Vecteurs et engins de destruction massive:
. vecteurs: Scud B (Urss) 300 km, 1 t. de c.u.
· engins: chimiques, possible; nucléaires,
non, mais programme en cours
Régime: république présidentielle
Chef de l'État: Hosni Moubarak
Chef du gouvernement: Atef Sedki
Ligue arabe: oui (1945)
Organisation de la conférence islamique: oui
Liens avec la République islamique d'Iran: non
% de non-musulmans: +/- 15%
- ventilation: dont coptes: +/- 75 %
% de musulmans: 85%
- vent. /100 tous ou presque sunnites; Haute-Egypte:
malékites; Basse-Egypte : shaféites quelques hanafites.
LES PRINCIPES
Le projet de Hassan al-Banna, très affirmé dès l'origine, ne variera plus pour l'essentiel, par la suite:
. Refus de l'asservissement culturel, politique ou économique
de l'oumma par des forces étrangères (n'oublions pas que
l'Egypte des années 30 est une colonie britannique) Commerces et
services y sont en outre le plus souvent contrôlés par des
étrangers (grecs, italiens, etc.) chrétiens.
· Instauration d'un ordre islamique politique,
économique et social; dans le domaine judiciaire, restauration de
la charia.
· Refus de tout nationalisme, y compris le nationalisme
arabe, considéré comme hérétique au même
titre que le racisme: "L'islam ne connaît pas de frontières
géographiques ni de différenciations raciales ou civiques",
écrit al-Banna.
· Volonté de constituer une organisation
de masse à bases multiples (lieux d'enseignement, associations sportives
et culturelles, syndicats professionnels, systèmes d'entraide, etc.).
· Volonté d'expansion partout où
existent des communautés musulmanes, à commencer par les
pays arabes voisins de l'Egypte (voir Palestine, p. 170 et Soudan p. 187,
par exemple).
Cette doctrine, les Frères égyptiens la prêchent inlassablement depuis soixante ans, partout où ils le peuvent, mais surtout à la petite bourgeoisie urbanisée, leur terrain d'élection: fonctionnaires, commerçants, intellectuels et universitaires, cadres de l'armée, etc.
LES GRANDES DATES
Si les Frères (FM) font de leur accession au pouvoir une affaire de longue haleine, fondée sur la persuasion et l'éducation de tout un peuple, ils disposent dès les années 30 de l'embryon d'une "branche spéciale" paramilitaire qui participe en 1936 à l'insurrection arabe dans la Palestine mandataire. En 1941, Hassan al-Banna est arrêté par les Britanniques et passe plusieurs mois en prison. A sa libération, il décide de donner de l'ampleur à 1' "appareil spécial" qui compte après la guerre 40 000 hommes, dont un, millier armés. Voici ce que répond à une question sur cet appareil—"On dit que l'Imam martyr Hassan al-Banna confiait des tâches très particulières à des gens connus de lui seul. Que pensez-vous de cela ?" - un député FM jordanien, Mohamed Abou Paris: "Si un groupe a une mission spéciale, par exemple combattre les juifs en Palestine [...] ou les Britanniques dans la zone du Canal de Suez, cette mission est de nature privée et non publique. Cela est nécessaire pour protéger de l'ennemi les membres du groupe . L'appareil spécial ne va pas rester l'arme au pied. En février 1945, le Premier ministre Ahmad Maher est assassiné en plein milieu du Parlement égyptien. Durant la même période, un ministre anglophile, Amin Osman Pacha, un chef de la police, Salim ZaLi Pacha, et un juge, Ahmad Khazindar, tombent également sous les balles des FM. En 1948,1'appareil spécial est engagé dans la guerre de fondation d’Israël et, en 1956, dans la guérilla de la zone du canal, lors de l'expédition franco-anglaise sur Suez.
L'après-guerre est difficile pour les Frères égyptiens, malgré l'énorme succès qu'ils connaissent. Ils sont en effet l'unique force hostile à l'occupation britannique et à la colonisation sioniste de la Palestine; ils totalisent près de 2 millions d'adhérents en 1948, dont 1 million en Egypte. Mais, en décembre de cette année-là, ils sont dissous une première fois, malgré leur engagement -grèves insurrectionnelles, attentats contre des officiers britanniques - dans les combats de l'indépendance de 1946. Vingt jours après le coup qui les frappe, les Frères réagissent et le Premier ministre Mahmoud al-Nokrashi est assassiné. Hassan al-Banna lui-même tombe en février 1949, victime de tueurs à gages. Malgré la levée de leur interdiction en mai 1951, ils décident de soutenir, l'année suivante, le coup d'État des "officiers libres" menés par Gamal Abdel Nasser
En décembre 1953 arrive au Caire, à l'invitation des Frères, Navab Safavi, le dirigeant charismatique dès Fedayin de l'Islam iraniens. Un étudiant sera très attentif aux propos de Navab Safavi: Yasser Arafat, qui fera plus tard parler de lui.
Une brève lune de miel avec le pouvoir nouveau, sans lendemain, et les Frères sont dissous, pour de bon, en octobre 1954, après une tentative d'assassinat sur la personne de Nasser.6 dirigeants des FM, dont Ibrahim Tayeb, chef de l'appareil spécial, sont exécutés en décembre de la même année. Le guide suprême, cheikh Hassan alHudaybi est condamné à perpétuité. Les vingt années qui suivent sont celles d'une répression féroce: plus de 70 000 militants, cadres et dirigeants du mouvement jetés en prison ou dans des camps, fréquemment torturés; 11 000 lourdement condamnés.
Cette sombre période voit émerger la figure de Seyyed Qotb, dont la pensée va irriguer tout le courant révolutionnaire islamique contemporain, sunnite aussi bien que chi'ite. Né en 1906, cet intellectuel très écouté chez les Frères est depuis 1952 membre du conseil de direction de l’Ilkhwan et responsable de l'action missionnaire (datoua). Il refuse de composer avec le régime et plonge dans la clandestinité. Arrêté peu après, il est condamné en juillet 1955 à 25 ans de travaux forcés et n'est libéré qu'en 1964, au moment où Nasser assouplit sa position face aux Frères. Mais Seyyed Qotb est à nouveau emprisonné à la fin de 1965, alors que 40 000 Frères sont à nouveau jetés en prison. Motif: complot ourdi par l'Arabie Saoudite visant à faire assassiner Nasser et la chanteuse Oum Kalsoum, les deux gloires nationales égyptiennes. Condamné à mort, Seyyed Qotb est pendu en août 1966 avec 2 autres dirigeants de l'lkhwan, Youssef Hawash et Abdulfattah Ismail. Son courage, son calme lors du procès font de lui un martyr; l'un de ses livres - il en a écrit plus de vingt - Jalons au long de la route devient l'étendard de l'intelligentsia islamique. Il y prône une rupture radicale avec la société actuelle, irrémédiablement corrompue et revenue à la barbarie antéislamique; le retour à la société islamique fondée par le Prophète et ses compagnons; la révolution islamique et le rejet du capitalisme comme du communisme, ces deux faces de la même pièce matérialiste. Ce que les islamistes anglophones traduiront par le slogan: "Neither East nor West, Islam is the best".
La fin des années 60 est la période des traumatismes pour le peuple d'Egypte: lourde défaite face à Israël en 1967; mort de Nasser trois ans plus tard. Conséquence de ces chocs successifs: quand en 1971 Sadate, lui-même ex-membre des FM, fait sortir les Frères de prison, le retour en masse des Egyptiens vers les valeurs de l'islam est en bonne voie.
LA VOIE ACTIVISTE
Que faire ? Les Frères sont partagés entre partisans de la voie traditionnelle, celle du long terme, de la persuasion - de l'entrée en politique peut-être - et partisans de l'action, les disciples de Seyyed Qotb. Pendant les années 70, Sadate, le mouvement des Frères musulmans et les groupes radicaux qui en sont issus vont jouer une partie triangulaire compliquée. Sadate a besoin du mouvement musulman pour contrer l'influence de la gauche et des nassériens; les Frères choisissent de jouer le jeu avec l'État et d'investir la société, publiant leurs journaux sans référence directe à l'organisation, ou prenant officieusement position dans l'hebdomadaire As-Shaab.
Cela dit, légalisme ne signifie pas pour autant modération en politique: dans le premier numéro légal de leur magazine Al-Da'oua, les Frères sont très nets: l'Islam a quatre ennemis irréductibles, le judaïsme ou sionisme, les "croisés" ou impérialistes occidentaux, le communisme et la laïcité. Nouer des compromis avec eux c'est trahir l’Islam.
Ils n'en nouent pas moins des alliances électorales avec des partis laïcs et se présentent désormais comme un mouvement de prédication, hostile à la violence, décidé à transformer la société en islamisant ses institutions modernes. Ils ont, dans l'actuelle législature, 61 députés, des "indépendants", sur un total de 458. Les durs, profitant de la dégradation de la situation économique et de la paupérisation de pans entiers de la population, sont décidés à frapper un pouvoir selon eux satanique. En attendant, ils abritent leurs associations, les Jama'a Islamiyya à l'ombre de celles des Frères. Ceux-ci se distancient des radicaux sans chercher à les écraser: repoussoirs parfaits, ils leur permettent d'apparaître comme des modérés.
Les Frères "traditionalistes" conservent également le contrôle de l'appareil supranational de l'Ikhwan. Ce discret bureau international, qui siège au Caire et dont le dirigeant est le cheikh Hamid Abou Nasr, dispose d'un bureau d'orientation qui est actif dans les affaires de l'Islam arabe (voir Syrie, p. 194).
LES MOUVEMENTS ISLAMISTES ACTIVISTES
Dès le début de la décennie 70, les groupes islamistes radicaux s'organisent dans nombre de mosquées et d'universités; notamment dans les facultés scientifiques (ingénierie, médecine, économie, agronomie, etc.). Leurs fiefs ? Des mosquées "non officielles" de la banlieue du Caire, d'Assiout, de Minya, de Sobag Les universités du Caire, de Fayoum, de Hélouan, de Zagazig. Fait important: plus de la moitié des activistes islamistes égyptiens connus à ce jour sont des étudiants ou des diplômés de l'université.
La composition sociale, la structuration, l'activité militante - et militaire - diffèrent très peu d'un groupe à l'autre. Et ressemblent naturellement, l'activité terroriste mise à part, au mode d'organisation en vigueur chez les Frères. D'où une grande difficulté à repérer précisément les noyaux activistes; à avoir, même sur plusieurs années, idée de leur existence, tant qu'ils ne sont pas passés à l'action.
Grande différence avec les partis politiques des pays occidentaux: ce n'est pas un individu qui décide d'adhérer à l'association des Frères musulmans ou à l'Organisation du Jihad - ou à la première, en trompe l'œil, pour mieux dissimuler une action clandestine dans le cadre de la seconde -mais une "famille". L'Ushah Islamiyya est un noyau de 10 à 20 personnes qu'un élément pivot a recrutées par voie de prédication dans son voisinage, à la mosquée locale, sur son lieu de travail ou encore dans un cadre associatif quelconque. Ce noyau vit de façon quasi communautaire, accomplit en groupe les rites de l'islam, mais aussi la plupart des gestes de la vie courante. A la façon des communautés charismatiques existant dans l'Église catholique, s'il faut établir chez nous une comparaison, chacun vit sous le regard des autres; tout se sait: la pénétration y est donc des plus difficiles, et les trahisons extrêmement rares. Cette famille va à son tour adhérer - processus collectif ou décision du guide, cela dépend - à une Jama'a Islamiyya, une association fonctionnant elle-même pour le compte des Frères ou du Jihad, etc. Dans tous les cas, le cloisonnement et le secret sont de rigueur, chaque "famille" ne sachant rien des autres; rien non plus de la hiérarchie des échelons supérieurs.
Celui qui adhère à une "famille" va passer par trois états successifs:
· "Assistant": niveau de base,
· "Compagnon": niveau moyen, où il est
initié au fonctionnement de l'association.
· "Activiste": niveau supérieur: auquel
on se consacre à temps plein.
Assistants et compagnons obéissent: ils sont en général chargés de la propagande (porte-à-porte, prêches, contacts dans les mosquées, organisation de conférences, distribution de brochures, de tracts, etc.); les activistes commandent. C'est parmi eux que sont choisis les chefs du mouvement; eux seuls ont accès aux secrets. Ceux de l'organisation militaire notamment.
Car les groupes du type Jihad (voir plus bas) dispensent à leurs activistes un entraînement militaire rigoureux, qui se fait en trois étapes:
· Elémentaire: cours de topographie, de
secourisme, apprentissage des règles de sécurité,
culture physique et sports de combat, cours de conduite automobile.
· Supérieur: maniement des armes et explosifs;
initiation aux tactiques de commando.
· Pratique: mise en application des connaissances
acquises aux deux niveaux précédents. Au Liban, par exemple,
ou alors en Afghanistan. On dit que les Frères soudanais, au pouvoir,
font preuve d'une généreuse hospitalité...
Ces Jama'a radicales, "qotbistes", retrouvent leurs thèses dans l'hebdomadaire révolutionnaire slamique Al-Nour.
Au cours de la décennie 70, plusieurs groupes activistes slamistes sont apparus en Egypte. Mais les plus célèbres, responsables de la plupart des actes de violence, sont: le Mouvement islamique de libération (Munazamat al-Tabrir al-Islami); la Jama'a Islamiyya, connue sous le nom d'al-Takfir wail Hijra (Anathème et Hégire), et 1' Organisation du Jihad (Tanzim al-Jihad).
LE MOUVEMENT ISLAMIQUE DE LIBERATION (MIL)
Il a été fondé en 1971 par un Palestinien, qui fut dès la fin des années 50 l'un des premiers membres du Fatah, Salah Siriyya. Membre actif du Parti de la libération islamique (PLI, voir Palestine, p. 170), il se détache du combat palestinien, qui suit, après la guerre de 1967, une voie nationaliste et laïque. En 1971, après diverses tentatives infructueuses en Libye et en Irak, il se fixe en Egypte et travaille pour la Ligue arabe. Parallèlement, il commence à établir des cellules islamistes clandestines au Caire, à Alexandrie et dans diverses villes du delta du Nil. Il noue très vite des liens avec des groupes similaires en Jordanie, en Syrie, au Soudan et dans les territoires occupés par Israël, tous, sans doute, dans la mouvance du PLI. Le MIL fonctionne sous l'autorité d'un comité exécutif de 12 membres, assez démocratiquement. Siriyya peut y faire valoir son point de vue, mais non l'imposer. C'est ainsi que le principal "coup d'éclat" du mouvement, sa tentative de prendre d'assaut en avril 1974 l'académie militaire égyptienne d'Héliopolis, fut décidé contre l'avis de Siriyya. La popularité de Sadate était telle après la guerre du Kippour, en 1973, que l'opération avait mal prise, même par les musulmans sincères, avait-il fait remarquer, sans emporter la décision. L'académie occupée, le plan prévoyait l'attaque du siège du parti unique, l'Union Socialiste arabe, au moment où Sadate y prononcerait un discours. Après quoi, Siriyya proclamerait la fondation d'un Etat islamique. L'assaut de l'académie militaire ayant échoué, au prix de 30 morts (chiffre officieux) et de 72 blessés, l'état-major du MIL et Siriyya lui-même ne tardèrent pas à être capturés et jugés. Siriyya fut pendu en novembre 1976. Mais des cellules du MIL ont continué à survivre: l'une d'elles donnera même naissance au Jihad. il en existe sans doute encore aujourd'hui, bien que le MIL n'ait revendiqué aucune action violente depuis plus d'une décennie.
L'ASSOCIATION ISLAMIQUE ANATHEME ET HEGIRE [AL-TAKFIR WA'L HIJRA]
Ce groupe se désignait uniquement comme Jama'a Islamiyya ou encore Jama'a al-Muslimin; c'est la presse égyptienne qui lui donna le sobriquet ironique et malveillant de Takfir wa'l Hijra. C'est en 1971, au sortir de sept ans de prison, que Choukri Moustafa crée son mouvement. S'il est lui aussi, à l'origine, proche du PLI, le Takfir diffère considérablement du MIL. D'abord par la personnalité de son fondateur. A la direction de son mouvement, Siriyya donne une impulsion, mais ne décide pas souverainement; Choukri Moustafa, lui, est considéré par ses fidèles comme un mahdi, il se comporte à leur égard comme l'Amir ul-Muminin, le Commandeur des croyants. Contrairement au MIL, qui finit par se lancer dans un coup d'État, le Takfir prône une stratégie extrêmement sectaire et au long cours. Les fidèles doivent commencer par dénoncer la société actuelle, corrompue - c'est l'anathème - et se séparer totalement d'elle - l'hégire. Puis reconstituer des groupes de vrais musulmans; quand ceux-ci seront en nombre suffisants, le Takfir passera à la conquête du pouvoir. Entre 1971 et 1976, dans sa phase souterraine, le Takfir s'est implanté – surtout en Haute-Egypte - et est entré en relation avec des groupes islamistes au Pakistan, dans le Golfe (Koweit, Arabie Saoudite), en Turquie, en Syrie, en Jordanie et en Libye. Au moment de l'arrestation de Siriyya et des cadres du MIL, Moustafa décide de passer à l'action. En juillet 1977, le Takfir enlève le docteur Mohamed Hussein al-Dhahabi, ancien ministre des Cultes. En 1975, alors qu'il est ministre, Dhahabi a écrit un texte très remarqué montrant à quel point l'idéologie du Takfir est éloigné de l’Islam. Contre sa libération, Moustafa exige celle de Siriyya et de ses camarades, plus le serment public du pouvoir de suivre la voie de l’islam. Ces propositions sont rejetées, et le ministre, assassiné. L'enquête permet l'arrestation ce même mois de plus de 400 militants du Takfir et de ses dirigeants. Choukri Moustafa et 4 de ses "frères" sont exécutés en mars 1978, pour avoir organisé le premier enlèvement, suivi d'un meurtre, de l'histoire de l'Egypte moderne. Comme le MIL, ceux des activistes restés libres poursuivent leur action: on en trouve mêlés à l'assassinat d'Anouar al-Sadate, trois ans plus tard.
Le Takfir continue d'exister de façon clandestine. Lors des émeutes d'octobre 1988 en Algérie, son influence sur certains islamistes durs de ce pays a été évoquée. Et certains médias iraniens ont parlé récemment de 1' "aide" que la République islamique apportait à ce mouvement.
L'ORGANISATION DU JIHAD : [ITANZIM AL-JIHAD]
Des "familles" du MIL ayant survécu à la répression dans la région d'Alexandrie créent en 1975-1976, sous la direction d'un "émir" nommé Ali al-Maghribi, un mouvement du nom de Jihad, démantelé dès 1978. Scénario classique: ses éléments restés libres continuent le combat. Dès 1978, le Nouveau Jihad se spécialise dans les opérations antichrétiennes d'abord dans le sud du pays, puis dans le bastion islamiste d'Assiout, en MoyenneEgypte, où la minorité chrétienne copte est importante.
Dans les années 1979-1981, outre son travail de prédication, le Jihad mène de front plusieurs activités:
· Un travail de pénétration dans
les forces armées égyptiennes, par le biais des relations
familiales ou amicales des militants. Outre un nombre non négligeable
de sous-officiers et même d'officiers, le Jihad recrute Abboud al-Zomor,
colonel du renseignement militaire, qui va jouer un rôle important
dans l'assassinat du président Sadate.
· Une intense entreprise de formation militaire
de ses militants, grâce aux sous-officiers qui lui sont acquis.
· L'accumulation de moyens financiers, par le
biais de nombreuses attaques à main armée visant surtout
des bijouteries de la banlieue du Caire.
La direction du Jihad, collégiale, compte deux éléments clés:
· Un idéologue, Abdessalam Faraj, auteur
du programme du mouvement, L 'Obligation occultée, une brochure
d'une cinquantaine de pages conçue comme un outil de réflexion
à l'intention des militants du Jihad et des milieux islamistes sympathisants.
Tirée clandestinement à 500 exemplaires, sa thèse
centrale est que le devoir de jihad, de guerre contre les incroyants, a
été oublié, occulté, bien qu'il constitue pour
le musulman sincère une obligation au même titre que les autres
piliers de l'islam: prière, profession de foi, aumône, pèlerinage,
etc. Natif de Basse-Egypte, Faraj est un technicien chargé de l'entretien
du réseau électrique dans l'administration de l'université
du Caire. Dès 1978, il est membre du Jihad d'Alexandrie. Après
son démantèlement, Faraj se fixe au Caire et commence à
structurer sa propre organisation, le Nouveau Jihad.
· Un prédicateur, le cheikh aveugle Omar
Abdurrahman. Déjà emprisonné dans les années
70 pour activisme islamique, le "mufti du Jihad" enseigne en Arabie Saoudite
entre 1977 et 1980. A son retour il reprend sa place de guide religieux
du mouvement et rédige - c'est lui-même qui le dit - la fatwa
ordonnant l'assassinat de Sadate. Au début de 1981, le Jihad est
une redoutable machine de guerre, implantée dans l'agglomération
du Caire et dans les 4 provinces de Haute-Egypte. Plus dangereux encore
que le Takfir, lui ne se retire pas de la société, mais s'infiltre
quand il le peut dans les secteurs sensibles de l'État, - armée,
renseignement...
Montée de l'activisme, agitation autour de nombreuses mosquées: le gouvernement égyptien sent que la situation devient explosive et Sadate, qui avait au départ favorisé le mouvement islamique, se décide à le réprimer. En septembre 1981, 2 000 activistes sont arrêtés, y compris les dirigeants des Frères musulmans, dont les biens et les journaux sont saisis. La plupart des mosquées "privées" sont mises sous le contrôle de l'État. Il est trop tard cependant: le mois suivant, Sadate est assassiné, tandis que du 7 au 13 octobre éclate une véritable insurrection à Assiout, faisant 50 morts et plus de 100 blessés. Cette fois-ci, la répression est impitoyable. Les arrestations se comptent par milliers. Le 15 avril 1982, le lieutenant Khaled al-lslambouli, qui dirigeait le commando, et l'officier de réserve Hussein Abbas Mohamed sont fusillés. Faraj, Abdulhamid Abdessalam Ali, un libraire, et Ata Tayal Hamida, un ingénieur, sont pendus le même matin. Cheikh Omar Abdurrahman, lui, est acquitté "faute de preuves", bien qu'il soit le rédacteur avoué de la fatwa fatidique...
Depuis lors, le Jihad survit clandestinement. Il a connu des scissions - mais ce terme a-t-il un sens dans le monde de l'activisme islamique? - et des groupes proches de lui, comme Tawakouf wa'l Tabayoun (Arrêt et Témoignage), dirigé par Mohamed Abdul Baqi, ou issus de lui, comme Najoum min al-Nar (Sauvés des flammes de l'enfer), le dépassent encore en sectarisme et en violence. En 1989-1990, le Jihad, confronté à une nouvelle vague de répression, a riposté sur des thèmes et un terrain sûr: des opérations anti-coptes dans la province d'Assiout.
Au total, si ces groupes activistes représentent un potentiel humain impressionnant - de 70 000 à100 000 militants, selon des experts égyptiens - la menace qu'ils représentent a ses limites. Même si le MIL, le Takfir et le Jihad proviennent d'un terreau identique; même si tous ont condamné l'alliance égypto-irakienne au moment de la guerre Irak-lran; même si tous sont encouragés publiquement - et sans doute aidés en sous-main - par Téhéran, ils semblent pour l'instant incapables de s'unir, voire de coopérer. Leur capacité d'agitation, leur know-how terroriste sont avérés. En revanche, leurs chances de faire démarrer en Egypte un processus "à l'iranienne", "à l'algérienne" ou même "à la soudanaise" sont, dans l'état actuel des choses, extrêmement faibles.
CHRONOLOGIE
1988
L'affaire du "réseau terroriste chaste"
Elle est caractéristique de la façon de procéder des révolutionnaires islamiques iraniens à l'étranger. Démantelé au printemps 1988, ce réseau n'était pas terroriste, mais propagandiste, et discret plutôt que clandestin. Il était dirigé par un médecin installé dans la banlieue du Caire et contrôlé, depuis Athènes, par l'ancien chargé d'affaires iranien au Caire, Ali Akbar Mehdi. Près de 30 de ses membres - des sunnites en grande majorité, d'ailleurs - ont été identifiés à ce jour: 23 Egyptiens et une dizaine d'étrangers (Irakiens, Koweitis, Libanais, Pakistanais, Palestiniens et Saoudiens). Les éléments sûrs de ce réseau avaient à plusieurs reprises fait le voyage de Dom. Le financement provenait de riches chi'ites d'Arabie et du Golfe, du produit de la vente de livres. Des étudiants chi’ites de nationalités diverses dans les universités égyptiennes versaient des cotisations. Le réseau était en liaison avec le Jihad d'Egypte, al-Da'oua d'Irak, le HizbAllah du Liban. Au moment de son démantèlement, le réseau avait déjà créé deux maisons d'édition et ouvert une librairie. Ses missions étaient les suivantes:
· Relations publiques et contacts avec la presse.
· Invitation à Téhéran de
personnalités égyptiennes, à l'occasion de conférences
internationales.
· Implantation en Egypte d'éléments
du HizbAllah libanais.
Le réseau aurait pu, ultérieurement, servir de base logistique à des opérations terroristes - le foyer Ahl al-Beit, en banlieue parisienne, avait exactement le même profil - mais rien de tel n'était en préparation au moment du démantèlement.
1989
Janvier: le général Zaki Badr, ministre
de l'intérieur, appelle les pays arabes à signer avec l'Egypte
des accords de sécurité contre les "groupes islamiques fanatiques".
Un accord trilatéral dans ce domaine existe déjà entre
l'Irak, l'Egypte et le Soudan.
. Affrontements violents à Minya entre forces
de l'ordre et islamistes. Etat d'urgence maximal en Haute-Egypte. La mosquée
Rahman est fermée à Minya: 6 manifestations violentes en
deux jours
Février: manifestations violentes en Haute-Egypte,
parties des mosquées, contre la hausse du prix du pain.
. Un cadre du Jihad abattu au Caire par la police.
Mars: 3 Frères musulmans arrêtés à Alexandrie
Avril: un sermon de cheikh Omar Abdurrahman à la
mosquée al-Chouhada de Fayoum déclenche une émeute.
Le cheikh est encore arrêté. Emeutes à nouveau, suivies
de plus de 1 500 arrestations.
. Attentat à Fayoum: 5 passants blessés.
Une enquête policière permet la découverte d'un atelier
de fabrication d'engins explosifs non loin de Fayoum.
. Le chef du groupe parlementaire des Frères,
Ma'moun al-Hodaybi affirme que les troubles n'ont éclaté
à Fayoum qu'après l'arrestation de cheikh Abdurrahman
Mai: un alim très célèbre et respecté,
cheikh Mobamed Ghazali, exige la libération des islamistes emprisonnés
et l'intensification du Jihad pour libérer la Palestine.
. De sa prison, cheikh Abdurrahman menace de mort le
prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, dont l'œuvre est, selon
lui, pire que celle de Salman Rushdie. Le nombre total d'islamistes incarcérés
depuis le mois précédent s'élève à 3
000.
. Abou’l Yousr, ancien émir de la Jama’a Islamiyya
de la ville (égyptienne) d'Assiout trouve la mort au combat lors
du siège de la ville afghane de Jalalabad par les moujahidin.
Juin: 9 activistes islamistes d'Assiout sont arrêtés
sur le campus, après avoir frappé des étudiants assis
à côté de jeunes filles...
. D'après le ministre de l'Intérieur, 12
476 islamistes ont été arrêtés depuis mars 1986.
. La Voix des opprimés, l'une des radios du HizbAllah
du Liban, annonce la formation en Egypte de l'Association des uléma
combattants libres décidé à lutter contre les religieux
d 'al-Azhar, "liés à la CIA".
. L'amir du Jihad en Haute-Egypte, Husam al-Betugi, est
assassiné dans des circonstances obscures.
Juillet: arrestations de groupes militants du Jihad à Zagazig, dans le delta du Nil et à Suez.
Août: libération de cheikh Abdurrahman et
de 53 autres membres du Jihad "pour raisons de santé " .
. Démantèlement d'un nouveau "réseau
chute", lié à un chi’ite saoudien, Mohamed Hassan Ramada
al-Awadi "Abou Iman". Installé à Damas, celui-ci serait chargé
de superviser les réseaux révolutionnaires islamiques en
Egypte. Les membres du réseau auraient été entraînés
en Syrie à Chypre et en Iran en 1987-1988.11s devaient frapper des
cibles américaines, israéliennes, irakiennes, koweities et
saoudiennes en Egypte. L'Association des professeurs d'université
et l'Association médicale d'Egypte condamnent ces arrestations et
demandent la libération des incarcérés.
Septembre: 5 activistes de Najoum min al-Nar condamnés à perpétuité pour des attentats commis en 1987.
Octobre: la mosquée al-Nour, fief islamiste du quartier d'Ain Chams, au Caire, est détruite au bulldozer.
Décembre: 500 arrestations d'islamistes à
Assiout.
. Le ministre de l'Intérieur échappe de
peu à un attentat à la voiture piégée organisé
par le Jihad.
1990
Janvier: affrontements à Assiout. Le ministre des
Cultes ordonne la fermeture de nombreuses petites mosquées, incontrôlables.
. Appel du Takfir pour l'application de la charia
en Egypte.
Février: vague d'arrestations d'islamistes au Caire
et à Assiout.
. Arrestation en Arabie Saoudite de 40 travailleurs émigrés
égyptiens, un réseau de militants du Jihad.
De mars à mai: lancée par le Jihad, campagne d'attaques contre des églises et des biens coptes (commerces, maisons, voitures) en Haute-Egypte. 5 morts non loin d'Assiout.
Avril: la police abat Shawki al-Cheikh, dirigeant d'un
groupe islamiste de Fayoum.
. 16 membres d'une Jama'a Islamiyya - sans doute du Takfir
- tués et 4 blessés à Fayoum, dans des accrochages
avec la police.
Mai arrestation de 50 militants du Jihad dans la banlieue du Caire.
Juin: les Frères expriment dans le quotidien Al-Shaab leur joie devant le résultat des élections municipales en Algérie, largement remportées par le Front islamique du salut (voir Algérie, p. 48). Les Frères espèrent que les élections qui doivent se tenir à l'automne 1990 en Egypte seront aussi libres qu'en Algérie.
Juillet :4 islamistes égyptiens - un docteur, un
économiste, un diplômé en sciences et un étudiant
en chimie - sont tués au combat en Afghanistan.
. Affrontements à la mosquée al-Sayih de
la ville de Dairut, à 50 km d'Assiout: 2 islamistes tués,
6 blessés graves, 50 arrestations.
Août: les Frères musulmans désapprouvent
du bout des lèvres l'annexion du Koweit par l'Irak, mais évitent
en réalité de se prononcer clairement sur le fond de l'affaire,
contrairement à leurs Frères des pays avoisinants.
. Depuis le 1er janvier, les accrochages entre policiers
et islamistes ont fait 34 morts et 70 blessés (chiffres officiels).
Septembre: Le porte-parole de la jama'a islamiyya al-Jihad, Alaa Mohieddine, 29 ans, est assassiné à Gizeh, non loin des pyramides. L'Organisation égyptienne des Droits de l'Homme accuse les services spéciaux égyptiens d'avoir commis le meurtre.
Octobre: Les FM boycottent les élections législatives
prévues pour novembre 1990.
. Le 12, 4 terroristes à moto assassinent le président
du parlement égyptien, ses quatre gardes du corps et son chauffeur,
alors qu'ils circulaient en voiture le long du Nil, au Caire. Les autorités
accusent le Jihad et déclenchent une rafle gigantesque, notamment
dans les gouvernorats d'Assiout et de beni-Sueif: 3000 interpellations,
400 détentions confirmées. Cheikh Omar Abdurrahman rejette
totalement l'accusation et rejette le meurtre sur "le régime ou
les Juifs".
. Dans un de ses organes officieux, le gouvernement égyptien
accuse les gouvernements de Jordanie, d ‘Irak et l'OLP de financer le courant
islamiste égyptien. Le Jihad, notamment, s'entraînerait au
Soudan et bénéficierait de bases à la frontière
Pakistano-aighane