II.4. EVOLUTION ET DEVELOPPEMENT DE LA CRIMINALITE ORGANISEE DES POUILLES (SACRA CORONA UNITA)

II.4.1. LA STRUCTURATION D’UNE CRIMINALITé ORGANISéE DANS LA RéGION DES POUILLES (1950-1981)

Dès les années 1950, plusieurs membres de Cosa Nostra, de la ‘Ndrangheta et de la Camorra se sont vus assignés à résidence par la justice dans des localités de la région des Pouilles. Ces mesures d’éloignement judiciaire ont concerné des figures mafieuses aussi importantes que Pietro Vernengo, Filippo Messina, Stefano Fontana, Giuseppe Baldi ainsi que les corléonais Luciano Leggio, Salvatore Riinà et Bernardo Provenzano. La présence de ces chefs mafieux dans la région des Pouilles s’est traduite rapidement par un rapprochement entre le milieu local traditionnel des contrebandiers et des membres d’organisations criminelles structurées.

La ville de Fasano constitue le point de départ des premières connexions entre Cosa Nostra et la criminalité locale des Pouilles. En 1978, Amedeo Pecoraro, un membre de la famille palermitaine de Porta Nuovà (Cosa Nostra), est contraint par le Tribunal de Palerme de s’exiler à Fasano. Rapidement, ce dernier fait alliance avec Giuseppe D’Ononfrio, dit Bicicletta, un petit délinquant local qui devient en quelques années un important trafiquant d’héroïne et de cigarettes de contrebande.

Les années 1970 voient également plusieurs membres de la Camorra et de la ‘Ndrangheta être transférés vers les cellules carcérales de la prison du port de Bari. En 1979-1980, le boss napolitain Raffaele Cutolo imagine d’étendre à la région des Pouilles la Nuova Camorra Organizzata (NCO). Le 5 janvier 1979, à l’hôtel Florio di Lucera, il intronise quarante criminels de la région au sein de son organisation. Sous l’impulsion de Cutolo et la supervision de Giuseppe Iannelli, la Nuova Grande Camorra Pugliese (NGCP) prend forme en 1981. A elle seule, cette organisation fut à l’origine de 40 % des activités délictuelles et criminelles dans la région des Pouilles. La guerre interne à Naples entre la NCO de Cutolo et les clans dissidents de la Nuova Famiglia entraîna toutefois rapidement une autonomisation progressive de la NGCP, qui se réorganisa en groupes criminels autonomes.

II.4.2. LA NAISSANCE DE LA SACRA CORONA UNITA (1981-1991).

Incarcéré à Bari, le mafieux calabrais Pino Rogoli proposa en 1981 à Umberto Belloco de mettre sur pieds une nouvelle organisation criminelle baptisée Sacra Corona Unita (SCU), qui visait dans un premier temps à faire obstacle à l’expansion de la Camorra de Cutolo. Cette organisation, opérationnelle à partir de 1982-1983, fédéra des criminels comme Giuseppe Iannelli, Giosuè Rizzi ou Cosimo Cappellari sur le modèle des ‘ndrines calabrais. Plusieurs arrestations firent néanmoins éclater en clans indépendants cette organisation.

A partir du milieu des années 1980, les homicides se multiplièrent pour la répartition des territoires criminels entre les hommes proches de Rogoli et les autres clans restés indépendants. De ce premier conflit émergea en 1987 la Nuova Sacra Corona Unita (NSCU) qui avait pour but de constituer une commission provinciale chargée de résoudre les conflits entre les différents chefs de zones de l’organisation. Faute d’un véritable leadership au sein de cette organisation, des conflits internes violents reprirent et nécessitèrent en 1991 la médiation du mafieux Salvatore Anacondia.

II.4.3. CRISE DES BALKANS ET DéVELOPPEMENT DE LA CRIMINALITé ORGANISéE DES POUILLES (1991-2001)

La criminalité organisée des Pouilles a été l’une des principales mafias bénéficiaires de l’éclatement de la Yougoslavie. Porte d’entrée de l’Union Européenne, les Pouilles se sont ainsi transformés en plaque tournante pour les multiples filières de trafics qui traversent l’Adriatique (armes, cigarettes de contrebande, immigrants clandestins, prostituées, véhicules volés). Les côtes désolés des Pouilles, situées à quelques kilomètres des rives de l’Albanie ou du Monténégro, sont devenus en quelques années une véritable plate-forme logistique pour le développement des activités criminelles.

Ce tropisme balkanique explique la concentration des clans de la S.C.U. le long de la côte adriatique entre Trani et Brindisi. Les liaisons maritimes avec les ports de Bar (Monténégro), Split et Dubrovnik (Croatie) et ceux de Durrës et de Vlorë (Albanie) sont autant de filières de trafics susceptibles d’attirer les appétits des organisations criminelles italiennes, albanaises, turques et même asiatiques lorsque les filières terrestres de la route des Balkans deviennent trop périlleuses ou incertaines.

Très logiquement, la criminalité organisée des Pouilles a profité de cette opportunité historique pour se transformer en organisation criminelle de stature internationale en exerçant sa mainmise territoriale sur les entrepôts portuaires et les moyens logistiques nécessaires aux divers trafics. Très pragmatique, elle a en outre choisi de s’allier avec différents clans et familles de la ‘Ndrangheta, de la Camorra et de Cosa Nostra qui lui apportent leurs compétences respectives.

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