lui seul le socle de la foi musulmane, la tradition (sonna) et les faits et dits du Prophète (hadith) n'ayant aucune valeur normative ou autre. En prime, chaque croyant est invité par Kadhafi à faire lui-même, au jour le jour, le travail d'adaptation de l'Islam à ses besoins existentiels propres.

Détenteurs de la tradition, gestionnaires des biens religieux, interprètes des textes sacrés, les uléma se voient brutalement privés de tout rôle, de toutes ressources autonomes. Allant plus loin, le colonel Kadhafi décide que le calendrier musulman commence à la mort du Prophète (632), et non pas à l'hégire (622), et que le pèlerinage (hajj) n'est pas vraiment l'un des piliers de l'Islam.

Cela fait beaucoup. Ajoutons à cela l'incorporation de l'Islam, par fragments, dans le patchwork idéologique du régime et la constitution d'une garde féminine - visages dévoilés et treillis moulants-vouée à la protection du "frère dirigeant": cela fait trop.

Les uléma, les islamistes réagissent en qualifiant ces innovations d'abominables et d'hérétiques et, dès la fin des années 70, l'agitation reprend dans les mosquées. Dès 1980, c'est la contestation ouverte. A la fin de l'année, cheikh al-Bishti, très populaire en Tripolitaine, disparaît. Ses sermons - très suivis - étaient sans doute trop critiques pour le régime: il meurt en prison, sous la torture. Peu après, le pouvoir commence à fermer des mosquées, comme celle de Jaghboub, où siège le conseil de la Sénoussia ou encore comme celle de l'université islamique d'al-Baïda. D'autres mosquées sont détruites: Sidi Hamouda à Tripoli, Abdessalam à Zliten. La situation s'aggravant encore, les 48 instituts islamiques de Libye sont fermés en octobre 1986, et la mainmise des comités populaires sur les mosquées, renforcée.

LES FORCES ISLAMISTES EN LIBYE

L'histoire du mouvement islamique en Libye est d'abord celle de la Sénoussia. Cette confrérie politico-militaire, fondée au début du XIXe siècle, à La Mecque, par un alim algérien, Seyyed Mohamed Ben Ail as-Sanoussi, disciple du grand maître souri marocain Ahmad Ben Idris, trouve sa terre d'élection en Cyrénaïque, où ses zawiyah (loges), s'implantent en profondeur, jusqu'à enrôler à peu près un tiers de la population. Fondamentaliste, la Sénoussia, comme le mouvement du Mahdi au Soudan (voir p. 187), se développe en réaction contre l'invasion de l'Afrique musulmane par des colonisateurs chrétiens. Cependant, quand l'armée italienne débarque en 1911, peu nombreux sont les chefs sénoussis à choisir la voie de la résistance armée, ou celle de l'exil au Soudan ou en Egypte. La majorité collabore avec la puissance coloniale italienne et se replie sur des fonctions sociales ou économiques.

Après l'indépendance (1951),1'ordre sénoussi subit la concurrence de mouvements nationalistes arabes (bassistes ou nassériens), mais aussi d'organisations islamistes plus modernes et plus dynamiques - les Frères musulmans, par exemple.

Tous critiquent la soumission du roi Idriss - qui règne surtout en tant que grand maître de la Sénoussia - aux ordres des Britanniques d'abord, des américains ensuite; aux intérêts économiques italiens, enfin. Après le coup d'État, l'agitation de 1970 et ses conséquences - évoquées plus haut - l'ordre sénoussi ne présente plus aujourd'hui un réel danger pour le régime du colonel Kadhafi.

D'autres mouvements islamistes sont, eux, bien vivaces et très actifs:

Les Frères musulmans libyens, qui sont en liaison constante avec leurs homologues soudanais ou égyptiens, jouent un rôle important au sein d'un mouvement d'opposition (en exil): le Front national pour le salut de la Libye (FNSL). Ce Front, dont la direction se trouve au Soudan, a été tour à tour aidé et financé par les pays arabes victimes des agressions - verbales ou autres - du bouillant colonel: Arabie Saoudite, Egypte, Irak, Maroc...sans oublier le Tchad, bien sûr, désireux de gêner Kadhafi de toutes les façons possibles. Le Front dispose à N'djamena d'une radio, de locaux et d'un camp d'entraînement.

En Libye même, l'action des mouvements islamistes est perceptible, bien que les informations diffusées à leur propos par la presse et les officiels du pays soient des plus rares.

Ces mouvements sont les sections libyennes d'organisations transnationales connues dans d'autres parties de l'oumma, tels:

· Le Parti de la libération islamique/Wilaya de Libye (PLI). Comme partout ailleurs, il a tenté d'infiltrer les forces armées du pays. Avec quelques succès, si l'on en croit les échos qui ont filtré de Libye au moment du procès d'un noyau activiste d'une autre wilaya du PLI, en Tunisie (voir p. 207 et s., et Palestine, p. 170 et s.).

· Le Jihad islamique, groupe similaire à celui d'Egypte (voir p. 85 et s.). En 1984, 2 étudiants accusés d'être respectivement membres du PLI et du Jihad ont été pendus en public sur le campus de l'université al-Fatah à Tripoli. Trois ans plus tard, la télévision libyenne a présenté la pendaison de "9 membres du Jihad islamique et du HizbAllah" dans un gymnase de Tripoli. Ils étaient accusés d'avoir tenté d'empoisonner, en juillet 1986, l'eau d'un hôtel de Tobrouk où résidaient des conseillers militaires soviétiques et d'avoir assassiné un dirigeant des Comités populaires chargé de l'exécution de mesures économiques, elles, impopulaires.

Il existe aussi en Libye des noyaux wahhabites soutenus par l'Arabie Saoudite, proches d'un Mouvement des moujahidin regroupant d'anciens volontaires libyens partis s'engager dans le Jihad anti-soviétique d'Afghanistan, au sein de mouvements fondamentalistes, eux aussi pro-saoudiens, comme l'Ittihad al-Islami d'Abdulrassoul Sayyaf.

CHRONOLOGIE

1989

Janvier: au début du mois, des éléments islamistes - des Frères musulmans selon des sources locales - fomentent des troubles dans les universités de Tripoli et de Benghazi. Le 8, une manifestation à l'université al-Fatah de Tripoli est durement réprimée. Nombreuses arrestations.

Septembre: à l'occasion d'une conférence internationale tenue à Benghazi, le colonel Kadhafi menace "ceux qui tentent de diviser la communauté musulmane" [les mouvements islamistes] ils constituent, selon lui, "la cinquième colonne de l'impérialisme". Parallèlement, la conférence condamne Les Versets sataniques de Salman Rushdie.

Octobre: le colonel Kadhafi continue sa campagne contre les islamistes,: "ces nouveaux hérétiques dit-il dans un discours, plus dangereux que le cancer et le sida". Il raconte - sans donner de dates - qu'un groupe d'islamistes armés s'est retranché près de la ville d'Adjabiya (au sud de Tripoli) et menace de tirer sur quiconque s'approche de ses positions.

1990

Juin: mise en place dans toute la Libye d'une garde populaire dont la mission exclusive est la surveillance attentive des mosquées, de ceux qui s'y rassemblent, du contenu des sermons: une tentative claire d'empêcher les islamistes de constituer des réseaux à partir des lieux de culte.

Juillet: Kadhafi ne renonce pas à jouer un rôle sur la scène islamique et réunit à Tripoli le Commandement populaire islamique International, organisme parallèle au Da'oua dont nous avons parlé plus haut: le secrétariat général des deux structures étant occupé par la même personne. Des discours enflammés et un résultat concret: renforcer et faire jouer un rôle plus important au bras extérieur du Commandement, le Centre mondial de recherche islamique, implanté à Malte.

Dans un discours prononcé devant des mouvements de jeunesse, Kadhafi appelle à "décapiter et massacrer" les militants des groupes islamistes, PLI, Jihad, Tabligh, al-Da'oua, etc., à les traiter "comme des loups, des renards, des scorpions".

Septembre: grande réception à Tripoli pour la 4e conférence générale d'al-Da'oua, qui coïncide avec son 20e anniversaire. Plus de 500 uléma, venus du monde entier, sont réunis et votent une motion finale de soutien aux musulmans en lutte au sud des Philippines, au Kashmir, à Sri Lanka, en Chine, en URSS, en Yougoslavie, en Albanie et en Afrique du Sud.
 

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