Un Panorama des activités
traditionnelles
Introduction du chapitre
Au cours des deux dernières
décennies, les Yakuza ont concentré leurs activités
sur les marchés de l'immobilier et de la bourse. Ces activités
sont loin d'être la priorité des autres mafias du monde, et
ceci constitue l'une des particularités des Boryokudan.
Comme nous avons pu le voir,
les Yakuza ont bénéficié d'une importante tolérance
de la part des autorités et de la population nippone pendant la
période de guerre. Les scandales d'aujourd'hui ont légèrement
modifié cette tendance. Le nombre d'entreprises et d'hommes politiques
impliqués dans des affaires plus ou moins illicites est croissant.
Les sommes d'argent engagées dans des transactions douteuses s'élèvent
à plusieurs milliards de yens, de quoi offusquer les populations.
En réalité «la pègre est en train de développer
une sorte de 'muscle de la finance' qui pourrait, bouleverser l'ordre économique»22.
Les lois japonaises, jusqu'à la loi antigang promulguée en
1992, ont été très inefficaces contre les Yakuza.
Il n'existe en effet aucun texte, ni statut interdisant le racket ou le
blanchiment d'argent. Aujourd'hui, les domaines privilégiés
des Yakuza sont le racket d'entreprises, l'usure, tous les types d'extorsion,
les trafics de drogue, d'armes, l'industrie des loisirs (sport, cinéma...)
et du sexe.
Les activités légales des Yakuza.
Actuellement, la part des revenus
provenant d'activités légales est croissante, et on l'estime
à environ 20% du revenu global des Yakuza, soit près de 20
milliards de dollars. Près de 26000 entreprises légales nippones
sont des sociétés écrans et des sociétés
de blanchiment d'argent. Ces entreprises sont très diverses : il
peut s'agir de snack-bars, de clubs de strip-tease, de restaurants. Les
Yakuza investissent tous les domaines de l'économie japonaise; ils
sont présents à la bourse de Tokyo, mais également
sur le marché de l'art, dans l'industrie cinématographique
et dans l'immobilier.
Les activités principales des Yakuza
L'industrie de la main d'oeuvre
(La construction et la navigation).
Le tourisme sexuel et l'industrie
du sexe
L'industrie des jeux de hasard
et du Pachinko.
L'usure
Le trafic d'armes et de drogues
L'industrie de la main d'oeuvre (la
construction et la navigation)23
La relation Yakuza-entreprise
a toujours été basée sur le profit mutuel. Les Yakuza
exercent depuis des années un contrôle sur la main d'_uvre
journalière ouvrière et les dockers. Ce contrôle fait
d'eux une véritable force avec laquelle les entreprises de construction
et les compagnies de navigation doivent compter. Par ailleurs, dans un
pays en manque de main d'oeuvre, les industries dépendent des Yakuza
pour contourner les lois d'immigrations très strictes au Japon.
Elles ont en effet besoin de la force de travail des pays d'Asie du Sud
Est et des autres pays asiatiques, car la main d'oeuvre y est beaucoup
plus nombreuse et bien moins chère. En outre aucun japonais n'accepte
de travailler sur les chantiers navals, car cela est synonyme de travail
pénible, dangereux et sans aucune reconnaissance sociale. Les Japonais
utilisent également la pègre pour contrôler les appels
d'offres et l'attribution de marchés publics. L'industrie du bâtiment
est connue pour avoir apporté un appui financier au Parti Libéral
Démocrate - une situation qui expliquerait en partie les relations
entre les Boryokudan et le politique.
Le tourisme sexuel et l'industrie du sexe24
Evolution de l'industrie du
sexe au cours des deux dernières décennies
Au cours des années 80,
la pègre nippone s'est impliquée dans le développement
de l'industrie du sexe. Auparavant, les hommes d'affaires japonais avaient
pour habitude de se rendre à l'étranger pour se «divertir»,
et tout particulièrement à Taiwan au début des années
60, puis en Thaïlande et aux Philippines. Ce comportement trouvait
alors une légitimité dans le contexte historique d'occupation
du Japon par les Américains. En 1980, la tendance se renverse car
les « sex tours » font l'objet de vigoureuses dénonciations
en provenance de l'étranger. Pendant la décennie 80 de nombreuses
femmes asiatiques, originaires des Philippines et de Thaïlande, débarquent
au Japon. La plupart de ces femmes sont munies de papiers et de visas réguliers,
elles viennent en tant que chanteuses ou danseuses. Pourtant, elles sont
exposées à des sévices en tous genres; elles sont
séquestrées, battues et très souvent forcées
à se prostituer; elles servent à alimenter les maisons closes
de Tokyo. On estime à 100 000 personnes environ, le nombre de femmes
exploitées chaque année au Japon pour les besoins de l'industrie
du sexe. Les Yakuza apprécient cette nouvelle activité, car
elle est discrète et très rémunératrice. Pour
la développer, ils font appel aux triades chinoises mais également
aux gangs locaux des Philippines.
Les explications de cette nouvelle
tendance
Plusieurs raisons expliquent
le développement de l'industrie du sexe au Japon :
L'exploitation sexuelle dans
ce pays remonte à la seconde guerre mondiale. Pendant cette période,
quelques 200 000 femmes25
sont utilisées comme "objet de réconfort" par les hommes
de l'armée impériale et par les membres du gouvernement.
Elles sont originaires des Philippines, de Corée, de Chine, d'Indonésie
et d'autres pays d'Asie contrôlés par le Japon. En 1995, faisant
suite aux excuses publiques formulées par le Japon en direction
des victimes, une Sous-Commission est chargée d'examiner la responsabilité
du gouvernement et de l'armée nippone. Elle les accuse d'avoir violé
les droits de l'Homme.26
Dans les année 60, les
Yakuza se tournent vers l'industrie du sexe, notamment dans le cadre du
tourisme. Ils organisent des «sex tours» dans de nombreux pays
d'Asie du Sud Est. De plus, au Japon, la prostitution est légale
tant que l'on n'utilise pas de souteneur et les filles âgées
de plus de 12 ans peuvent légalement avoir des relations sexuelles.
les proxénètes
trouvent de moins en moins de jeune femmes japonaises prêtes à
travailler comme prostituées. Les femmes thaïlandaises ou philippines
sont ainsi beaucoup moins chères et plus "rentables". Elles travaillent
davantage que les Nippones et ont peu de moyens de se révolter,
dans la mesure où leur situation irrégulière ne leur
permet pas de demander de l'aide aux autorités. Certains entremetteurs
parviennent à gagner plusieurs millions de dollars en exploitant
ces femmes.
Le marché de la prostitution
a pu également se développer, en raison d'un comportement
laxiste des autorités vis à vis de la prostitution, qui remonte
à l'ère féodale. Et aujourd'hui la commercialisation
des femmes bénéficie d'une nouvelle culture en provenance
des milieux d'affaires dont les membres réclament, toujours plus
nombreux, les services de jeunes « femmes de consolation ».
Une autre raison favorise l'exploitation
des femmes étrangères : le pouvoir du yen, une des monnaies
les plus fortes du monde. Les Etats asiatiques dont la puissance économique
est loin d'être comparable à celle du Japon, sont heureux
de pouvoir se procurer des devises plus fortes que leur monnaie et tout
particulièrement le yen. L'exportation de femmes en tant qu'entraîneuses
est un moyen d'y parvenir.
Le développement inégal
entre le monde rural et le monde urbain des pays d'Asie (et surtout de
Thaïlande et des Philippines) est un autre facteur expliquant l'expansion
du commerce du sexe. La différence de richesse entre les populations
rurales et urbaines de ces pays est telle que des ruraux n'hésitent
pas à vendre leur filles à des entremetteurs pour se procurer
certains biens de consommation.
La prostitution des femmes et
des enfants
- Le traitement des femmes
Les femmes sont placées
sous la haute surveillance des Yakuza, qui s'occupent de vérifier
la qualité de leur «travail» (c'est à dire qu'elles
reçoivent bien un certain nombre de clients par jour). Si elles
ne respectent pas leurs obligations ou tentent de s'échapper, elles
sont séquestrées, violentées, et parfois même
tuées.
Les Thaïlandaises sont
les premières victimes de ces comportements. La majeure partie d'entre
elles se trouvent en situation irrégulière, parlent très
peu l'anglais, et leur religion ne les pousse pas à la révolte27.
Un certain nombre de ces femmes se suicide en désespoir de cause,
tandis que d'autres sont assassinées par leurs bourreaux. Les ambassades
sont à même de transmettre à la presse des informations
sur ces décès, lorsque les jeunes femmes sont munies de passeport.
Mais les chiffre généraux sont peu fiables, car beaucoup
de prostituées entrent sur le territoire nippon munies de faux papiers.
Comportement des autorités
japonaises
Les autorités japonaises
signalent un nombre croissant de femmes hospitalisées pour des problèmes
psychiatriques liés à l'usage de la drogue. Lorsque ces femmes
prostituées sont malades ou accidentées, le gouvernement
japonais refuse de leur prodiguer les soins médicaux nécessaires
à leur rétablissement. Par ailleurs, la justice japonaise
est loin d'être équitable à l'égard de ces immigrées.
En 1994, la justice japonaise a infligé une peine de 10 ans de prison
à trois prostituées accusées de meurtre sur la personne
de leur entremetteur ! Les véritables responsables de cette industrie
du sexe n'ont, quant à eux, pas fait l'objet de poursuites.
Exemple d'un scénario
de trafic de femmes thaïlandaises
- Les futures prostituées
sont recrutées en Thaïlande. On leur promet des situations
d'exception dès leur arrivée au Japon. Le recruteur "exporte"
ces femmes, vendues chacune en général entre 1 500 000 et
2 000 000 yens.
- Un dealer japonais achète
les femmes à un prix fixé par le recruteur et les revend
«en gros» pour le double du prix, aux réseaux de l'industrie
du sexe.
- Un propriétaire
de bar les achète en moyenne entre 3 500 000 et 4 000 000 de yens
chacune.
- Finalement, les femmes
se trouvent en situation de dette vis à vis de leurs acheteurs et
doivent se prostituer pour les rembourser.
Cette nouvelle forme d'esclavage
enfreint deux règles des droits de l'homme : la première
est la violence sexuelle; la seconde, l'exploitation économique.
On peut déplorer que l'industrie du sexe génère d'aussi
gros profits pour les Yakuza.
- L'exploitation sexuelle
des femmes venues du continent américain
Les autorités américaines
observent un afflux de Boryokudan sur le territoire américain. Ces
professionnels du crime y embauchent des femmes blanches mais également
de type asiatique. Les femmes sont recrutées selon la même
méthode que celle utilisée avec les Thaïlandaises. Les
membres des gangs japonais leur font des promesses de travail très
lucratives comme danseuses et chanteuses, sans leur préciser ce
que sera la nature exacte de ce travail. Ils leur font visionner des films
montrant des femmes blanches en tenue de scouts et d'agents de police dans
le but d'endormir leur méfiance. Les Yakuza expliquent à
leurs proies qu'ils engagent des américaines, car les hommes japonais
aiment discuter en anglais. Ces femmes se laissent aveugler par les promesses
de fortune rapides et sont entraînées dans le commerce sexuel.
Ce phénomène est connu, en verlan japonais, sous le terme
de «japayuki »28.
- L'exploitation sexuelle
des enfants
Si l'on parle surtout de prostitution
féminine, il ne faut cependant pas omettre un autre fléau
peut être encore plus grave, la pédophilie. Les enfants à
qui l'on vole la santé, l'innocence et la vie, sont les premières
victimes du tourisme sexuel,. En Thaïlande le Fonds des Nations Unies
pour l'enfance (Unicef) dénombre près de 300 000 enfants
âgés de moins de 16 ans travaillant comme prostitués.
Ils deviennent pensionnaires dans des maisons closes, des bars et ils sont
ainsi placés sous la haute surveillance de leurs «protecteurs».
En Asie, et tout particulièrement en Thaïlande et aux Philippines,
l'épidémie du sida explose. Les enfants sont violés,
battus et utilisés comme de simples jouets par les touristes venus
du monde entier. Ces crimes sont d'autant plus alarmants que les pédophiles
sont souvent des citoyens ordinaires qui, dans la vie de tous les jours,
ne seraient pas qualifiés de pervers. Ce proxénétisme
terrible est très bien exploité par la criminalité
organisée et notamment par les Yakuza. La pègre profite également
de l'industrie florissante du sexe pour produire des vidéos pornographiques
mettant en scène des enfants dans les situations les plus atroces
que l'on puisse imaginer.
d) La prostitution des jeunes
lycéennes japonaises.
Il faut noter le nombre croissant
de jeunes étudiantes (collégiennes et lycéennes) qui
se prostituent afin de pouvoir se procurer des vêtements et autres
objets de luxe : sacs Louis Vuiton, parfums... Un sociologue estime que
8% des étudiantes nippones se prostituent de manière occasionnelle
à leur propre initiative. Cependant, lorsque certaines de ces jeunes
filles souhaitent faire de cette activité un «exercice»
plus régulier, les Yakuza entrent alors en scène.
L'industrie des jeux de hasard et du Pachinko.29
Les gains de l'industrie des
jeux de hasard sont estimés, en 1996, à 33 500 milliards
de yens. Ces jeux sont la loterie, les paris sur les courses de bateaux,
de chevaux, d'automobiles, de vélo, les tournois de Sumo, les jeux
dans les casinos et le Pachinko. Le jeu lié à l'argent est
une tradition ancienne de l'archipel nippon et, selon Paul Guth, «une
forme laïque du miracle» 30.
Les spécialistes estiment à environ 10% le profit généré
par cette industrie, sur la masse globale des revenus du crime. En 1996,
le marché du jeu employait 480 000 personnes avec 340 000 employés
dans l'industrie du Pachinko. Néanmoins on enregistre un léger
recul de l'industrie du jeu traditionnel ces dernières années,
en raison d'une reprise partielle de cette activité par l'Etat.
Les Yakuza, en dehors du Pachinko, ont alors décidé d'investir
dans les compétitions de base-ball et les courses de hors-bord dont
les nippons sont de grands amateurs. La période de crise économique
et sociale que traverse actuellement le Japon, est également un
facteur favorable à l'engouement des jeunes nippons pour la recherche
d'activités ludiques.
Le Casino
La pègre nippone a profité
de l'existence de réseaux à Hawaii pour s'infiltrer sur le
continent américain. Elle s'est tout d'abord installée dans
le sud de la Californie, pour gagner ensuite les villes côtières
comme San Francisco, Portland et Seattle. Les Yakuza ont pu atteindre leurs
objectifs d'implantation en se liant aux mafias locales. Les autorités
américaines ont observé l'implication de la pègre
nippone dans l'industrie du jeu à Las Vegas, Atlantic City, New-York,
Boston et Newark.
Les jeux et les paris clandestins
- Les Jeux de cartes
Le cho ka han ka compte parmi
les jeux de cartes les plus exploités par les Yakusa. Les règles
de ce jeu sont simples. Deux dés sont agités dans une boite
ronde noire en bambou, posée par la suite sur le tatami. Les joueurs
font alors des paris sur «Chance» ou «Egalité»
et doivent placer au même moment leur mise sur le tatami. Le lanceur
de dé dit alors « Ce sera tout messieurs» et signifie
par là même aux joueurs qu'ils ne doivent plus toucher à
leurs mises. Le lanceur dit alors «jouez» en parlant doucement.
Au même moment il ouvre la boite et annonce soit «chou»
ou «han» - deux résultats qui déterminent le
gain ou la perte pour les joueurs. De manière générale,
la mise dans ce jeu est très élevée, et seuls des
joueurs professionnels peuvent s'y risquer. Un joueur parie un minimum
de 10 000 dollars par mise et il peut gagner jusqu'à un million
de dollars dans une journée. Ce type de jeu est très ancien
mais il reste néanmoins aujourd'hui pratiqué par les Yakuza,
défenseurs de la tradition.
- Les Tournois de Sumo31
La transparence et l'intégrité
de la plus ancienne institution sportive nippone, le Sumo, sont aujourd'hui
remises en cause. Un journaliste du Financial Times révèle
ainsi dans un article récent (3 janvier 2000), que de nombreux sportifs
ont été amenés à participer à des matchs
truqués au cours de leur carrière. Lors d'un grand tournoi,
Akebono, le grand champion hawaïen, aurait accepté de se mettre
à terre au moins une fois, en échange d'un dessous de table.
La dernière fois qu'une telle affaire a été révélée,
c'était en 1996, lorsque Onaruto, un grand entraîneur de Sumo,
déclarait que ce sport ancestral était « pourri »
par les paris sur les combats, l'évasion fiscale, les relations
avec la pègre, la drogue et les orgies. Il expliquait également
que 29 des 40 plus grands lutteurs de Sumo trichaient régulièrement.
L'entraîneur et le sous directeur de l'association des supporters,
Siichiro Hashimoto, décidaient, le 26 Avril 1996, de donner une
conférence de presse sur la corruption dans le monde des Sumo. Mais
ils ne pouvaient mener ce dangereux projet à terme, décédant
tous les deux le 14 avril à l'hôpital d'une "pneumonie"! Néanmoins,
quelques jours avant leur mort, ils avaient eu le temps de répondre
à une interview du Shukan Post, l'un des magazines les plus lus
au Japon. A la suite de cette rencontre, le personnel du magazine recevait
de nombreuses menaces de mort. Quelques temps plus tard, le livre écrit
par Onaruto sur le monde corrompu des Sumo devenait un best-seller. Dans
ce livre, l'auteur expliquait que les grands Sumo avaient l'habitude de
recourir aux Yakuza. Ces derniers leur fournissaient des prostituées
et les aidaient à blanchir l'argent gagné en cash. La pègre
en retour contrôlait les paris et l'information sur les combats truqués.
Onaruto expliquait également que les combattants avaient l'habitude
de vendre les matchs - le montant des chutes par combat s'échelonnant
entre 5000 et 10 000 dollars. Suite au révélations scandaleuses
du livre d'Onaruto et à celles du Shukan Post, l'association japonaise
de Sumo (JSA) portait plainte contre l'éditeur du livre et le magazine.
Plus tard, aucun directeur de publication, au Japon, ne semblait désireux
de poursuivre les enquêtes sur les milieux du Sumo. Devant le mur
du silence qui s'installait dans le pays, le Shukan Post décidait
d'encourager les magazines étrangers à traiter le sujet.
Les milieux officiels du Japon redoutent aujourd'hui les suites d'une initiative
qui risque de compromettre le prestige de son sport national ancestral,
réduit à celui de « show » à l'occidentale
(combats truqués de catch ou de boxe).
- Les paris en tous
genres
Les jeux et les paris clandestins
représentent 17% des sources de revenus des Yakuza. Les paris concernent
les courses de hors-bord, de lévriers, de motos et de vélo,
les matchs de base-ball, de boxe et autres. Ces activités sont en
général contrôlées directement par les chefs
des gangs mafieux.
Le Pachinko32
Le Pachinko (sorte de flipper)
est, au Japon, l'activité la plus lucrative de l'industrie du jeu.
En 1996, les recettes se sont élevées à 25 000 milliards
de yens ( 900 milliards de francs), soit 6.7% du produit intérieur
brut nippon. L'archipel dénombre 18000 salles sur l'ensemble du
territoire. On trouve des salles de Pachinko partout, y compris dans les
villages. La cible visée par les exploitants du jeu est relativement
large, touchant les deux sexes et les personnes de tous âges. Néanmoins,
on observe un engouement plus important chez les jeunes salariés.
Les salles de Pachinko offrent de nombreux services : une garderie pour
les jeunes mamans accompagnées de leurs enfants, un service de restauration,
des réfrigérateurs pour conserver au froid les courses faites
au préalable, et une place de parking (luxe indéniable dans
un pays ou la possibilité de garer sa voiture est un véritable
"parcours du combattant"). La salle du Pachinko est un lieu de passage
quotidien quasi obligatoire pour toute personne désirant se couler
dans le moule de la société japonaise. La passion des joueurs
est telle que les nippons en arrivent à oublier le monde qui les
environne, en commençant même par leurs enfants qu'ils emmènent
avec eux dans ces salles immenses. Il est arrivé que l'on retrouve
des enfants morts par défaut de soin de leurs parents trop occupés
à lancer des billes. L'un des plus célèbres quotidiens
nationaux le Mainichi Shimbun aurait identifié 30 cas de morts accidentelles
d'enfants, alors que leurs parents étaient en train de jouer. Cette
passion, chez les jeunes adultes, pour un jeu déjà ancien
est relativement paradoxale, car le Pachinko a été introduit
en 1948 pour distraire les jeunes enfants.33
Les chiffres officiels sur l'activité sont faramineux : 27 millions
de joueurs; une dépense moyenne annuelle de 32 000 francs par individu,
soit le montant cumulé de deux salaires mensuels.
En 1990, les autorités
japonaises, soucieuses de rendre un peu plus transparente la comptabilité
de ce commerce à grande échelle, introduisaient un système
de cartes prépayées allant de 50 à 500F. Six années
après l'introduction de ce système, 70% des salles de jeux
en étaient équipées. Mais les mafias japonaise et
coréenne en avaient profité pour réaliser des contrefaçons
leur permettant de blanchir l'argent sale, fruit d'activités illicites,
et de se procurer de l'argent frais. De nombreuses salles sont soupçonnées
d'avoir trafiqué leur machines et, pour certaines, de pratiquer
l'évasion fiscale. Les autorités nippones sont restées
très longtemps passives vis à vis de ce nouveau fléau.
L'industrie du Pachinko est dominée en partie par les descendants
de familles nord-coréennes amenées sur l'archipel pendant
la période coloniale. Les autorités considèrent que
le Pachinko représente une source de change (d'argent) pour ces
populations minoritaires travaillant paisiblement en marge de la société.
L'industrie du Pachinko, outre les possibilités de blanchiment qu'elle
offre, pose également d'autres problèmes. En effet si les
jeux d'argent sont interdits au pays du Soleil Levant, on sait pertinemment
que les gains, présentés sous forme de lots, sont échangés
dans les petits magasins des rues avoisinant les salles de jeu. Le problème
freine ainsi l'entrée des industries de Pachinko sur le marché
boursier où les maisons de titres sont encore très réticentes
à leur égard. Elles bénéficient toutefois d'une
tolérance relative de la police, car un certain nombre de policiers
retraités se sont reconvertis dans le conseil pour lutter contre
leur infiltration par la pègre. Du côté des politiques,
la corruption semble active, et un certain nombre de membres du Parti Libéral
Démocrate sont soupçonnés d'avoir perçu des
«avantages en nature». Aujourd'hui, l'agence nationale de la
police a soumis au gouvernement une proposition de réforme du Pachinko.
Elle vise à faire disparaître les échoppes où
l'on échange les lots, pour les remplacer par un organisme officiel.
La formule est séduisante. Elle permettrait à l'Etat de contrôler
de plus près les activités des officines de Pachinko, d'assainir
ce secteur économique, et d'en percevoir des revenus plus importants
par le bais de l'impôt.
L'usure34
Les usuriers, connus également
sous le nom de Sakarin, sont presque toujours des membres du syndicat du
crime. L'usure est l'un des domaines de prédilection des Boryokudan
et son essor a été favorisé par les conditions très
restrictives d'obtention des prêts au Japon. Jusqu'au début
des années 1980, il était particulièrement difficile,
pour un individu, d'obtenir un prêt auprès des banques. Cette
déficience du système financier nippon a ouvert une voie
aux Boryokudan et plus particulièrement aux Sakarin, spécialistes
de l'usure et des «prêts requins». Les Yakuza n'ont pas
besoin d'utiliser la violence dans ce "métier". Le fait même
de perdre la face au Japon fait à lui seul l'objet de suicide :
quoi de plus déshonorant que d'avoir de gros problèmes financiers?
Les personnes endettées préfèrent naturellement s'adresser
aux Yakuza plutôt qu'aux banques. En 1982, on estimait à 2400
le chiffre de suicides liés directement ou indirectement aux Sakarin.
Le nombre d'officines avouées ou non liées à cette
activité s'élèverait entre 42 000 et 200 000. Les
taux pratiqués par ces «requins» sont parfois supérieurs
à 100%. Dans les années 80 l'usure représentait 3.3%
des ressources globales de la pègre nippone.
Le trafic d'armes35
La pègre a profité
d'une législation nippone draconienne en matière d'armement,
pour développer un vaste marché parallèle. Les Boryokudan
infiltrent dans le pays une quantité importante d'armes, par le
biais de pays asiatiques comme les Philippines, mais aussi par les Etats-Unis,
pays où la qualité des produits est excellente, et où
la législation sur les armes est accommodante. Cette contrebande
est très lucrative, avec un prix moyen de vente par arme qui oscille
entre 675 000 et 945 000 yens. Ces armes sont achetées en Chine,
à Taiwan, Hongkong, aux Philippines et aux Etats-Unis. La contrebande
d'armes est très ancienne au Japon. Elle remonte au milieu du XVIe
siècle avec les premières importations en provenance du Portugal.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les soldats démobilisés
constituaient la première source du trafic d'armes. Aujourd'hui
ce type de contrebande est sous la coupe des syndicats du crime. En 1960,
les armes confisquées aux Yakuza représentaient 6% de la
totalité des saisies de marchandises illicites et en 1988 ce chiffre
atteignait 39%. Néanmoins, le nombre d'armes de gros calibres confisquées
par la police passe de 1338 en 1965 à 875 en 1989. La raison en
est simple : au Japon, l'obtention d'un permis de port d'armes reste très
difficile. Dans la capitale nippone, on ne dénombre ainsi que 59
000 permis. Du coup, le nombre d'agressions annuelles est chiffré
à 40, contre 11 000 à New York (le nombre d'homicides est
200 fois plus important aux Etats-Unis). Au Japon, les crimes armés
sont essentiellement perpétrés par les professionnels du
crime, c'est à dire par les Boryokudan. On recense environ 600 meurtres
par an, commis avec des armes de poing, et 900 avec des armes de plus gros
calibre36.
Le trafic de drogues37
Le développement des
Boryokudan à l'étranger amène les Yakuza à
s'adonner à d'autres activités génératrices
de gains, tel le trafic de drogue avec, plus particulièrement, les
amphétamines («speed», «us streets»). La
drogue apporte à la mafia une source importante de revenus, mais
contribue également à la restructuration des gangs et au
changement de mentalité. De fait, le trafic de drogues, et l'obligation
de blanchir à grande échelle les sommes d'argent qui en sont
issues, contraint la pègre nippone à revoir son mode de fonctionnement.
Par ailleurs, cette nouvelle source de revenus, née de la guerre,
permet à la pègre de s'infiltrer plus profondément
dans la sphère économique nippone. Aujourd'hui on suppose
que 60% du trafic de gros d'amphétamines sont sous la tutelle des
Yakuza. A cela il faut ajouter la cocaïne et le cannabis. Jusqu'en
1992, les Yakuza savaient pouvoir compter sur l'indulgence de la police
en matière de trafic de drogue. Celle-ci acceptait de fermer les
yeux, dans la mesure où ce trafic se limitait aux amphétamines.
Les Amphétamines
Le trafic d'amphétamines
(Shabu ou Meth), comme celui de la plupart des autres drogues, s'est développé
au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le Gurentaï a été
le premier des syndicats du crime à se lancer dans l'aventure -
les amphétamines étant le type de drogue le plus appréciés
des nippons. Dans les années 60, la pègre nippone contrôlait
entièrement le trafic d'amphétamines. L'essentiel de la production
provenait de Chine où les yakuza étaient de mèche
avec les triades. Jusqu'à la fin des années 90, le trafic
d'amphétamines dominait celui des autres drogues. En 1996, la police
nippone saisissait 650 kilogrammes d'amphétamines dont 90% en provenance
de Chine.38
Actuellement, on estime à 800 000 les consommateurs d'amphétamines.
700 kg de cette drogue sont consommés chaque jour dans l'Archipel.
Le montant du marché de détail, particulièrement lucratif,
est estimé à environ 14 milliards de francs.
La cocaïne
Jusqu'à la fin des années
90, le trafic de drogues dures n'était pas l'un des domaines d'activités
privilégiés des Yakuza - la raison principale étant
l'accord tacite passé entre la pègre et la police sur le
trafic d'amphétamines. C'est la loi antigang de 1992 qui va précipiter
l'engouement des Yakuza (exclus des bandes) pour le trafic de drogues dures.
D'après les estimations de l'agence nationale de la police, environ
un million de japonais auraient consommé de la cocaïne, au
moins une fois dans leur vie.39
Le quotidien japonais Yomiuri Shimbun estime que le nombre de consommateurs
réguliers ou occasionnels atteindrait 1.5 million. Le milieu du
show business serait la première « cible » de ce trafic.
Le gramme de cocaïne se vend au Japon entre 40 000 et 150 000 yens.
Le prix est fixé en fonction de l'offre, de la demande, et de la
qualité de la marchandise. En 1992, 31 kilos de cocaïne étaient
saisis sur l'archipel, soit une augmentation de 43% par rapport à
l'année précédente.
- Les drogues dures
en provenance de Colombie.
Les douanes japonaises saisissent
de plus en plus souvent des colis de cocaïne en provenance de Colombie.
De nombreux Colombiens sont arrêtés, alors qu'ils tentent
d'introduire de la drogue dans l'archipel. Les passeurs travaillent essentiellement
pour le cartel de Cali, mais peuvent également être des prostituées
qui se rendent au Japon pour vendre leurs charmes dans les quartiers de
« distractions » de Shinjuku40.
Parmi les ressortissants colombiens appréhendés, Oscar Crusquintero
et Loren Rodriguez ont été tous les deux condamnés
par la police nippone à 6 ans de prison pour avoir dissimulé
2 kilos de cocaïne à l'intérieur de leurs valises. Un
autre Colombien, qui avait caché 7.1 kilos de cocaïne dans
des boules de bowling, a lui aussi été arrêté.
La réussite des stratagèmes des passeurs ne peut se faire
que grâce à deux éléments : une très
bonne organisation des gangs, et une coopération renforcée
au sein de la pègre nippone.
- Les drogues dures
en provenance de Chine
Les triades chinoises ont profité
de l'engouement croissant des japonais pour la consommation de cocaïne.
Ils ont étendu à tout l'archipel leurs opérations
dans ce secteur. En 1994, deux citoyens originaires de Chine populaire,
Ouyang Zhengzhong et Ring Ligen étaient arrêtés, à
la suite d'une vente de 2 kilos de cocaïne à un grand hôtel
de Tokyo. L'agence nationale de police soupçonne que ce trafic,
lié étroitement aux triades chinoises, et transitant par
Hong Kong, est en train de devenir un important marché.
L'Opium
L'usage de l'opium s'est développé
à
la faveur des guerres. Dès 1932, le gouvernement japonais mettait
en place un monopole de l'opium. Ce stupéfiant était alors
une source légale de revenu, fourni par des maisons de commerces
japonaises à un «bureau spécial», sous la coupe
du gouvernement nippon. L'opium devenait alors une véritable drogue
dont les soldats ne pouvaient plus se passer. Afin de favoriser la dépendance
des soldats, les japonais faisaient circuler des médicaments à
l'intérieur desquels était dissimulée de la morphine,
ainsi que des cigarettes, dont les filtres étaient imbibés
de petites doses d'héroïne. A la fin de la seconde guerre mondiale,
le marché des stupéfiants tombait dans les mains de la pègre
nippone. La cible principale des Yakuza était alors l'armée
impériale. L'absence de réglementation permettait le développement
d'un commerce florissant dont les premiers bénéficiaires
étaient les pègres japonaise et coréenne. Certaines
maisons de commerce de l'opium gagnaient jusqu'à trois cents millions
de dollars par an.
Conclusion du chapitre
Les Yakuza sont impliqués
depuis longtemps dans un grand nombre d'activités : trafics de drogues
et d'armes, industrie du sexe, usure, industrie de la main d'oeuvre...
Si le montant des revenus issu de ces activités semble important
: 14 milliards de yens pour les amphétamines, 125 milliards de dollars
pour l'usure - ces chiffres demeurent minimes en comparaison de la masse
de revenus générée par le crime économique
(cf. infra).
Page
précédente | Sommaire | Page
suivante
22
« More eyes on Yakuza's role in japanese economy », Japan
Economic Institue, 08.05.92.
23http://www.economist.com
, «Old, down and out in Japan», 13 Mars 1999.
24
Voir annexe n°3, Entretien avec Xavier Raufer.
25
Ces femmes apellées Ianfu «femmes de la consolation»
étaient essentiellement originaires de Corée. Des documents
de l'armée impériale nippone ont été retrouvés
qui mettent en cause la responsabilité de l'armée.
26Mécanismes
et rapport de la Sous-Commission, 1995.
27
Le boudhisme entend que l'âme d'une personne n'est pas souillée
par les actes relevant de la partie inférieure du corps (ceinture-pieds),
Entretien
avec Xavier Raufer.
28
Natti Bumpo « Yakuza, sex slaves, drugs, subway gas, ultranationalists
and secret societies », http://www.ccnet.com
.
29
Thierry Ribault, «Une forme laïque du miracle», Le
Monde Diplomatique, août 1998.
30
Ibid.
31http://www.economist.com
, «Sumo wrestling, Ringleaders?», 22 June 96.
32
Thierry Ribault, «Au Japon, la folie du Pachinko», Le Monde
Diplomatique, août 1998.
33http://www.economist.com
, « Japan, Pachinkoholism », 6-Jul-96.
34http://members.tripod.com
, « More eyes on Yakuza's role in the japanese economy », Japan
Economic Institute, 08.05.92.
35
David B. Kopel, « Japanese Gun Control », Asia Pacific Law
Review, 1993.
36
Ibid.
37
Voir annexe n°2.
38
Philippe Pons, Misère et crime au Japon du XVIIe siècle
à nos jours, Editions Gallimard, 1999, p458.
39
« Pays de neige » La dépêche internationale
des Drogues, n°29, mars 1994.
40
Shinjuku est l'un des quartiers branchés de la vie nocturne de Tokyo.