CONCLUSION

En conclusion, nous allons, dans un premier temps, rappeler les principaux points développés dans le cours de ce travail. Dans un second temps, nous ferons une présentation rapide de la situation au Moyen Orient, dans les différents pays du Golfe ou. Pour finir, nous présenterons quelques-unes unes des perspectives qui se sont ouvertes à nous suite à cette recherche.

Le premier constat, auquel elle nous a mené, renvoie à la nécessité de bien définir le vocabulaire employé. Nous avons donc tenté d'éclairer deux points importants de sémantique concernant la notion de blanchiment.

La lecture de différents articles sur le sujet, particulièrement en arabe, nous a fait prendre conscience du fait que la confusion autour de la question du blanchiment d'argent sale, résultait d'abord d'une mauvaise définition voire d'une absence de définition de la notion. Or ceci peut avoir des conséquences particulièrement graves juridiquement parlant, puisque cela peut entraîner une incapacité à la qualifier pénalement. On ne manque pas d'exemples, d'ailleurs, de législations favorables, de fait, à ce type de délinquance, dans la mesure où, juridiquement, elles ne la reconnaissent pas.

Mais il faut reconnaître que la question du blanchiment a maintenant pris une telle ampleur que, de nos jours, c'est plutôt la profusion de définitions qui frappe plutôt que leur rareté. Nous avons donc tenté de montrer comment il fallait essayer de cerner la notion, en cumulant les définitions empiriques et les caractérisations juridiques élaborées dans les différentes législations, les différents traités ou conventions ou les différentes directives énoncées sur le sujet.

La seconde ambiguïté sémantique résulte de la confusion entretenue entre les notions d'argent sale et d'argent noir. Nous avons, là encore, essayé de montrer qu'il était important de distinguer les deux notions, dans la mesure où les flux financiers qu'elles génèrent se distinguent à la fois par leur source, leur objectif et leur volume.

Mais les notions de blanchiment et d'argent sale impliquent aussi un certain nombre d'autres notions qui gravitent toutes autour: crime organisé, recyclage, mondialisation, mafias, paradis bancaires, offshore, etc. ... il serait peut être intéressant de tenter d'élaborer un répertoire terminologique voire un dictionnaire des notions qui leurs sont liées. Ceci pourrait faciliter le travail de caractérisation et de définition juridique de la notion.

De fait, la complexité des techniques et des processus en jeu, invite à ne pas prendre à la légère ces problèmes de définition. Et surtout à ne pas minimiser l'importance des connaissances d'ordre économiques et financiers nécessaires pour, seulement, en comprendre les enjeux.

Ceci est manifeste lorsqu'on s'intéresse aux mécanismes et au processus du blanchiment. A grande échelle, ce dernier cesse d'être le fait de simples malfrats, casseurs de vitres, pour devenir un travail de professionnels de la finance et de la fiscalité. Ce sont d'ailleurs ces questions que nous avons tentées d'aborder dans la seconde partie.
Nous avons distingué, à la suite des auteurs qui ont travaillé sur la question, trois étapes dans le processus de blanchiment qui, toutes, font appel à des professionnels: le placement (prélavage ou immersion) ; l'empilage (dispersion brassage ou lavage) et l'intégration (recyclage ou essorage). Chacune d'entre elles vise à répondre au problème crucial que rencontrent ces délinquants, à savoir, dissimuler la provenance des gains et des bénéfices engrangés dans le cadre de leurs opérations illégales.
Le constat, peut être aisément fait que les différents niveaux de complexité des opérations de blanchiment sont le plus souvent relatifs aux besoins des délinquants et à la pression judiciaire qu'ils peuvent subir, selon les pays où celles ci sont réalisées.

Il peut s'agir d'opérations simples, utilisant des moyens primaires, tels que l'acquisition d'objets de luxe ou de biens immobiliers, la falsification de résultats d'entreprise ou le transport physique de l'argent.

Mais les besoins de blanchissement et la complexité des opérations financières nécessaires pour le faire, s'accroissent à mesure que la surface financière des délinquants grandit.

Les procédés en usage peuvent alors être classés, selon la nature des opérations qu'ils impliquent et les moyens qu'ils utilisent. On passe alors de la manipulation de documents commerciaux, au blanchiment par contrat sous une fausse relation contractuelle, puis au blanchiment par contrat de société avant d'en venir aux techniques extraterritoriales (paradis fiscaux et bancaires) et aux techniques des institutions financières non bancaires (assurance, banques clandestines ou traditionnelles), sans oublier bien sûr toutes les gammes de possibilités offertes, par les instruments bancaires (comptes anonymes, numérotés, collectifs, de transit, possibilités de transfert, virements, cartes bancaires, etc..).

On peut aussi ajouter au nombre de ces procédés, les instruments et les techniques offerts par les marchés financiers, tels que les options, les instruments de gré à gré (le swap par exemple), les produits dérivés, les achats d'indice, etc. Dans son livre, Jean de Maillard explique que tous les instruments utilisés par les marchés pour se prémunir contre les risques financiers peuvent être (et sont) détournés au profit du blanchiment d'argent.

L'avènement de la nouvelle ère Internet, et surtout à travers elle, la dématérialisation croissante des flux financiers, n'ont fait que multiplier les possibilités offertes aux délinquants pour réaliser leurs opérations.

Nous avons vu qu'à tous les niveaux le blanchiment, nécessite des complicités diverses qui sont toutes rémunérées dans des proportions importantes. De même, nous avons vu que le blanchiment a des conséquences très directes sur les économies des pays où il a lieu ou bien sur celle des pays vers lesquels les flux financiers sont destinés. Mais ce sur quoi il est important d'insister, c'est sur le rôle croissant et vital que jouent les cols blancs, qu'ils soient avocats, banquiers, fiscalistes, etc. Comme l'écrit encore J. de Maillard, l'économie du crime s'est fondue dans l'économie légale. Et pour arriver à ce résultat, il aura fallu que les organisations criminelles se fassent aider par des bataillons de spécialistes et de complices, juristes et financiers dont la seule occupation est le blanchiment. Cette criminalité n'a plus les apparences de l'autre. Elle ne nécessite plus ni armes ni cambriolages. Au contraire, elle a toutes les apparences de la respectabilité. Et à un certain niveau plus rien ne permet de la distinguer. C'est pourquoi l'une des dernières parties de notre travail est consacré au rôle des cols blancs.

De fait, c'est peut-être de cette criminalité dont on a le moins conscience de nos jours. Quand on en fait état dans la presse, c'est le plus souvent comme s'il s'agissait de faits exceptionnels, alors que, comme nous l'avons vu, il s'agit d'un rouage essentiel de la délinquance.

Nous allons maintenant, et en guise de conclusion présenter quelques aspects de la situation dans les pays du Golf qui pourraient à l'avenir, faire l'objet d'une nouvelle recherche.

De fait, tout récemment un numéro de la revue arabe AL-MAJALLA, éditée à Londres, (6-12 août 2000) a été en partie consacrée au blanchiment d'argent dans les pays du Golfe. Ce numéro, même s'il se limite parfois aux aspects les plus spectaculaires, présente un intéressant panorama de la question. Il révèle, par exemple, une inquiétude croissante des autorités sur les problèmes de blanchiment.

« Il est vrai que celles de l'Arabie Saoudite ont réaffirmé leur confiance quant à la situation du blanchiment en Arabie Saoudite. Mais dans le même temps, certains hommes d'affaires saoudiens ont fait part de leurs inquiétudes concernant des tentatives d'infiltration du marché des pays du Golfe, du fait de la multiplication des institutions de change et la libéralisation, qui, peu à peu, autorise à faire toutes sortes d'opérations avec l'étranger, sans qu'elles n'aient à subir aucun contrôle. »70
Par ailleurs les autorités des autres pays ont aussi fait part de leurs inquiétudes croissantes.

Ainsi, depuis deux ans, l'office des changes centrale des Emirats arabe unis a admis que ses inspecteurs ont constaté que certains mouvements importants de capitaux ne semblaient pas avoir de justification commerciale, quand ce ne sont pas les détenteurs de ces comptes qui semblent disposer là de moyens financiers incompatibles avec leurs revenus réels.

Cette situation, est à corréler avec l'extrême degré d'ouverture de la place financière des E.A.U. Son statut de paradis bancaire et fiscal, La quantité d'offices de changes et d'institutions financières disponibles, l'environnement extrêmement concurrentiel, la présence de nombreux travailleurs immigrés qui retirent, déposent et font quotidiennement des virements de sommes parfois importantes, l'utilisation très courantes de moyens de paiements électroniques pour les réalisations de toutes sortes d'opérations financières ainsi que la proximité d'importantes zones de trafic font des E.A.U. un environnement particulièrement propice pour le blanchiment d'argent.

Par ailleurs, l'office des changes centrale de Qatar a demandé, aux banques et aux institutions financières de contrôler l'identité des titulaires de comptes ou de leurs chargés d'affaires, ainsi que d'exiger des informations précises concernant les activités des sociétés commerciales. Les banques sont aussi invitées, en ce qui concerne les titulaires d'activités impliquant des transferts d'argent réguliers vers ou depuis l'étranger à réclamer des recommandations d'institutions financières. A Bahreïn, une loi a même été votée qui renforce les peines dont est passible le blanchiment d'argent et le qualifie pénalement selon les nouvelles normes juridiques internationales.

Les opérations relevées par le magazine et qualifiées d'opérations de blanchiment constituent donc, le plus souvent des placements : des dépôts répétés et injustifiés dans les banques émirates, de liquidités importantes suivis de retraits ou des virements, en provenance de l'étranger, suivis eux aussi de retraits immédiats. Mais la revue donne aussi des exemples de blanchissement, se faisant par le biais d'achat de pétrole et de matières premières à terme.

L'éditorial du magazine reconnaît que les activités de blanchiment sont probablement très réduites en comparaison de ce qui se fait aux Etats-Unis par exemple, mais il met l'accent sur le fait que le délit de blanchiment n'est même pas pénalement qualifié par certaines législations nationales.

C'est sur cette dernière information que nous achèverons ce travail de recherche. Nous pensons, en effet, qu'il est important d'informer et de former les cadres de tous les pays sur les questions de blanchiment, les procédés et les techniques qui sont utilisés.

Plus que jamais, la lutte contre cette délinquance nécessite des moyens qui ne sont pas seulement financiers. La complexité des mécanismes financiers en jeu, la volatilité des sommes déplacées, impliquent une coopération très étroite entre les autorités de tous les pays. Mais l'appel de Genève l'a montré, pour toutes sortes de raison qu'il est difficile d'obtenir un bon niveau de coopération, quand bien même ceux ci, comme c'est le cas en Europe, seraient liés par toutes sortes de traités de coopération juridiques et de directives communautaires.

En ce qui nous concerne, ce travail de recherche nous aura permis de mieux cerner les questions économiques, juridiques et autres que pose le blanchiment.
Nous allons maintenant, dans le prochain temps de notre recherche, nous intéresser aux instruments juridiques et économiques dont disposent les pays du Golfe, pour mener à bien leur lutte contre ce cancer des nations modernes, parce que c'est sur ce terrain là que la lutte se déroule. Compte tenu de ce que nous avons appris dans le cours de ce travail, il sera très intéressant de voir comment s'organise la lutte contre le blanchiment à l'échelle des pays du Golfe, de rencontrer les responsables et tous ceux qui en sont chargés, pour mieux comprendre et mieux appréhender cet aspect de la question.
 

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70Maher Abas, La revue arabe, "AL-MAJALLA", n° 1069, 6 -12 Aoûte, 2000, p. 17.