Un Panorama des activités traditionnelles

 

 
 

Introduction du chapitre

Au cours des deux dernières décennies, les Yakuza ont concentré leurs activités sur les marchés de l'immobilier et de la bourse. Ces activités sont loin d'être la priorité des autres mafias du monde, et ceci constitue l'une des particularités des Boryokudan.

Comme nous avons pu le voir, les Yakuza ont bénéficié d'une importante tolérance de la part des autorités et de la population nippone pendant la période de guerre. Les scandales d'aujourd'hui ont légèrement modifié cette tendance. Le nombre d'entreprises et d'hommes politiques impliqués dans des affaires plus ou moins illicites est croissant. Les sommes d'argent engagées dans des transactions douteuses s'élèvent à plusieurs milliards de yens, de quoi offusquer les populations. En réalité «la pègre est en train de développer une sorte de 'muscle de la finance' qui pourrait, bouleverser l'ordre économique»22. Les lois japonaises, jusqu'à la loi antigang promulguée en 1992, ont été très inefficaces contre les Yakuza. Il n'existe en effet aucun texte, ni statut interdisant le racket ou le blanchiment d'argent. Aujourd'hui, les domaines privilégiés des Yakuza sont le racket d'entreprises, l'usure, tous les types d'extorsion, les trafics de drogue, d'armes, l'industrie des loisirs (sport, cinéma...) et du sexe.

 

 
 

Les activités légales des Yakuza.

Actuellement, la part des revenus provenant d'activités légales est croissante, et on l'estime à environ 20% du revenu global des Yakuza, soit près de 20 milliards de dollars. Près de 26000 entreprises légales nippones sont des sociétés écrans et des sociétés de blanchiment d'argent. Ces entreprises sont très diverses : il peut s'agir de snack-bars, de clubs de strip-tease, de restaurants. Les Yakuza investissent tous les domaines de l'économie japonaise; ils sont présents à la bourse de Tokyo, mais également sur le marché de l'art, dans l'industrie cinématographique et dans l'immobilier.

 

 
 

Les activités principales des Yakuza

L'industrie de la main d'oeuvre (La construction et la navigation).

Le tourisme sexuel et l'industrie du sexe

L'industrie des jeux de hasard et du Pachinko.

L'usure

Le trafic d'armes et de drogues

 

 

L'industrie de la main d'oeuvre (la construction et la navigation)23

La relation Yakuza-entreprise a toujours été basée sur le profit mutuel. Les Yakuza exercent depuis des années un contrôle sur la main d'_uvre journalière ouvrière et les dockers. Ce contrôle fait d'eux une véritable force avec laquelle les entreprises de construction et les compagnies de navigation doivent compter. Par ailleurs, dans un pays en manque de main d'oeuvre, les industries dépendent des Yakuza pour contourner les lois d'immigrations très strictes au Japon. Elles ont en effet besoin de la force de travail des pays d'Asie du Sud Est et des autres pays asiatiques, car la main d'oeuvre y est beaucoup plus nombreuse et bien moins chère. En outre aucun japonais n'accepte de travailler sur les chantiers navals, car cela est synonyme de travail pénible, dangereux et sans aucune reconnaissance sociale. Les Japonais utilisent également la pègre pour contrôler les appels d'offres et l'attribution de marchés publics. L'industrie du bâtiment est connue pour avoir apporté un appui financier au Parti Libéral Démocrate - une situation qui expliquerait en partie les relations entre les Boryokudan et le politique.

Le tourisme sexuel et l'industrie du sexe24

Evolution de l'industrie du sexe au cours des deux dernières décennies

Au cours des années 80, la pègre nippone s'est impliquée dans le développement de l'industrie du sexe. Auparavant, les hommes d'affaires japonais avaient pour habitude de se rendre à l'étranger pour se «divertir», et tout particulièrement à Taiwan au début des années 60, puis en Thaïlande et aux Philippines. Ce comportement trouvait alors une légitimité dans le contexte historique d'occupation du Japon par les Américains. En 1980, la tendance se renverse car les « sex tours » font l'objet de vigoureuses dénonciations en provenance de l'étranger. Pendant la décennie 80 de nombreuses femmes asiatiques, originaires des Philippines et de Thaïlande, débarquent au Japon. La plupart de ces femmes sont munies de papiers et de visas réguliers, elles viennent en tant que chanteuses ou danseuses. Pourtant, elles sont exposées à des sévices en tous genres; elles sont séquestrées, battues et très souvent forcées à se prostituer; elles servent à alimenter les maisons closes de Tokyo. On estime à 100 000 personnes environ, le nombre de femmes exploitées chaque année au Japon pour les besoins de l'industrie du sexe. Les Yakuza apprécient cette nouvelle activité, car elle est discrète et très rémunératrice. Pour la développer, ils font appel aux triades chinoises mais également aux gangs locaux des Philippines.

Les explications de cette nouvelle tendance

Plusieurs raisons expliquent le développement de l'industrie du sexe au Japon :

L'exploitation sexuelle dans ce pays remonte à la seconde guerre mondiale. Pendant cette période, quelques 200 000 femmes25 sont utilisées comme "objet de réconfort" par les hommes de l'armée impériale et par les membres du gouvernement. Elles sont originaires des Philippines, de Corée, de Chine, d'Indonésie et d'autres pays d'Asie contrôlés par le Japon. En 1995, faisant suite aux excuses publiques formulées par le Japon en direction des victimes, une Sous-Commission est chargée d'examiner la responsabilité du gouvernement et de l'armée nippone. Elle les accuse d'avoir violé les droits de l'Homme.26

Dans les année 60, les Yakuza se tournent vers l'industrie du sexe, notamment dans le cadre du tourisme. Ils organisent des «sex tours» dans de nombreux pays d'Asie du Sud Est. De plus, au Japon, la prostitution est légale tant que l'on n'utilise pas de souteneur et les filles âgées de plus de 12 ans peuvent légalement avoir des relations sexuelles.

les proxénètes trouvent de moins en moins de jeune femmes japonaises prêtes à travailler comme prostituées. Les femmes thaïlandaises ou philippines sont ainsi beaucoup moins chères et plus "rentables". Elles travaillent davantage que les Nippones et ont peu de moyens de se révolter, dans la mesure où leur situation irrégulière ne leur permet pas de demander de l'aide aux autorités. Certains entremetteurs parviennent à gagner plusieurs millions de dollars en exploitant ces femmes.

Le marché de la prostitution a pu également se développer, en raison d'un comportement laxiste des autorités vis à vis de la prostitution, qui remonte à l'ère féodale. Et aujourd'hui la commercialisation des femmes bénéficie d'une nouvelle culture en provenance des milieux d'affaires dont les membres réclament, toujours plus nombreux, les services de jeunes « femmes de consolation ».

Une autre raison favorise l'exploitation des femmes étrangères : le pouvoir du yen, une des monnaies les plus fortes du monde. Les Etats asiatiques dont la puissance économique est loin d'être comparable à celle du Japon, sont heureux de pouvoir se procurer des devises plus fortes que leur monnaie et tout particulièrement le yen. L'exportation de femmes en tant qu'entraîneuses est un moyen d'y parvenir.

Le développement inégal entre le monde rural et le monde urbain des pays d'Asie (et surtout de Thaïlande et des Philippines) est un autre facteur expliquant l'expansion du commerce du sexe. La différence de richesse entre les populations rurales et urbaines de ces pays est telle que des ruraux n'hésitent pas à vendre leur filles à des entremetteurs pour se procurer certains biens de consommation.

La prostitution des femmes et des enfants

-  Le traitement des femmes

Les femmes sont placées sous la haute surveillance des Yakuza, qui s'occupent de vérifier la qualité de leur «travail» (c'est à dire qu'elles reçoivent bien un certain nombre de clients par jour). Si elles ne respectent pas leurs obligations ou tentent de s'échapper, elles sont séquestrées, violentées, et parfois même tuées.

Les Thaïlandaises sont les premières victimes de ces comportements. La majeure partie d'entre elles se trouvent en situation irrégulière, parlent très peu l'anglais, et leur religion ne les pousse pas à la révolte27. Un certain nombre de ces femmes se suicide en désespoir de cause, tandis que d'autres sont assassinées par leurs bourreaux. Les ambassades sont à même de transmettre à la presse des informations sur ces décès, lorsque les jeunes femmes sont munies de passeport. Mais les chiffre généraux sont peu fiables, car beaucoup de prostituées entrent sur le territoire nippon munies de faux papiers.

Comportement des autorités japonaises

Les autorités japonaises signalent un nombre croissant de femmes hospitalisées pour des problèmes psychiatriques liés à l'usage de la drogue. Lorsque ces femmes prostituées sont malades ou accidentées, le gouvernement japonais refuse de leur prodiguer les soins médicaux nécessaires à leur rétablissement. Par ailleurs, la justice japonaise est loin d'être équitable à l'égard de ces immigrées. En 1994, la justice japonaise a infligé une peine de 10 ans de prison à trois prostituées accusées de meurtre sur la personne de leur entremetteur ! Les véritables responsables de cette industrie du sexe n'ont, quant à eux, pas fait l'objet de poursuites.

Exemple d'un scénario de trafic de femmes thaïlandaises

-  Les futures prostituées sont recrutées en Thaïlande. On leur promet des situations d'exception dès leur arrivée au Japon. Le recruteur "exporte" ces femmes, vendues chacune en général entre 1 500 000 et 2 000 000 yens.

-  Un dealer japonais achète les femmes à un prix fixé par le recruteur et les revend «en gros» pour le double du prix, aux réseaux de l'industrie du sexe.

-  Un propriétaire de bar les achète en moyenne entre 3 500 000 et 4 000 000 de yens chacune.

-  Finalement, les femmes se trouvent en situation de dette vis à vis de leurs acheteurs et doivent se prostituer pour les rembourser.

Cette nouvelle forme d'esclavage enfreint deux règles des droits de l'homme : la première est la violence sexuelle; la seconde, l'exploitation économique. On peut déplorer que l'industrie du sexe génère d'aussi gros profits pour les Yakuza.

-  L'exploitation sexuelle des femmes venues du continent américain

Les autorités américaines observent un afflux de Boryokudan sur le territoire américain. Ces professionnels du crime y embauchent des femmes blanches mais également de type asiatique. Les femmes sont recrutées selon la même méthode que celle utilisée avec les Thaïlandaises. Les membres des gangs japonais leur font des promesses de travail très lucratives comme danseuses et chanteuses, sans leur préciser ce que sera la nature exacte de ce travail. Ils leur font visionner des films montrant des femmes blanches en tenue de scouts et d'agents de police dans le but d'endormir leur méfiance. Les Yakuza expliquent à leurs proies qu'ils engagent des américaines, car les hommes japonais aiment discuter en anglais. Ces femmes se laissent aveugler par les promesses de fortune rapides et sont entraînées dans le commerce sexuel. Ce phénomène est connu, en verlan japonais, sous le terme de «japayuki »28.

-  L'exploitation sexuelle des enfants

Si l'on parle surtout de prostitution féminine, il ne faut cependant pas omettre un autre fléau peut être encore plus grave, la pédophilie. Les enfants à qui l'on vole la santé, l'innocence et la vie, sont les premières victimes du tourisme sexuel,. En Thaïlande le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (Unicef) dénombre près de 300 000 enfants âgés de moins de 16 ans travaillant comme prostitués. Ils deviennent pensionnaires dans des maisons closes, des bars et ils sont ainsi placés sous la haute surveillance de leurs «protecteurs». En Asie, et tout particulièrement en Thaïlande et aux Philippines, l'épidémie du sida explose. Les enfants sont violés, battus et utilisés comme de simples jouets par les touristes venus du monde entier. Ces crimes sont d'autant plus alarmants que les pédophiles sont souvent des citoyens ordinaires qui, dans la vie de tous les jours, ne seraient pas qualifiés de pervers. Ce proxénétisme terrible est très bien exploité par la criminalité organisée et notamment par les Yakuza. La pègre profite également de l'industrie florissante du sexe pour produire des vidéos pornographiques mettant en scène des enfants dans les situations les plus atroces que l'on puisse imaginer.

d) La prostitution des jeunes lycéennes japonaises.

Il faut noter le nombre croissant de jeunes étudiantes (collégiennes et lycéennes) qui se prostituent afin de pouvoir se procurer des vêtements et autres objets de luxe : sacs Louis Vuiton, parfums... Un sociologue estime que 8% des étudiantes nippones se prostituent de manière occasionnelle à leur propre initiative. Cependant, lorsque certaines de ces jeunes filles souhaitent faire de cette activité un «exercice» plus régulier, les Yakuza entrent alors en scène.

L'industrie des jeux de hasard et du Pachinko.29

Les gains de l'industrie des jeux de hasard sont estimés, en 1996, à 33 500 milliards de yens. Ces jeux sont la loterie, les paris sur les courses de bateaux, de chevaux, d'automobiles, de vélo, les tournois de Sumo, les jeux dans les casinos et le Pachinko. Le jeu lié à l'argent est une tradition ancienne de l'archipel nippon et, selon Paul Guth, «une forme laïque du miracle» 30. Les spécialistes estiment à environ 10% le profit généré par cette industrie, sur la masse globale des revenus du crime. En 1996, le marché du jeu employait 480 000 personnes avec 340 000 employés dans l'industrie du Pachinko. Néanmoins on enregistre un léger recul de l'industrie du jeu traditionnel ces dernières années, en raison d'une reprise partielle de cette activité par l'Etat. Les Yakuza, en dehors du Pachinko, ont alors décidé d'investir dans les compétitions de base-ball et les courses de hors-bord dont les nippons sont de grands amateurs. La période de crise économique et sociale que traverse actuellement le Japon, est également un facteur favorable à l'engouement des jeunes nippons pour la recherche d'activités ludiques.

Le Casino

La pègre nippone a profité de l'existence de réseaux à Hawaii pour s'infiltrer sur le continent américain. Elle s'est tout d'abord installée dans le sud de la Californie, pour gagner ensuite les villes côtières comme San Francisco, Portland et Seattle. Les Yakuza ont pu atteindre leurs objectifs d'implantation en se liant aux mafias locales. Les autorités américaines ont observé l'implication de la pègre nippone dans l'industrie du jeu à Las Vegas, Atlantic City, New-York, Boston et Newark.

Les jeux et les paris clandestins

Les Jeux de cartes

Le cho ka han ka compte parmi les jeux de cartes les plus exploités par les Yakusa. Les règles de ce jeu sont simples. Deux dés sont agités dans une boite ronde noire en bambou, posée par la suite sur le tatami. Les joueurs font alors des paris sur «Chance» ou «Egalité» et doivent placer au même moment leur mise sur le tatami. Le lanceur de dé dit alors « Ce sera tout messieurs» et signifie par là même aux joueurs qu'ils ne doivent plus toucher à leurs mises. Le lanceur dit alors «jouez» en parlant doucement. Au même moment il ouvre la boite et annonce soit «chou» ou «han» - deux résultats qui déterminent le gain ou la perte pour les joueurs. De manière générale, la mise dans ce jeu est très élevée, et seuls des joueurs professionnels peuvent s'y risquer. Un joueur parie un minimum de 10 000 dollars par mise et il peut gagner jusqu'à un million de dollars dans une journée. Ce type de jeu est très ancien mais il reste néanmoins aujourd'hui pratiqué par les Yakuza, défenseurs de la tradition.

Les Tournois de Sumo31

La transparence et l'intégrité de la plus ancienne institution sportive nippone, le Sumo, sont aujourd'hui remises en cause. Un journaliste du Financial Times révèle ainsi dans un article récent (3 janvier 2000), que de nombreux sportifs ont été amenés à participer à des matchs truqués au cours de leur carrière. Lors d'un grand tournoi, Akebono, le grand champion hawaïen, aurait accepté de se mettre à terre au moins une fois, en échange d'un dessous de table. La dernière fois qu'une telle affaire a été révélée, c'était en 1996, lorsque Onaruto, un grand entraîneur de Sumo, déclarait que ce sport ancestral était « pourri » par les paris sur les combats, l'évasion fiscale, les relations avec la pègre, la drogue et les orgies. Il expliquait également que 29 des 40 plus grands lutteurs de Sumo trichaient régulièrement. L'entraîneur et le sous directeur de l'association des supporters, Siichiro Hashimoto, décidaient, le 26 Avril 1996, de donner une conférence de presse sur la corruption dans le monde des Sumo. Mais ils ne pouvaient mener ce dangereux projet à terme, décédant tous les deux le 14 avril à l'hôpital d'une "pneumonie"! Néanmoins, quelques jours avant leur mort, ils avaient eu le temps de répondre à une interview du Shukan Post, l'un des magazines les plus lus au Japon. A la suite de cette rencontre, le personnel du magazine recevait de nombreuses menaces de mort. Quelques temps plus tard, le livre écrit par Onaruto sur le monde corrompu des Sumo devenait un best-seller. Dans ce livre, l'auteur expliquait que les grands Sumo avaient l'habitude de recourir aux Yakuza. Ces derniers leur fournissaient des prostituées et les aidaient à blanchir l'argent gagné en cash. La pègre en retour contrôlait les paris et l'information sur les combats truqués. Onaruto expliquait également que les combattants avaient l'habitude de vendre les matchs - le montant des chutes par combat s'échelonnant entre 5000 et 10 000 dollars. Suite au révélations scandaleuses du livre d'Onaruto et à celles du Shukan Post, l'association japonaise de Sumo (JSA) portait plainte contre l'éditeur du livre et le magazine. Plus tard, aucun directeur de publication, au Japon, ne semblait désireux de poursuivre les enquêtes sur les milieux du Sumo. Devant le mur du silence qui s'installait dans le pays, le Shukan Post décidait d'encourager les magazines étrangers à traiter le sujet. Les milieux officiels du Japon redoutent aujourd'hui les suites d'une initiative qui risque de compromettre le prestige de son sport national ancestral, réduit à celui de « show » à l'occidentale (combats truqués de catch ou de boxe).

Les paris en tous genres

Les jeux et les paris clandestins représentent 17% des sources de revenus des Yakuza. Les paris concernent les courses de hors-bord, de lévriers, de motos et de vélo, les matchs de base-ball, de boxe et autres. Ces activités sont en général contrôlées directement par les chefs des gangs mafieux.

Le Pachinko32

Le Pachinko (sorte de flipper) est, au Japon, l'activité la plus lucrative de l'industrie du jeu. En 1996, les recettes se sont élevées à 25 000 milliards de yens ( 900 milliards de francs), soit 6.7% du produit intérieur brut nippon. L'archipel dénombre 18000 salles sur l'ensemble du territoire. On trouve des salles de Pachinko partout, y compris dans les villages. La cible visée par les exploitants du jeu est relativement large, touchant les deux sexes et les personnes de tous âges. Néanmoins, on observe un engouement plus important chez les jeunes salariés. Les salles de Pachinko offrent de nombreux services : une garderie pour les jeunes mamans accompagnées de leurs enfants, un service de restauration, des réfrigérateurs pour conserver au froid les courses faites au préalable, et une place de parking (luxe indéniable dans un pays ou la possibilité de garer sa voiture est un véritable "parcours du combattant"). La salle du Pachinko est un lieu de passage quotidien quasi obligatoire pour toute personne désirant se couler dans le moule de la société japonaise. La passion des joueurs est telle que les nippons en arrivent à oublier le monde qui les environne, en commençant même par leurs enfants qu'ils emmènent avec eux dans ces salles immenses. Il est arrivé que l'on retrouve des enfants morts par défaut de soin de leurs parents trop occupés à lancer des billes. L'un des plus célèbres quotidiens nationaux le Mainichi Shimbun aurait identifié 30 cas de morts accidentelles d'enfants, alors que leurs parents étaient en train de jouer. Cette passion, chez les jeunes adultes, pour un jeu déjà ancien est relativement paradoxale, car le Pachinko a été introduit en 1948 pour distraire les jeunes enfants.33 Les chiffres officiels sur l'activité sont faramineux : 27 millions de joueurs; une dépense moyenne annuelle de 32 000 francs par individu, soit le montant cumulé de deux salaires mensuels.

En 1990, les autorités japonaises, soucieuses de rendre un peu plus transparente la comptabilité de ce commerce à grande échelle, introduisaient un système de cartes prépayées allant de 50 à 500F. Six années après l'introduction de ce système, 70% des salles de jeux en étaient équipées. Mais les mafias japonaise et coréenne en avaient profité pour réaliser des contrefaçons leur permettant de blanchir l'argent sale, fruit d'activités illicites, et de se procurer de l'argent frais. De nombreuses salles sont soupçonnées d'avoir trafiqué leur machines et, pour certaines, de pratiquer l'évasion fiscale. Les autorités nippones sont restées très longtemps passives vis à vis de ce nouveau fléau. L'industrie du Pachinko est dominée en partie par les descendants de familles nord-coréennes amenées sur l'archipel pendant la période coloniale. Les autorités considèrent que le Pachinko représente une source de change (d'argent) pour ces populations minoritaires travaillant paisiblement en marge de la société. L'industrie du Pachinko, outre les possibilités de blanchiment qu'elle offre, pose également d'autres problèmes. En effet si les jeux d'argent sont interdits au pays du Soleil Levant, on sait pertinemment que les gains, présentés sous forme de lots, sont échangés dans les petits magasins des rues avoisinant les salles de jeu. Le problème freine ainsi l'entrée des industries de Pachinko sur le marché boursier où les maisons de titres sont encore très réticentes à leur égard. Elles bénéficient toutefois d'une tolérance relative de la police, car un certain nombre de policiers retraités se sont reconvertis dans le conseil pour lutter contre leur infiltration par la pègre. Du côté des politiques, la corruption semble active, et un certain nombre de membres du Parti Libéral Démocrate sont soupçonnés d'avoir perçu des «avantages en nature». Aujourd'hui, l'agence nationale de la police a soumis au gouvernement une proposition de réforme du Pachinko. Elle vise à faire disparaître les échoppes où l'on échange les lots, pour les remplacer par un organisme officiel. La formule est séduisante. Elle permettrait à l'Etat de contrôler de plus près les activités des officines de Pachinko, d'assainir ce secteur économique, et d'en percevoir des revenus plus importants par le bais de l'impôt.

L'usure34

Les usuriers, connus également sous le nom de Sakarin, sont presque toujours des membres du syndicat du crime. L'usure est l'un des domaines de prédilection des Boryokudan et son essor a été favorisé par les conditions très restrictives d'obtention des prêts au Japon. Jusqu'au début des années 1980, il était particulièrement difficile, pour un individu, d'obtenir un prêt auprès des banques. Cette déficience du système financier nippon a ouvert une voie aux Boryokudan et plus particulièrement aux Sakarin, spécialistes de l'usure et des «prêts requins». Les Yakuza n'ont pas besoin d'utiliser la violence dans ce "métier". Le fait même de perdre la face au Japon fait à lui seul l'objet de suicide : quoi de plus déshonorant que d'avoir de gros problèmes financiers? Les personnes endettées préfèrent naturellement s'adresser aux Yakuza plutôt qu'aux banques. En 1982, on estimait à 2400 le chiffre de suicides liés directement ou indirectement aux Sakarin. Le nombre d'officines avouées ou non liées à cette activité s'élèverait entre 42 000 et 200 000. Les taux pratiqués par ces «requins» sont parfois supérieurs à 100%. Dans les années 80 l'usure représentait 3.3% des ressources globales de la pègre nippone.

Le trafic d'armes35

La pègre a profité d'une législation nippone draconienne en matière d'armement, pour développer un vaste marché parallèle. Les Boryokudan infiltrent dans le pays une quantité importante d'armes, par le biais de pays asiatiques comme les Philippines, mais aussi par les Etats-Unis, pays où la qualité des produits est excellente, et où la législation sur les armes est accommodante. Cette contrebande est très lucrative, avec un prix moyen de vente par arme qui oscille entre 675 000 et 945 000 yens. Ces armes sont achetées en Chine, à Taiwan, Hongkong, aux Philippines et aux Etats-Unis. La contrebande d'armes est très ancienne au Japon. Elle remonte au milieu du XVIe siècle avec les premières importations en provenance du Portugal. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les soldats démobilisés constituaient la première source du trafic d'armes. Aujourd'hui ce type de contrebande est sous la coupe des syndicats du crime. En 1960, les armes confisquées aux Yakuza représentaient 6% de la totalité des saisies de marchandises illicites et en 1988 ce chiffre atteignait 39%. Néanmoins, le nombre d'armes de gros calibres confisquées par la police passe de 1338 en 1965 à 875 en 1989. La raison en est simple : au Japon, l'obtention d'un permis de port d'armes reste très difficile. Dans la capitale nippone, on ne dénombre ainsi que 59 000 permis. Du coup, le nombre d'agressions annuelles est chiffré à 40, contre 11 000 à New York (le nombre d'homicides est 200 fois plus important aux Etats-Unis). Au Japon, les crimes armés sont essentiellement perpétrés par les professionnels du crime, c'est à dire par les Boryokudan. On recense environ 600 meurtres par an, commis avec des armes de poing, et 900 avec des armes de plus gros calibre36.

Le trafic de drogues37

Le développement des Boryokudan à l'étranger amène les Yakuza à s'adonner à d'autres activités génératrices de gains, tel le trafic de drogue avec, plus particulièrement, les amphétamines («speed», «us streets»). La drogue apporte à la mafia une source importante de revenus, mais contribue également à la restructuration des gangs et au changement de mentalité. De fait, le trafic de drogues, et l'obligation de blanchir à grande échelle les sommes d'argent qui en sont issues, contraint la pègre nippone à revoir son mode de fonctionnement. Par ailleurs, cette nouvelle source de revenus, née de la guerre, permet à la pègre de s'infiltrer plus profondément dans la sphère économique nippone. Aujourd'hui on suppose que 60% du trafic de gros d'amphétamines sont sous la tutelle des Yakuza. A cela il faut ajouter la cocaïne et le cannabis. Jusqu'en 1992, les Yakuza savaient pouvoir compter sur l'indulgence de la police en matière de trafic de drogue. Celle-ci acceptait de fermer les yeux, dans la mesure où ce trafic se limitait aux amphétamines.

Les Amphétamines

Le trafic d'amphétamines (Shabu ou Meth), comme celui de la plupart des autres drogues, s'est développé au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le Gurentaï a été le premier des syndicats du crime à se lancer dans l'aventure - les amphétamines étant le type de drogue le plus appréciés des nippons. Dans les années 60, la pègre nippone contrôlait entièrement le trafic d'amphétamines. L'essentiel de la production provenait de Chine où les yakuza étaient de mèche avec les triades. Jusqu'à la fin des années 90, le trafic d'amphétamines dominait celui des autres drogues. En 1996, la police nippone saisissait 650 kilogrammes d'amphétamines dont 90% en provenance de Chine.38 Actuellement, on estime à 800 000 les consommateurs d'amphétamines. 700 kg de cette drogue sont consommés chaque jour dans l'Archipel. Le montant du marché de détail, particulièrement lucratif, est estimé à environ 14 milliards de francs.

La cocaïne

Jusqu'à la fin des années 90, le trafic de drogues dures n'était pas l'un des domaines d'activités privilégiés des Yakuza - la raison principale étant l'accord tacite passé entre la pègre et la police sur le trafic d'amphétamines. C'est la loi antigang de 1992 qui va précipiter l'engouement des Yakuza (exclus des bandes) pour le trafic de drogues dures. D'après les estimations de l'agence nationale de la police, environ un million de japonais auraient consommé de la cocaïne, au moins une fois dans leur vie.39 Le quotidien japonais Yomiuri Shimbun estime que le nombre de consommateurs réguliers ou occasionnels atteindrait 1.5 million. Le milieu du show business serait la première « cible » de ce trafic. Le gramme de cocaïne se vend au Japon entre 40 000 et 150 000 yens. Le prix est fixé en fonction de l'offre, de la demande, et de la qualité de la marchandise. En 1992, 31 kilos de cocaïne étaient saisis sur l'archipel, soit une augmentation de 43% par rapport à l'année précédente.

Les drogues dures en provenance de Colombie.

Les douanes japonaises saisissent de plus en plus souvent des colis de cocaïne en provenance de Colombie. De nombreux Colombiens sont arrêtés, alors qu'ils tentent d'introduire de la drogue dans l'archipel. Les passeurs travaillent essentiellement pour le cartel de Cali, mais peuvent également être des prostituées qui se rendent au Japon pour vendre leurs charmes dans les quartiers de « distractions » de Shinjuku40. Parmi les ressortissants colombiens appréhendés, Oscar Crusquintero et Loren Rodriguez ont été tous les deux condamnés par la police nippone à 6 ans de prison pour avoir dissimulé 2 kilos de cocaïne à l'intérieur de leurs valises. Un autre Colombien, qui avait caché 7.1 kilos de cocaïne dans des boules de bowling, a lui aussi été arrêté. La réussite des stratagèmes des passeurs ne peut se faire que grâce à deux éléments : une très bonne organisation des gangs, et une coopération renforcée au sein de la pègre nippone.

Les drogues dures en provenance de Chine

Les triades chinoises ont profité de l'engouement croissant des japonais pour la consommation de cocaïne. Ils ont étendu à tout l'archipel leurs opérations dans ce secteur. En 1994, deux citoyens originaires de Chine populaire, Ouyang Zhengzhong et Ring Ligen étaient arrêtés, à la suite d'une vente de 2 kilos de cocaïne à un grand hôtel de Tokyo. L'agence nationale de police soupçonne que ce trafic, lié étroitement aux triades chinoises, et transitant par Hong Kong, est en train de devenir un important marché.

L'Opium

L'usage de l'opium s'est développé à la faveur des guerres. Dès 1932, le gouvernement japonais mettait en place un monopole de l'opium. Ce stupéfiant était alors une source légale de revenu, fourni par des maisons de commerces japonaises à un «bureau spécial», sous la coupe du gouvernement nippon. L'opium devenait alors une véritable drogue dont les soldats ne pouvaient plus se passer. Afin de favoriser la dépendance des soldats, les japonais faisaient circuler des médicaments à l'intérieur desquels était dissimulée de la morphine, ainsi que des cigarettes, dont les filtres étaient imbibés de petites doses d'héroïne. A la fin de la seconde guerre mondiale, le marché des stupéfiants tombait dans les mains de la pègre nippone. La cible principale des Yakuza était alors l'armée impériale. L'absence de réglementation permettait le développement d'un commerce florissant dont les premiers bénéficiaires étaient les pègres japonaise et coréenne. Certaines maisons de commerce de l'opium gagnaient jusqu'à trois cents millions de dollars par an.

 

 
 

Conclusion du chapitre

Les Yakuza sont impliqués depuis longtemps dans un grand nombre d'activités : trafics de drogues et d'armes, industrie du sexe, usure, industrie de la main d'oeuvre... Si le montant des revenus issu de ces activités semble important : 14 milliards de yens pour les amphétamines, 125 milliards de dollars pour l'usure - ces chiffres demeurent minimes en comparaison de la masse de revenus générée par le crime économique (cf. infra).


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22 « More eyes on Yakuza's role in japanese economy », Japan Economic Institue, 08.05.92.

23http://www.economist.com , «Old, down and out in Japan», 13 Mars 1999.

24 Voir annexe n°3, Entretien avec Xavier Raufer.

25 Ces femmes apellées Ianfu «femmes de la consolation» étaient essentiellement originaires de Corée. Des documents de l'armée impériale nippone ont été retrouvés qui mettent en cause la responsabilité de l'armée.

26Mécanismes et rapport de la Sous-Commission, 1995.

27 Le boudhisme entend que l'âme d'une personne n'est pas souillée par les actes relevant de la partie inférieure du corps (ceinture-pieds), Entretien avec Xavier Raufer.

28 Natti Bumpo « Yakuza, sex slaves, drugs, subway gas, ultranationalists and secret societies », http://www.ccnet.com .

29 Thierry Ribault, «Une forme laïque du miracle», Le Monde Diplomatique, août 1998.

30 Ibid.

31http://www.economist.com , «Sumo wrestling, Ringleaders?», 22 June 96.

32 Thierry Ribault, «Au Japon, la folie du Pachinko», Le Monde Diplomatique, août 1998.

33http://www.economist.com , « Japan, Pachinkoholism », 6-Jul-96.

34http://members.tripod.com , « More eyes on Yakuza's role in the japanese economy », Japan Economic Institute, 08.05.92.

35 David B. Kopel, « Japanese Gun Control », Asia Pacific Law Review, 1993.

36 Ibid.

37 Voir annexe n°2.

38 Philippe Pons, Misère et crime au Japon du XVIIe siècle à nos jours, Editions Gallimard, 1999, p458.

39 « Pays de neige » La dépêche internationale des Drogues, n°29, mars 1994.

40 Shinjuku est l'un des quartiers branchés de la vie nocturne de Tokyo.